Où investir dans le secteur malmené des fonds immobiliers
Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑juin 2020Les temps sont durs pour le secteur immobilier. De grandes sociétés remettent en question la nécessité d'occuper ...
Les temps sont durs pour le secteur immobilier. De grandes sociétés remettent en question la nécessité d’occuper ces coûteux espaces de bureau en ville quand le télétravail remporte un succès inespéré. Plusieurs commerçants peinent à payer leur loyer. Certains économistes prévoient même un repli des loyers résidentiels, une hausse des défaillances hypothécaires et un déclin de la valeur des maisons au pays. Les fonds immobiliers ont rebondi en avril et en mai, mais nos trois experts interrogés demeurent prudents.
Pourquoi le stratège Martin Roberge reste-t-il sur les lignes de côté pour l’instant ?
Il est encore trop tôt pour miser sur les fonds de placement immobilier à capital fermé (FPI) nord-américains, croit Martin Roberge, de Canaccord Genuity. Les titres ont récupéré une bonne partie des pertes subies en mars, comme le reste du marché, mais il serait préférable d’attendre que la reprise soit bien enclenchée avant d’y retourner, selon lui.
Les cycles passés suggèrent que les indicateurs d’activité économique doivent se stabiliser et remonter au-dessus de la barre de 50 (le seuil à partir duquel la croissance est de retour) avant que les FPI performent mieux que le marché sur un horizon de 6 à 12 mois, précise le stratège quantitatif. Cet indicateur était tombé à 33 en avril.
L’évaluation des fonds immobiliers a certes dégonflé, passant d’un ratio de 20 à 14 fois le bénéfice d’exploitation entre le sommet de février et le creux de mars. À 14,8 fois au moment de mettre sous presse, le secteur n’est pas particulièrement bon marché. Surtout, dit-il, si l’on croit que les propriétaires immobiliers n’ont pas encore ressenti tous les effets potentiels de la pandémie sur l’emploi et les loyers. Les divers plans de sauvetage des gouvernements soutiendront les locataires jusqu’à l’automne, mais la suite est plus incertaine, ajoute le financier.
Les FPI sont tombés de 47 % entre le 20 février et le 23 mars, une rare dégelée pour ce secteur. C’est presque autant que la chute de 51 % observée lors de la récession de 1990-1991, mais moins que la cassure de 66 % subie pendant la crise financière de 2008-2009, dont l’épicentre était le secteur immobilier américain.
Maintenant que ces fonds ont corrigé des excès, ils pourraient connaître une période de «surplace» en Bourse parce que les achats des investisseurs institutionnels créent une demande naturelle pour ces titres. Le rendement moyen de 4,7 % de la distribution des FPI se compare à celui de 0,7 % pour les obligations canadiennes de 10 ans.
Martin Roberge joue la carte de la prudence. Le secteur immobilier arrive de très haut et l’évaluation tient peu compte de la réalité de l’après-pandémie. On pourrait voir un affaiblissement de la demande pour les espaces de travail et une stagnation des loyers, en même temps que les coûts d’exploitation des propriétaires augmentent.
«Il faut garder en tête aussi que la récession survient au moment où le consommateur canadien est très endetté. La consommation pourrait rester à la traîne des autres secteurs dans la reprise au lieu de mener la charge cette fois», explique le stratège.
Le financier Andrew Moffs mise sur des fonds bien positionnés aux bons endroits
La récente glissade des FPI en Bourse rappelle que ces placements peuvent souffrir même lorsque la faiblesse des taux d’intérêt est à leur avantage. En fin de compte, le secteur se plie à la loi de l’offre et de la demande, affirme Andrew Moffs, vice-président principal du gestionnaire de fonds immobiliers privés Vision Capital.
«Les bas taux sont favorables pour les acheteurs et les propriétaires quand vient le moment de se financer, mais les FPI ont surtout besoin d’une bonne économie pour bien performer, comme tous les autres placements», nuance le portefeuilliste.
Aussi, la pandémie accentuera sans doute les tendances lourdes telles que le déclin de la demande pour les espaces à bureaux traditionnels ou encore de l’achalandage dans les centres commerciaux.
Vision Capital ne dévie pas de sa stratégie : acheter des FPI qui bénéficient de tendances durables et qui s’échangent au rabais par rapport à leur valeur d’actif net à long terme. «Cette mesure prévaut lors de transactions dans l’industrie des FPI. Cet étalon est préférable aux autres évaluations qui mettent l’accent sur les flux financiers imprévisibles. Cela évite à l’investisseur d’être ébloui par le rendement élevé des distributions courantes, par exemple. Encore faut-il que la valeur d’actif net croisse au fil du temps. À cet égard, les FPI résidentiels et industriels sont plus susceptibles d’y parvenir à moyen et à long terme», soutient le financier.
Vision Capital ne cherche pas de refuges à court terme, mais Andrew Moffs signale que ces deux segments de l’immobilier offrent tout de même une certaine protection au cas où l’enthousiasme suscité par le déconfinement et l’espoir d’un vaccin se renverserait plus tard cette année.
Un FPI d’appartements, par exemple, peut gagner en valeur même lorsque l’économie est au neutre. C’est le cas dans les secteurs où l’offre est inférieure à la demande. «Le simple taux de roulement des locataires donne aux propriétaires l’occasion de relever les loyers plus près de ceux du marché environnant en période de prospérité et au rythme de l’inflation dans les moins bonnes lorsque leurs occupants déménagent», dit-il.
Au Canada, le ralentissement de l’immigration pourrait réduire la demande pour les appartements et freiner la hausse des loyers à court terme. Par contre, un possible affaissement de la construction neuve pourrait venir contrebalancer la diminution de la demande et protéger ainsi les revenus de loyers existants.
Dans ce créneau, Vision Capital détient Canadian Apartment Properties REIT (CAR.UN, 48,45 $). Parmi les fonds résidentiels et industriels, le gestionnaire préfère les FPI dont les espaces locatifs se situent dans des marchés en croissance. Ainsi, il a investi dans plusieurs sociétés immobilières dont les actifs sont majoritairement aux États-Unis, en particulier au Texas, un État où les impôts avantageux attirent des sièges sociaux et des travailleurs. La population de la région de la Sun Belt américaine croît nettement plus vite qu’ailleurs aux États-Unis.
Le FPI BSR REIT (HOM.UN, 14,70 $) est un titre «très abordable» pour participer à ces marchés par ses complexes multirésidentiels munis de jardins et de piscines aux loyers abordables, précise le gestionnaire. «Ses appartements à bon prix attirent les travailleurs qui s’installent dans les États du Sud. Ce modèle d’affaires devrait se montrer plus résilient que les complexes plus luxueux des autres promoteurs», raconte Andrew Moffs.
Le secteur multirésidentiel bénéficie de l’appui financier des agences Fannie Mae et Freddie Mac, ce qui n’est pas le cas des autres segments immobiliers.
En plus, BSR profite des coûts d’emprunt avantageux pour vendre ses plus vieux complexes dans des marchés secondaires et en acheter d’autres de plus haute qualité dans les marchés plus prisés.
Le propriétaire et gestionnaire de résidences individuelles et d’appartements locatifs au Canada et aux États-Unis, Tricon Capital Group (TCN, 9,23 $) fait aussi partie de ce thème aux côtés du géant américain American Homes 4 Rent (AMH, 27,61 $ US). «La distanciation sociale ravive l’intérêt des familles pour les maisons unifamiliales», note Andrew Moffs.
Les fonds de Vision Capital détiennent aussi WPT Industrial REIT (WIR.UN, 17,72 $), dont les 10 propriétés américaines occupent 32 millions de pieds carrés. Ses entrepôts bénéficient de la demande croissante de stockage de la part des détaillants en ligne et des entreprises désireuses d’entreposer des pièces pour protéger le cycle de production de leurs usines, après la pandémie.
Le taux d’occupation de 97,3 % est élevé tandis que seulement 1 % de ses baux échoient en 2020.
À Atlanta, le plus important exploitant d’entrepôts réfrigérés du monde Americold Realty Trust (COLD, 35,31 $ US) est aussi tombé dans l’oeil du gestionnaire. Il est coûteux de construire et d’entretenir ces bâtiments essentiels à la chaîne d’approvisionnement des producteurs alimentaires. Avec ces 183 entrepôts, la société dispose d’un avantage concurrentiel important, selon lui.
Pour faire face à l’incertitude, L’analyste Howard Leung propose DES fonds solides à court et à long terme
Les fonds de placement immobilier (FPI) font face aux mêmes risques que l’économie et de la Bourse, indique Howard Leung. Un retour graduel à la normale serait le scénario le plus avantageux, mais une deuxième vague de la COVID-19 ou encore le retard d’un vaccin à grande échelle fragiliserait les FPI à nouveau.
«La trajectoire imprévisible de la pandémie accentue les risques. Il est tout aussi difficile d’imaginer ce qui adviendra de la demande pour l’immobilier commercial à moyen et à long terme», fait valoir Howard Leung.
L’incertitude est telle que l’analyste juge plus sage de se concentrer sur les segments de l’immobilier offrant un bon rapport risque-rendement, à court et à long terme.
Howard Leung préfère donc deux FPI qui cumulent des caractéristiques offensives et prudentes et dont les dirigeants sont de bons répartiteurs de capital.
Le fonds immobilier industriel Granite REIT (GRT.UN, 67,05 $) est l’un de ces choix. Ce FPI a bien changé depuis son entrée en Bourse, en 2003, alors qu’elle était une filiale du fabricant de pièces automobiles Magna International (MG, 62,36 $).
Granite et Magna sont des entités séparées, mais les usines du géant automobile restent un important locataire de «qualité» qui lui fournit 38 % de ses loyers. Le rebond rapide du titre de 65 % depuis le 23 mars tient au fait qu’Amazon (AMZN, 2654,56 $ US) lui procurent 7 % des loyers.
Les commerçants en ligne qui louent ses entrepôts, dont le détaillant de meubles et d’articles de décoration Wayfair (W, 175,89 $ US), lui procurent la moitié de ses revenus, estime l’analyste.
Granite est populaire en Bourse en raison de sa solide situation financière. Aucune de ses 85 propriétés n’est grevée d’une hypothèque. Sa dette à long terme de 1,3 milliard de dollars se compose de débentures dont les intérêts tournent autour de 1 %, précise l’analyste. «Le fonds, qui a des établissements en Amérique du Nord et en Europe, prévoit encore une croissance des revenus par propriété comparable en 2020, malgré la pandémie. C’est signe qu’il gagne des locataires et peut augmenter ses loyers», ajoute-t-il.
D’ailleurs, Granite profite de sa popularité pour émettre 251,6 millions de dollars en nouvelles parts. «Avec ces fonds, Granite vient d’acheter huit propriétés industrielles aux États-Unis dont les loyers sont inférieurs à ceux du marché local. Ces achats et d’autres projets ajouteront aux flux générés par l’exploitation par part à long terme», soutient Howard Leung.
Dans le segment mal-aimé des fonds voués au commerce de détail, Howard Leung propose Crombie REIT (CRR.UN, 13,56 $), qui fait partie du groupe Empire (EMP.A, 30,05 $), la société de portefeuille propriétaire des épiceries Sobeys, FreshCo, Safeway, Thrifty Foods et IGA.
Le titre était particulièrement attrayant, affichant un cours de 9 $ pendant la chute printanière, mais son évaluation reste inférieure à ce qu’elle a déjà été.
Les trois quarts de ses loyers proviennent des épiceries, des pharmacies et des marchands essen- tiels tels que Dollarama (DOL, 49,22 $).
«Le taux d’occupation élevé (95,5 %) et les baux de 10 ans et plus donnent une bonne visibilité à la croissance des revenus par propriété comparable», dit-il.
Crombie participe aux projets d’Empire, notamment la construction pour 100 millions de dollars du centre de distribution robotisé de Pointe-Claire, où seront préparées les commandes en ligne d’IGA au Québec.