Liberté 55: Jamais dans cent ans!


Édition de Septembre 2014

Liberté 55: Jamais dans cent ans!


Édition de Septembre 2014

«Je ne pense plus à la retraite. J'en rêvais seulement parce que je n'aimais plus ce que je faisais.» - Francine Brûlé, restauratrice, Les Enfants Terribles [Photo: Martin Flamand]

Prendre sa retraite à 55 ans ? C'est tellement 1980 ! De plus en plus de travailleurs comptent rester actifs professionnellement aussi longtemps que leur santé le leur permettra.

Après s'être épanouie pendant 35 ans dans le domaine de la mode, Francine Brûlé hésitait entre tout lâcher pour faire le tour du monde et investir dans la restauration. Ceux qui fréquentent l'une des deux succursales des Enfants terribles, à l'Île-des-Soeurs ou sur la rue Bernard, à Outremont, deux restaurants qui roulent à fond de train depuis leur ouverture, savent que la femme d'affaires a plutôt choisi de repousser sa retraite aux calendes grecques. Bien qu'elle commence à peine à reprendre son souffle après s'être lancée dans l'aventure en 2008, la femme qui fêtera ses 60 ans en septembre ne regrette rien. «Je ne pense plus à la retraite. J'en rêvais seulement parce que je n'aimais plus ce que je faisais», résume celle qui a retrouvé le feu sacré entre deux chaudrons.

Lancer sa petite entreprise, se convertir à un métier manuel, tenter un retour à la terre, se recycler dans le coaching et le mentorat, ils sont plusieurs à envisager une nouvelle carrière plutôt que d'arrêter de travailler à 65 ans. Le concept de Liberté 55 ? De plus en plus de baby-boomers n'y adhèrent pas, tandis que les travailleurs de la génération X, qui ont aujourd'hui entre 35 et 50 ans, ne planifient plus leur retraite mais leur prochaine carrière. Question d'argent ? Selon Statistique Canada, seulement le tiers de ceux qui comptent rester actifs le veulent pour des raisons financières.

Yves Carrières, professeur agrégé au Département de Démographie de l'Université de Montréal, n'est guère étonné par le phénomène. Bien sûr, celui-ci correspond à une plus grande longévité, mais ce n'est pas tout. «Ce qui se passe en ce moment chez ceux qui ont dans les 60 ans est le miroir de ce qu'on voyait il y a 35 à 40 ans. C'est le résultat du fait d'avoir étudié plus longtemps et d'avoir eu des enfants plus tard. Entre 1975 et 1995, les gens prenaient leur retraite plus tôt, explique le démographe. À partir du milieu des années 1990, on cons-tate un changement très marqué : on prend sa retraite plus tard, et cette tendance s'est de-puis accentuée.»

Les adultes se préparent donc à travailler plus longtemps en planifiant une seconde carrière plus amusante, conçue à leur mesure. «On a travaillé toute sa vie pour combler des besoins ou pour faire vivre des personnes à charge, une fois à la retraite, on a le temps de se réaliser, on n'est plus obligé de garder un emploi qu'on n'aime pas», estime Marie-Paule Dessaint, docteure en sciences de l'éducation, coach de vie certifiée, auteure et conférencière.

Changer d'air

Chargée de cours à l'université depuis sept ans, après une carrière en enseignement au primaire, Chantal Bordeleau, 56 ans, pourrait continuer à donner des cours jusqu'à 80 ans. Mais elle avait envie de changer d'air. Une terre de 40 arpents acquise avec son conjoint allait lui en offrir l'occasion. Quand elle a mis la main sur son lopin de terre il y a quatre ans, elle ne s'est pas fait croire qu'elle allait devenir fermière du jour au lendemain. Son objectif : prendre moins de charges de cours d'ici trois ans, et cesser d'enseigner d'ici six ans. Son conjoint et elle ont prévu un plan d'affaires de manière à ce que la ferme soit rentable d'ici là. «Je pourrais prendre ma retraite sans les revenus de la ferme, j'en aurais les moyens, précise-t-elle, mais la ferme me permet de prendre une retraite progressive de l'enseignement plus tôt, sans toucher à mon fonds de pension.»

Si son plan réussit, Chantal Bordeleau sera fermière à temps plein à l'âge où la plupart des fermiers tentent plutôt de se départir de leur terre. «À 60 ans, le fermier qui a fait ça toute sa vie est fatigué. Mais pour nous, c'est un choix qui correspond à nos valeurs», explique celle qui voulait devenir sa propre patronne tout en travaillant à l'extérieur. Pendant qu'elle prodigue des soins à ses brebis, elle vise l'autonomie alimentaire. Sans pesticides !

Une pause avant de reprendre le collier

Monick Piché, elle, a «mesuré le prix de la liberté» après avoir perdu deux frères et deux soeurs en l'espace de douze ans. «Les gens disent : "il me reste sept ans avant d'avoir 70 % de mon salaire". Moi, même si j'ai 20 000 dollars de moins par année, mais que je peux prendre mon café le matin à mon rythme, je trouve que ça en vaut le coup», estime-t-elle. Après une carrière dans l'enseignement, elle a quitté un poste de direction d'un centre de formation à 54 ans. Mais elle ne veut pas prendre une retraite définitive pour autant. «Les gens trouvent que c'est jeune pour prendre sa retraite. En effet, je me sens comme quand j'avais 20 ans et que j'avais la vie devant moi. Si je trouve quelque chose que j'aime, je vais pouvoir le faire pendant 30 ans !» calcule-t-elle.

Pour découvrir ce qu'elle aime, Monick s'est inscrite à plusieurs formations, dont une en synergologie, la discipline qui a pour objet de décoder le langage corporel. Elle a suivi des cours en communication organisationnelle pour travailler dans le domaine culturel, dont elle a toujours été proche. Désirant renouer avec sa créativité, elle a aussi fréquenté l'École nationale de l'humour, où elle a appris les bases de l'écriture des sitcoms. «L'idée n'est pas de jeter mon argent par les fenêtres avec toutes ces formations, assure-t-elle, mais je voulais me donner du temps pour explorer.»

Il aurait été plus risqué pour elle de se lancer à corps perdu dans un projet où l'intérêt et le plaisir se seraient vite étiolés. De ce point de vue, l'exploration a ses avantages. «De nombreuses personnes se cassent le nez en se lançant dans n'importe quel projet - souvent parce qu'elles ont peur du vide - sans prendre le temps de faire un bilan», dit la coach Marie-Paule Dessaint. Le truc : prendre son temps et opter pour des activités de transition, des activités qu'on peut abandonner si, au bout du compte, elles ne nous allument pas. Monick s'est finalement concentrée sur la synergologie. Bientôt, une fois sa formation terminée, elle jumèlera ses nouvelles compétences et l'expertise qu'elle a acquise au fil des ans. «J'ai été dans le milieu de l'éducation pendant près de 30 ans et j'aimerais développer une formation qui aiderait les enseignants à mieux comprendre le langage non verbal de l'élève», explique-t-elle.

«Aujourd'hui, à 65 ans, je dis à la blague que je veux travailler jusqu'à 80 ans.» - Donato Di Tullio, enseignant au Collège de l'Immobilier [Photo: Martin Flamand]

Le travail, c'est la santé

Les heures passées par l'ancienne enseignante sur les bancs de l'École de l'humour ou à tâter de la communication organisationnelle sont d'autant moins perdues qu'elles lui permettent de rester alerte et en bonne santé. Bien des recherches montrent que l'oisiveté à un certain âge nuit à la santé du corps et du cerveau. Selon une étude de l'OCDE, ceux qui cessent complètement de travailler ont plus de risques de perdre de la mobilité, de tomber malades ou de décliner sur le plan intellectuel, après seulement six ans.

Après s'être rendu compte qu'il avait pris une retraite prématurée à 55 ans, il y a une dizaine d'années, Me Donato Di Tullio n'a pas attendu que cela survienne. Cet avocat a touché à tout, tant au droit civil qu'au droit criminel, avant de finir sa carrière dans le commercial et l'immobilier. «La Cour, les clients, les dossiers... je n'en étais plus capable. Ce que je ne savais pas, c'est que j'avais encore besoin de contribuer. Aujourd'hui, je transmets mon savoir au Collège de l'Immobilier. Ça a changé ma vie», explique celui qui a trouvé un second souffle lorsqu'il est retourné au travail. «Aujourd'hui, à 65 ans, je dis à la blague que je veux travailler jusqu'à 80 ans, et vous savez que les blagues peuvent parfois se réaliser. Pour moi, ce n'est pas du travail, c'est du plaisir !»

Âgé de seulement 47 ans, Jean Gagnon commence déjà à penser à ses vieux jours, même s'il est totalement heureux dans son poste de vice-président de l'approvisionnement stratégique chez Atrium Innovations, une entreprise québécoise qui fabrique et commercialise des médicaments naturels. Comme bon nombre de travailleurs, son avenir n'est pas assuré par un fonds blindé et il sait qu'il devra continuer à travailler après 55 ans. Pour combler cette lacune, il devra mettre plus d'argent de côté. Cependant, ce qui le préoccupe davantage, c'est de trouver la bonne façon de le faire : «Certains rêvent d'acheter un vignoble ou de devenir ébéniste, mais si on n'est pas un entrepreneur-né, c'est difficile. Je préfère bâtir sur l'expertise que j'ai acquise et avoir le luxe de choisir des mandats qui m'apporteront une satisfaction», dit-il. Il prend exemple sur un partenaire d'affaires plus âgé de quelques années qui le fait rêver lorsqu'il lui raconte ses multiples voyages d'affaires à titre de consultant.

Une seconde carrière ou le lancement d'une entreprise sur le tard peut être très stimulant. Par contre, cela peut aussi recéler des pièges. Se lancer en affaires peut rapidement devenir un boulet pour une personne de 60 ans. Sans compter que pareille entreprise peut nuire davantage à une situation financière que l'améliorer. Il faut aussi rester réaliste. «Un de mes clients rêvait de devenir consultant tout en passant six mois par année en Floride. Comment voulez-vous bâtir une clientèle si vous êtes absent la moitié du temps !» dit la coach Marie-Paule Dessaint.

L'idéal, selon elle, est de commencer à réfléchir à son projet vers 40-45 ans. «Les gens comprennent qu'ils n'aiment pas leur travail, mais ils ne peuvent pas en changer parce qu'ils ont des personnes à charge», dit-elle. «À la retraite, ils feront souvent les mêmes constats, sauf qu'ils auront plus de latitude pour expérimenter autre chose.»

PRÉVOIR LES COUPS

Comment gère-t-on son épargne à 40-50 ans quand on n'a pas l'intention d'arrêter de travailler à 65 ans ? «Comme si vous aviez l'intention de le faire, répond le planificateur financier Simon Préfontaine. La maladie, l'économie et le marché de l'emploi sont des facteurs indépendants de notre volonté. Il vaut mieux planifier sa retraite comme s'il n'y avait plus de revenu à 65 ans. Si une catastrophe survient à 60-65 ans, il sera trop tard pour vous réorganiser. Vous n'aurez plus "d'années de vaches grasses" devant vous.»

REER, CELI, qu'importe, l'important est d'y contribuer. «Plusieurs articles ont été écrits sur l'optimisation des REER ou des CELI dans un cas X ou un cas Y, mais il est impossible de prévoir les rendements, les taux d'imposition futurs, les futures lois fiscales, etc.», explique Simon Préfontaine. «De plus, ça dépend de facteurs très personnels, comme votre comportement de consommateur. Si vous êtes du genre dépensier, avoir de l'argent dans un CELI, facilement accessible, peut-être nuisible pour la retraite.»

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