Olivier Gamache: l'homme qui fait rimer éthique et bénéfice


Édition de Octobre 2020

Olivier Gamache: l'homme qui fait rimer éthique et bénéfice


Édition de Octobre 2020

«J'ai tout entendu, de "tree-huggers" à communistes. Tout ça pour éviter d'écouter le message.» (Photo: courtoisie)

PROFIL D'INVESTISSEUR. Après 14 ans à la tête du Groupe investissement responsable (GIR), dont il s'est porté acquéreur à 26 ans, Olivier Gamache passe le flambeau à la relève. Fatigué de défendre l'investissement responsable ? S'il admet détester ce terme, l'entrepreneur n'a rien perdu de son engagement. Survol et bilan d'une décennie et demie d'influence positive en finance.

La création de valeur est un concept courant dans le monde des affaires et de la finance. Ce concept est toutefois principalement financier et cela déplaît depuis longtemps à Olivier Gamache.

Pour lui, créer de la valeur, c'est beaucoup plus que de chercher la simple profitabilité. C'est aussi avoir une influence positive en matière d'environnement et de capital humain. À ce propos, il estime qu'il est peut-être en diapason avec les entrepreneurs d'une autre époque, qui se définissaient comme des bâtisseurs. «Parce que bâtir, ça implique un effet positif à long terme, dit-il. Aujourd'hui, on est beaucoup dans le "court-termisme" et ça nous mène vers un mur.»

Bien que sa définition de création de valeur s'apparente à celle du développement durable, il hésite toutefois à s'en réclamer. «Le terme "développement durable" m'agace», avoue-t-il. À son avis, le développement devrait de facto être durable. L'investissement devrait de facto être responsable. Il devrait être évident, pour lui, qu'un investissement doit avoir un rendement environnemental et humain, pas seulement économique. «On a échappé la balle quelque part.»

 

La confiance de la jeunesse

Olivier Gamache a terminé son baccalauréat en 2002. Il étudiait alors en administration des affaires, profil finance, ce qui le préparait à l'analyse financière et à la gestion de portefeuille. C'est effectivement ce qu'il fait au début de sa carrière... jusqu'à ce que ses clients l'interrogent sur les questions de nature sociale.

«C'était les années où Gap et Nike avaient des problèmes avec le travail des enfants. Je n'avais pas été formé pour répondre à ces questions-là», raconte-t-il. En creusant la question, il a découvert de nouvelles mesures et de nouvelles façons d'analyser les entreprises. C'est aussi là que sa définition de création de valeur s'est transformée.

Ces expériences l'ont rapidement amené à faire le grand saut : le 22 mars 2007, il rachète le GIR. «J'avais trouvé mon dada», se souvient Olivier Gamache. De son point de vue de nouveau père ayant atteint la quarantaine l'été dernier, il estime que la décision était audacieuse. «J'avais du front tout le tour de la tête.»

Son entreprise reposait sur trois piliers : la gestion de vote, la recherche et la consultation. La gestion des droits de vote consiste à produire des recommandations de vote ou même d'exercer le vote selon les politiques de ses clients - des investisseurs et des gestionnaires de fonds - au cours des assemblées annuelles des sociétés dont ils sont actionnaires.

La recherche, c'est de développer des modèles d'évaluation et d'effectuer la revue des portefeuilles des clients pour s'assurer qu'ils soient conformes avec leur politique. Le volet consultation inclut finalement plusieurs choses : la formation, le développement de politiques de placement, les conseils sur la création de produits financiers. Le tout, bien sûr, dans le respect des considérations environnementales, sociales et de gouvernance.

Olivier Gamache a entamé cette mission alors qu'il n'était âgé que de 26 ans, et la clientèle du GIR était constituée de grandes caisses de retraite et de gestionnaires de portefeuilles institutionnels bien établis. Bref, des professionnels d'expérience qui, surtout dans un milieu assez traditionnel et conservateur comme celui de la finance, redoutent de voir un jeune sans feuille de route leur dire ce qui ne marche pas dans leur pratique.

«Il y a eu un léger "clash"«, reconnaît Olivier Gamache. Il rappelle que l'investissement responsable était à l'époque plutôt marginalisé. «On n'y voyait rien de sérieux. On parlait d'activisme et on nous étiquetait de toutes les façons. J'ai tout entendu, de "tree-huggers" à communistes. Tout ça pour éviter d'écouter le message.»

À force de répétition, le secteur de la finance a fini par l'entendre. Les investisseurs sont plus réceptifs au message du développement durable et la popularité de l'investissement responsable est à la hausse chez les épargnants. Pour les investisseurs institutionnels, l'évaluation des risques ESG (environnemental, social et de gouvernance) est devenue une nécessité. «Ce qui était une discipline en émergence est maintenant devenu bien établi.»

 

Une «grande fierté»

Après 14 ans à la barre du GIR, Olivier Gamache considère avoir bouclé la boucle. «À l'heure actuelle, on a réussi, je crois, à sensibiliser la plupart, sinon la totalité des acteurs québécois à l'importance de l'investissement responsable», estime-t-il. «Nous avons non seulement appuyé des meilleures pratiques dans des milliers d'entreprises, mais nous avons aussi participé à créer une nouvelle profession de financiers habilités à mettre en oeuvre des concepts comme le développement durable. Ça n'existait pas, jadis, quand j'étais sur les bancs d'école.»

S'il juge avoir le nez un peu trop collé sur son mandat pour être en mesure d'avoir une bonne perspective sur ce qu'il a accompli - il a discuté avec Les Affaires Plus le jour même où il annonçait son départ de la présidence, le 15 septembre dernier -, il dit malgré tout ressentir une «grande fierté» d'avoir contribué à un changement de paradigme dans le secteur.

Il estime maintenant que le moment est venu d'aller contribuer au développement d'autres causes et projets. C'est pour cette raison qu'il a accueilli favorablement, cet été, une occasion de passer le témoin. «Je ne peux pas entrer dans les détails, mais quand j'ai eu cette occasion de faire une transaction qui laisse l'entreprise dans une meilleure posture, avec un potentiel de croissance encore plus important, ç'a été difficile de refuser.»

Ce sont donc deux employés du GIR, Thomas Estinès et Étienne Lamy, qui se sont portés acquéreurs du GIR et qui en reprendront la barre à titre de codirecteurs. L'entreprise a également acquis les activités de gestion des droits de vote de SHARE, une firme basée à Vancouver et à Toronto. Cette transaction fait donc du GIR l'unique fournisseur canadien de services de vote.

Olivier Gamache, pour sa part, restera actif dans l'organisation à titre de président du conseil. Il demeure aussi actionnaire. Par ailleurs, il prévoit consacrer plus de temps à la philanthropie - il est président de la Fondation François Bourgeois - de même qu'à l'accompagnement en gouvernance offert au cabinet Gouvernance Expert, dont il est vice-président et chef de la gouvernance.

Comment Olivier Gamache entrevoit-il l'avenir ? S'il craint que nous répétions les erreurs du passé, il note que les gens sont désormais plus disposés à écouter, et qu'ils parlent davantage de questions sociales et environnementales. «En 2020, un gestionnaire qui ne se soucie pas de ces questions-là ne fait pas une vérification diligente. C'est un beau progrès par rapport à il y a 15 ans.»

Va-t-on revoir la finance, de sorte qu'elle dirige les capitaux vers les entreprises qui vont amener des solutions aux problèmes contemporains, comme celui des changements climatiques ? Olivier Gamache est d'avis que l'occasion est là, mais qu'il faudra selon lui rester vigilants pour ne pas retomber dans nos vieilles habitudes.

À terme, son souhait ultime est un peu curieux : que l'entreprise dont il demeure actionnaire n'ait plus besoin d'exister. Ce sera alors le signe que les problèmes ont été résolus. S'il doute cependant que son rêve se concrétise, il se réjouit de ce qu'il a réussi à accomplir jusqu'à présent, et de voir les choses changer tranquillement. «Aujourd'hui, le GIR a le vent dans les voiles, observe Olivier Gamache. Je pense que si on fait un article comme celui-ci aujourd'hui, c'est le signe que le marché a évolué.»

 

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