Le risque politique et Enbridge


Édition du 26 Octobre 2019

Le risque politique et Enbridge


Édition du 26 Octobre 2019

Par Stéphane Rolland

(Photo: 123RF)

ANALYSE. Avez-vous «gagné» vos élections ? Quand vous aurez ce journal entre les mains, nous connaîtrons enfin le résultat du scrutin. Peu importe ce qu'il sera, l'humeur du lendemain variera grandement d'un électeur à l'autre. Si les «gagnants» poussent un soupir de soulagement, d'autres vivront un accès de déprime en se demandant comment il est possible qu'autant de gens puissent avoir des opinions contraires aux leurs.

En investissement, le «risque politique» crée également son lot d'heureux et de malheureux. Parlez-en aux actionnaires d'Hydro One (H, 24,30 $). Le producteur d'électricité s'est trouvé dans le collimateur des conservateurs ontariens durant la campagne provinciale de 2018 et le titre en a passablement souffert.

En juillet 2018, à peine un mois après son élection, le gouvernement de Doug Ford a mis à la porte le PDG et les membres du conseil d'administration. Puis, il a laissé Hydro One tranquille. Depuis un an, le titre a bondi de près de 25 %. Les actionnaires pris dans la tempête politique n'ont sûrement pas apprécié la rhétorique de M. Ford. Ceux qui ont profité de la faiblesse du titre pour l'acheter au rabais doivent sûrement ne pas lui en tenir rigueur.

La construction d'oléoducs est un autre sujet politiquement sensible. Les désaccords à leurs sujets soulèvent des doutes quant à l'avenir de trois projets d'Enbridge (ENB, 47,15 $), ce qui met l'action de la société de Calgary sous pression. L'entreprise se bute à des obstacles réglementaires au Minnesota pour le remplacement de la ligne 3 et au Michigan pour la construction de la ligne 5. À la fin septembre, la Régie de l'énergie du Canada a ordonné à Enbridge de suspendre son appel de soumissions pour le transport de pétrole sur son réseau principal (Mainline) en raison de craintes d'intervenants, selon lesquels la société pourrait abuser de sa position dominante.

Le pari contraire

Le poids des manchettes négatives sur le prix de l'action a amené Robert Hope, de la Banque Scotia, à adopter une opinion contraire au marché en bonifiant sa recommandation à «surperformance de secteur», le 10 octobre dernier.

M. Hope pense qu'une dissipation des risques politiques, particulièrement en ce qui concerne le remplacement de la ligne 3, allégera la pression sur le titre. Il note qu'il y a eu des développements positifs. La Cour suprême du Minnesota a refusé d'entendre un appel contre le projet. Une procédure réglementaire est également en cours pour corriger certaines lacunes constatées par la Cour. «Le projet n'est pas encore sorti du bois, mais il semble sur la bonne voie», juge-t-il.

L'analyste a bon espoir que le remplacement sera terminé au début de l'année 2021. Il pense que le processus réglementaire se conclura au cours du deuxième trimestre 2020, ce qui permettrait de commencer la construction l'été prochain. Par contre, il estime que le marché n'accorde actuellement aucune valeur à la nouvelle ligne 3 alors qu'elle pourrait valoir jusqu'à 5 $ par action. «À mesure que le projet progressera, nous pensons qu'elle se reflétera dans le prix l'action au cours des neuf prochains mois.»

M. Hope n'est pas le seul à trouver le marché trop prudent. Jeremy Rosenfield, d'Industrielle Alliance, émet une «forte recommandation d'achat» sur le titre. Selon lui, il s'agit d'un investissement qui offre des bénéfices et des flux de trésorerie stables. En incluant le remplacement de la ligne 3, il juge qu'il y a une grande visibilité sur le potentiel de croissance interne. Il souligne que le rendement du dividende surpasse les 6 % et il croit que le dividende par action continuera d'augmenter.

Même dans le camp des prudents, on reconnaît que la prise de risque pourrait être récompensée. «Il y a des risques, sans l'ombre d'un doute, mais l'entreprise est en bonne posture pour croître et les atténuer d'ici 6 à 24 mois», commente Andrew Kuske, de Credit Suisse, qui émet une recommandation «neutre» et une cible de 55 $.

De la volatilité pour encore des mois

Comme le mentionne M. Kuske, l'incertitude pourrait encore durer plusieurs mois. Le remplacement de la ligne 3 n'est pas le seul projet qui se bute à des obstacles. Au Michigan, une communauté autochtone s'oppose au renouvellement de permis pour la portion de la ligne 5, qui passe sous ses terres. Enbridge a une opinion juridique différente, mais elle tente d'arriver à une entente hors cours avec cette communauté. Les discussions pourraient durer un «certain temps», mais M. Hope juge qu'un accord finira par être trouvé.

Toujours au Michigan, la gouverneure de l'État, Gretchen Whitmer, s'oppose au passage du pipeline dans le détroit du Mackinac, une servitude en fonction depuis 1953. La cause est toutefois loin d'être gagnée pour l'élue démocrate, croit M. Hope. Il note qu'il s'agit d'une question qui touche la juridiction fédérale. Pour gagner sa cause, le Michigan devrait prouver qu'Enbridge a fait preuve de négligence pour la portion du pipeline concernée.

Pour ce qui touche la ligne principale au Canada, Enbridge souhaite que 90 % des volumes qui passent par l'oléoduc soient liés à des contrats à long terme pouvant aller jusqu'à 20 ans. M. Hope n'est pas surpris que la Régie de l'énergie du Canada suspende les soumissions en raison de tous les intérêts concernés. L'organisme tiendra des audiences pour déterminer si elle autorise Enbridge à faire signer des contrats à long terme. Si Enbridge n'a pas gain de cause, cela pourrait gruger ses flux de trésorerie de 6 %, estime-t-il. M. Hope croit toutefois qu'Enbridge aura gain de cause d'ici la fin juin, l'échéance de ses précédentes ententes.

Les actionnaires d'Enbridge doivent être prêts à vivre avec la volatilité encore plusieurs mois. Sans ces risques, Enbridge correspondrait au profil d'une valeur refuge. Son industrie est réglementée et la concurrence y est faible. Ses activités procurent des revenus récurrents. Tout ça avec un alléchant dividende de plus de 6 %.

Quand tous les refuges traditionnels comme les services publics et la consommation de base deviennent chers à la Bourse, accepter un peu de volatilité devient le prix à payer pour se trouver un abri.

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