Bienvenue à l'ère des travailleurs nomades!

Offert par Les affaires plus


Édition de Novembre 2018

Bienvenue à l'ère des travailleurs nomades!

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Édition de Novembre 2018

[Photo : Shridhar Gupta, Unsplash]

Bye bye cubicule exigu ou bureau à domicile ! Les travailleurs autonomes n'ont plus d'adresse fixe. Ils butinent d'un espace de travail partagé à l'autre ou font de la planète entière leur poste de travail. Portrait d'une tendance en voie de transformer le monde du travail.

Après deux ans à travailler dans sa maison de Saint-Irénée, dans Charlevoix, Audrée Bélanger, une entrepreneure en communication et marketing, en avait assez. «Je trouvais ma routine ennuyante et je manquais de défis. Rencontrer mes clients à la maison me déplaisait et les cafés ne représentaient pas une solution intéressante à mes yeux en raison de leur manque de confidentialité», dit cette Montréalaise d'origine de 32 ans, qui s'est établie au pays de Menaud il y a sept ans.

C'est pour répondre à ses besoins qu'elle décide, en 2017, en compagnie d'une partenaire, d'ouvrir son propre espace de travail partagé à La Malbaie, baptisé OBuro, le premier du genre dans Charlevoix. Un an plus tard, une demi-douzaine de microentrepreneurs s'y activent, dans un espace épuré et lumineux, avec vue sur le fleuve. «Grâce à ce projet, j'ai réussi à briser mon isolement et à bâtir une équipe autour de moi, tout en conservant mon autonomie», raconte cette diplômée en tourisme.

Finie l'époque des pigistes solitaires travaillant en pyjama dans leur sous-sol. Depuis la création du premier espace de travail partagé à San Francisco, en 2005, les lieux de travail collaboratif à l'image d'OBuro explosent partout dans le monde. Selon les statistiques de Deskmag, un média qui se veut la référence dans le domaine, on comptait 730 espaces de travail partagés sur la planète en 2011, 15 500 en 2017 et, selon les projections, 18 900 à la fin de 2018. Quant au nombre de cotravailleurs, il est passé de 545 000 en 2015 à 890 000 en 2016, et il avoisinera 1,7 million à la fin de 2018. Un sondage réalisé par Deskmag indique que deux tiers des gestionnaires de ces repaires de pigistes et de travailleurs indépendants misent sur une expansion dans les années à venir. Preuve que la vague n'est pas près de s'essouffler.

Au Québec, ces refuges pour travailleurs esseulés se multiplient aussi rapidement que les défaites des Alouettes de Montréal. Leur propagation, d'abord limitée à Montréal, s'étend maintenant à toutes les régions du Québec. En plus de l'exemple de La Malbaie, des villes comme Baie-Saint-Paul, Saguenay, Rouyn-Noranda, Longueuil, Québec et Lévis, pour ne nommer que quelques exemples, possèdent leurs espaces destinés au travail partagé. D'autres sont en phase de démarrage, comme celui de Val-d'Or. Selon le recensement du réseau Coworking Québec, il existait 90 espaces de travail collaboratif en octobre 2018.

Bien sûr, c'est l'arrivée de la technologie Wi-Fi, de plus en plus fiable et puissante, qui rend possible cette façon de travailler à distance. Mais la techno n'explique pas tout. «Cet engouement résulte de la transformation du monde du travail. Les entreprises font de plus en plus appel à la sous-traitance, ce qui précarise l'emploi. On assiste par le fait même à l'émergence d'une nouvelle classe de travailleurs qui évoluent à leur compte et qui sont extrêmement mobiles, contribuant au réaménagement des façons de travailler», explique Emmanuelle Toussaint, auteure d'un mémoire sur le cotravail à l'Université de Sherbrooke et maintenant consultante chez Leaders International.

Créatrice du premier espace de travail partagé à Genève en 2009 et auteure du livre Coworking : réenchanter le travail, Geneviève Morand explique aussi la popularité de ce mode de travail par un changement de paradigme à l'échelle de la direction. «On passe de la notion de contrôle à une relation de confiance. Résultat : on laisse de plus en plus de liberté aux travailleurs, qu'ils travaillent à leur compte ou en entreprise», dit cette experte suisse au téléphone.

Offrant des horaires et des postes de travail flexibles, qui se louent aussi bien à l'heure qu'au mois, ces lieux destinés au travail sont moins chers qu'un bureau conventionnel et permettent de partager les coûts liés aux services, comme l'imprimante, les salles de réunion, la machine à café et la connexion Internet. «On met de l'avant une forme d'économie de partage», explique Éric Monette, fondateur de l'espace Le Cornélien, rue Saint-Denis, dans l'arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie, à Montréal.

Si la formule varie d'un endroit à l'autre, ces adresses possèdent des caractéristiques communes : espaces ouverts sans cubicules, aires de détente avec sofas - qu'on qualifie plus professionnellement de «coin remue-méninges» -, et aménagements favorisant les interactions sociales. «Si on sort de la maison pour venir ici, c'est quand même pour briser l'isolement», dit Gabriel Campeau, fondateur du Tableau Blanc, dans le quartier Saint-Henri, un espace de travail de 5 000 pieds carrés fréquenté par une cinquantaine de personnes.

Véronique Leduc et Audrey Lavoie conçoivent leur magazine, Caribou, dans différents espaces de travail partagés de Montréal. [Photo : Jérôme Lavallée]

Qui sont ces cotravailleurs ? Essentiellement des microentrepreneurs qui ont déjà connu le monde des entreprises, mais qui veulent mener leurs propres projets, explique Geneviève Morand. C'est le cas de Martin Le Bas et de Lauren Rochat, deux ex-salariés qui viennent de fonder BocoBoco, une épicerie en ligne zéro déchet. Pour ces entrepreneurs, louer un bureau conventionnel était hors de question, le budget ne le permettant pas. «Nous avons d'abord tenté de travailler chez l'un ou chez l'autre, mais notre productivité en souffrait par excès de distractions», dit Lauren Rochat, 32 ans.

Les deux collègues pensaient régler leur problème en fréquentant les cafés, mais l'expérience ne leur plaisait pas. «Nous sentions toujours de la pression pour consommer afin de justifier notre présence. Ça nous revenait cher, et en plus, nous devions composer avec les conversations des voisins de table qui se racontaient leur vie sentimentale», dit Martin Le Bas, 32 ans.

C'est ce qui les a amenés finalement au Cornélien, dont l'ambiance s'apparente à un hybride entre le café et la bibliothèque de quartier, où ils filent le parfait bonheur depuis plusieurs mois. «Ici, les gens viennent pour travailler. Ça nous encourage à être plus productifs, et les salles de réunion mises à notre disposition nous permettent de recevoir nos invités de façon professionnelle. Ça fait beaucoup plus sérieux qu'à la maison ou dans un café», explique Lauren Rochat.

S'il existe des habitués de ces espaces, qui les fréquentent une, deux, trois fois par semaine ou y passent l'entièreté de leur temps, d'autres butinent d'un endroit à l'autre, au gré de leurs besoins ou de leurs envies. C'est le cas d'Audrey Lavoie, une des trois propriétaires de Caribou, un média Web et papier producteur de contenu dans le domaine agroalimentaire. «Nous gérons notre entreprise de façon nomade. Chacun d'entre nous travaille de la maison, mais nous nous rencontrons plusieurs fois par semaine dans divers espaces de travail collaboratif, en fonction de nos déplacements. Changer régulièrement de décor nous stimule», explique cette trentenaire.

Le pouvoir de la communauté

L'essence même du travail collaboratif, son véritable attrait, ce n'est pas simplement une table de travail dans un espace ouvert et lumineux avec une cafetière italienne. C'est la possibilité de faire partie d'une communauté. «C'est ce qui fait leur véritable valeur ajoutée», affirme Emmanuelle Toussaint. Toutefois, il ne suffit pas de peinturer, en grosses lettres sur les murs, les mots «partage», «communauté» et «échange» pour qu'il existe un véritable sentiment d'appartenance. «C'est le rôle des gestionnaires de développer cet esprit. Ceux-ci doivent agir comme des connecteurs», affirme l'auteure.

L'esprit de communauté est pris au sérieux chez ECTO, né en 2009 sur le Plateau-Mont-Royal, qui se targue d'être le plus vieil espace de travail partagé encore en activité au Québec. Chaque jeudi midi, c'est le repas communautaire. Tous les cotravailleurs apportent un ingrédient en vue de concocter des salades à partager autour d'une grande table. «Des membres, car il s'agit ici d'une coop, se déplacent uniquement pour cette activité», affirme Jessica Chin, coordonnatrice chez ECTO. Nouvelle recrue, Sarah Chevassus, 39 ans, propriétaire d'une école de krav-maga, une discipline d'autodéfense, y a rapidement trouvé son compte. «J'y ai découvert de nouvelles possibilités que je n'avais pas lorsque je travaillais de la maison», raconte cette entrepreneure.

Au Tableau Blanc, dans Saint-Henri, Alexandra Bultel, à la tête de Miixcity, une plateforme en démarrage destinée aux activités sociales, vante les possibilités de partenariats. «On échange entre entrepreneurs, on s'entraide, on se met au défi. Toute cette effervescence contribue à l'évolution rapide de nos projets», dit cette entrepreneure d'origine belge. «J'ai maintenant le sentiment d'appartenir à une communauté d'affaires, ajoute Audrée Bélanger, d'OBuro. On partage de l'information et on réalise même des contrats en équipe.» De là peuvent naître des projets communs, ce qu'on appelle dans le jargon du milieu de la cocréation. «Il y a beaucoup d'entreprises qui sont issues de ces milieux de travail. Pour cette raison, nous voulons nous faire reconnaître comme des incubateurs d'entreprises auprès des instances gouvernementales», affirme Gabriel Campeau, du Tableau Blanc.

Le hic, c'est que l'esprit de communauté, fortement valorisé par les promoteurs du travail partagé, ne se résume souvent qu'à un argument de vente. «C'est complètement galvaudé. Dans l'espace de coworking où j'ai travaillé pendant un an, tous les gens avaient des écouteurs vissés sur les oreilles. C'était chacun pour soi. Les échanges étaient limités, voire inexistants», clame un entrepreneur désabusé qui a redéménagé à domicile. Un autre témoignage vilipende le manque de savoir-vivre de certains cotravailleurs. «Ils parlent à tue-tête et dérangent tout le monde. Les animateurs devraient faire de la discipline», dit cet ex-cotravailleur déçu, lui aussi de retour dans son foyer.

D'où l'importance de magasiner son espace. Chaque lieu possède son identité. Certains se spécialisent dans une niche précise, comme les jeunes pousses en informatique, dans le but de maximiser les synergies. D'autres vantent au contraire la diversité de leur clientèle (avocats, ingénieurs, artistes, par exemple) ou encore misent sur une panoplie de services, comme des formations, pour attirer et conserver leur clientèle. «Le cotravailleur doit chercher une communauté avec laquelle il trouve des affinités. L'erreur est d'aborder ces lieux comme un bassin de clients potentiels», met en garde Geneviève Morand.

Nouvelle réalité du monde du travail, le travail collaboratif est en constante redéfinition. Des joueurs de plus en plus costauds, comme la société américaine WeWork, investissent ce marché, concurrençant des entrepreneurs indépendants, comme Éric Monette et Gabriel Campeau, et les coopératives comme ECTO. «Le modèle d'affaires est encore très jeune. De nouveaux services seront créés pour les travailleurs. D'autres pourraient disparaître. Peut-être qu'à l'avenir, même les entreprises enverront leurs employés dans ces espaces afin de réduire leurs frais immobiliers tout en stimulant la créativité de leur personnel», analyse Gabriel Campeau.

Évolution ou révolution du monde du travail, quel est l'avenir de ces espaces ?

Déductible ou non?

Vous avez un bureau à domicile, mais vous aimez briser l’isolement en fréquentant un espace de travail partagé. Qu’est-ce qui est déductible : votre bureau à domicile, votre loyer dans l’espace de travail partagé ou les deux?

Le principe de base, c’est qu’une dépense engagée dans le but de générer un revenu est automatiquement déductible. « Donc, la location d’un bureau, qu’il soit un bureau conventionnel ou un espace de travail collaboratif, entre dans cette catégorie », explique Sylvain Chartier, fiscaliste et planificateur financier chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

Si vous avez un bureau à la maison, vous pouvez déduire une fraction des frais courants, calculée en fonction de la superficie qu’occupe votre bureau, comme dépense d’entreprise. Ces frais, comme l’indique le guide Vous, votre famille et le fisc, publié par la firme comptable KPMG, comprend le loyer (pour les locataires), les intérêts sur le prêt hypothécaire, l’impôt foncier, l’assurance résidentielle et certains services publics.

Ça se complique si vous partagez votre temps entre un espace de travail collaboratif et un bureau à domicile, tendance lourde chez les travailleurs nomades. « Pour avoir droit à la déduction pour bureau à domicile, votre maison doit être considérée comme votre principal lieu d’affaires, où votre bureau doit être utilisé exclusivement pour votre entreprise. Donc, si vous avez un bureau à l’extérieur, on pourrait refuser les dépenses liées à votre bureau à domicile », avertit le fiscaliste.

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