Le CELI de François Gariépy : se concentrer pour régner?
Jean Décary|Édition de la mi‑septembre 2024Le manutentionnaire à la retraite de 62 ans invite les investisseurs qui commencent à faire preuve de patience. (Photo: courtoisie)
PLEINS FEUX SUR MON CELI est une rubrique où des investisseurs individuels partagent avec nous leurs bons et mauvais coups en investissement tout en soumettant leur portefeuille à l’analyse d’un pro. Pour participer, écrivez-nous à denis.lalonde@groupecontex.ca.
(Illustration: Camille Charbonneau)
Avec un diplôme d’études secondaires, un emploi de manutentionnaire et des habitudes d’épargne qui, de son propre aveu, laissaient place à l’amélioration, cet homme de Boucherville, retraité depuis quatre ans d’une entreprise aéronautique, n’aurait jamais envisagé de disposer un jour d’un portefeuille boursier frisant le million de dollars.
« Je dois me pincer, je me considère chanceux, mais on dit aussi qu’il faut savoir faire sa chance. J’ai misé sur le bon cheval et j’ai eu la sagesse de patienter et de ne pas paniquer. »
En effet, les choses auraient pu vite tourner au vinaigre. Sur les conseils de son oncle qu’il admire, il tente un premier essai en Bourse au tournant des années 2000 qui s’avérera un bide total. Il en ressort désenchanté et amer. « J’avais investi 25 000 $ d’un REER que j’avais durement accumulé. J’avais acheté entre autres des titres de Nortel et de Bombardier (BBD.B, 91,30 $). Après le 11 septembre 2001, il devait me rester 7000 $. » Il se console en se disant qu’il pourra au moins se rabattre sur la caisse de retraite du travail quand il quittera son emploi… après 35 ans de services.
Le décès de sa mère, qui survient pendant la crise financière de 2008‑2009, change la donne. Le petit héritage qu’elle lui lègue lui fournit la poudre sèche pour investir alors que les marchés boursiers sont au plancher.
« J’ai investi 50 000 $ dans Apple (AAPL, 226,99 $ US) au moment où le titre était malmené. »
Peu de temps après, c’est son frère qui décède et qui lui lègue un héritage. « Avec ces 25 000 $ j’ai racheté du Apple. »
Le titre de l’entreprise de Cupertino a obtenu un rendement de plus de 4000 % depuis 2009 et a fractionné son action deux fois pendant la période, en 2014 (7-1) et en 2020 (4-1). « Apple m’a permis d’avoir une belle retraite, une belle maison, un beau terrain et de belles voitures. »
L’achat d’un terrain et d’une roulotte en Floride avant que ne frappe la pandémie l’a forcé à se départir d’une partie de ses actions de l’entreprise californienne.
Il détient maintenant dans son CELI uniquement des actions du géant des oléoducs Enbridge (ENB, 53,50 $), de Calgary, qui lui paie un dividende annuel d’un peu plus de 19 000 $, libre d’impôt. Ses autres positions, soit Apple et BCE (BCE, 47,28 $), se retrouvent dans son REER et son compte sur marge. Il est conscient d’être très concentré. « C’est cette concentration qui m’a permis d’avoir le succès que j’ai eu. Je considère solides les entreprises que je possède et je sais aussi que je peux compter sur ma caisse de retraite. »
Il ne souhaite pas laisser croire que son histoire fut parfaite. Il évoque ses ratés dans les titres de cannabis, mais aussi l’achat de la nouvelle coqueluche, Nvidia (NVDA, 128,54 $ US), alors que le titre se négociait au rabais autour de 2016‑2017. « Si je n’avais pas vendu, mon investissement de 10 000 $ vaudrait aujourd’hui beaucoup plus. » Il invite les investisseurs qui commencent à faire preuve de patience. « Si tu n’es pas prêt à garder la tête froide pendant les creux boursiers, mieux vaut laisser ton argent dans le congélateur. »
Dans l’œil du pro
Vincent Fournier, gestionnaire de portefeuille à Claret, félicite l’investisseur d’être demeuré investi longtemps. « Des études ont prouvé que le rendement est inversement proportionnel au nombre de transactions… Plus tu conserves tes actions longtemps, meilleur est ton taux de succès. » Mais pour que cela se réalise, précise-t-il, le portefeuille doit être conçu de manière optimale… ce qui n’est pas le cas ici, malheureusement.
Ce CELI est l’exemple parfait du « biais des survivants ». « La seule et unique raison pour laquelle il est sous la loupe aujourd’hui, c’est qu’il a survécu. » La stratégie de concentration, quand elle fonctionne, peut être payante, mais son taux de succès est très faible. « Combien ont tout misé sur Nortel, sur Kodak, sur Bre-X Minerals, sur Enron et j’en passe ? En rétrospective, ces erreurs étaient évitables… »
Il rappelle qu’un portefeuille ultraconcentré s’expose au risque que l’entreprise subisse un revers de fortune. « Celui-ci peut survenir sous diverses formes qui ont un seul et même résultat : une chute importante et souvent insurmontable de la valeur du titre. »
Il peut s’agir d’une fraude, d’une catastrophe naturelle, d’un changement technologique, d’une modification des comportements des consommateurs, d’un changement légal, etc.
La bonne nouvelle est que ce type de risque peut être mitigé grâce à une bonne diversification. « On peut frauder une société, mais pas 50 entreprises en même temps. » Il y a quelques règles d’investissement qui doivent être immuables et les investisseurs qui ne les respectent pas s’exposent à d’importants risques. « La diversification est l’une d’entre elles. »
Il met en garde l’investisseur contre l’attrait aveugle du dividende. « C’est une donnée parmi d’autres. Il ne faut pas baser uniquement la valeur d’un titre sur celle de son dividende. Il arrive parfois que le dividende soit coupé ou carrément éliminé, même pour des titres vedettes (blue chips). » Il rappelle qu’un bon portefeuille combine plusieurs stratégies pour exceller dans le temps : croissance, valeur, dividende, etc.