Bien évaluer la solvabilité d’une entreprise en Bourse
Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑avril 2020GUIDE DE SURVIE. C’est à marée basse que l’on voit le bois mort apparaître. Ce dicton s’applique parfaitement...
GUIDE DE SURVIE. C’est à marée basse que l’on voit le bois mort apparaître. Ce dicton s’applique parfaitement à la crise de la COVID-19.
En période de prospérité, la progression des bénéfices est ce qui attire le plus l’attention des investisseurs. Le recours à la dette est même récompensé quand il sert à accélérer la croissance des entreprises en expansion. En temps de récession, par contre, le bilan et la solvabilité des sociétés reprennent leur importance puisque tous cherchent à déterminer celles qui sont les plus aptes à surmonter la tempête. Voici des repères pour aider les investisseurs à mieux évaluer la solidité des entreprises cotées en Bourse.
Le modèle d’affaires avant tout
Avant même de se pencher sur les ratios du bilan, l’investisseur doit bien comprendre le modèle d’affaires des entreprises, car certaines consomment beaucoup de capitaux, et d’autres, peu.
Moins une entreprise a besoin d’investir dans ses immobilisations ou dans ses dépenses fixes pour rester en affaires, plus elle est en mesure de traverser une période de déclin des revenus et des profits.
Cette marge de manœuvre explique pourquoi la firme de gestion de portefeuille Cote 100 préfère en tout temps les sociétés dont le mode de fonctionnement exige peu de dépenses en capital, indique Philippe Le Blanc, chef des placements de Cote 100.
À l’exception des transporteurs aériens, les croisiéristes sont probablement le contre-exemple le plus extrême de la flexibilité financière. Avec une dette de 6,8 milliards de dollars américains (G$ US), dont 746 millions de dollars américains (M$ US) qui échoient à court terme, Norwegian Cruise Lines a rapidement été obligée de puiser dans sa marge de crédit de 675 M$ US auprès de J.P. Morgan pour rester à flot.
En revanche, Groupe CGI, qui offre des services de consultation et d’impartition en TI requiert peu de dépenses en immobilisations, à l’exception des centres de données, note Philippe Le Blanc. Les dépenses en immobilisations représentent seulement de 2 % à 3 % des revenus.
De plus, moins les coûts d’une entreprise sont fixes, plus celle-ci est « capable de s’ajuster rapidement lorsque les revenus baissent », ajoute-t-il. À cet égard, plus de 80 % des coûts de CGI sont variables.
Les entreprises de services sont donc avantagées par rapport aux manufacturiers, puisqu’il est impossible pour une usine de fabriquer ses produits de la maison. Il va de soi qu’une entreprise qui n’a pas de dettes et qui dispose de liquidités au bilan pourra mieux traverser une crise. « C’est la même notion que pour un particulier. Celui qui vit au jour le jour et qui n’a pas de fonds pour couvrir six mois de dépenses aura bien du mal à s’en sortir », ajoute le chef des placements de Cote 100.
Le fameux ratio dette-BAIIA
Ce ratio est le plus commun dans les rapports de recherche pour évaluer l’endettement des entreprises. Il divise la dette totale par le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA).
Cette mesure a des défauts, mais elle a l’avantage de faciliter la comparaison entre les entreprises d’industries différentes puisque l’amortissement des immobilisations est une dépense comptable qui n’exige pas de sorties de fonds.
Plus ce ratio est bas, mieux c’est.
Une entreprise qui aurait une dette de 4 G$ et un BAIIA de 1,8 G$ afficherait un ratio de 2,2 fois. Autrement dit, cette société pourrait rembourser sa dette en un peu plus de deux ans si elle y consacrait toutes ses ressources financières.
De façon générale, les financiers deviennent plus vigilants lorsque le ratio dépasse 2,5 fois, mais tout dépend encore une fois de l’industrie et du mode de fonctionnement de l’entreprise. Un ratio de 3 fois est la limite acceptable dans des circonstances normales, mais « en ce moment, un ratio maximal de 2,5 fois est plus prudent », juge Philippe Le Blanc.
Soulignons que la dette, en soi, n’est pas indésirable, particulièrement si elle sert à des acquisitions rentables. « Le PDG d’Alimentation Couche-Tard [Brian Hannasch] a rappelé, lors de la téléconférence, en mars, que la société a réalisé ses meilleurs coups en période trouble », a ajouté Philippe Le Blanc.
Chez Mawer Investment Management, l’équipe de gestionnaires opte pour deux mesures. Le ratio dette-BAIIA pour les entreprises peu gourmandes en capital et un autre ratio de dette-BAII (qui exclut les amortissements du calcul) pour celles qui dépensent beaucoup pour maintenir leur actif productif.
« Un ratio inférieur à 3 fois est adéquat, mais nous préférons un ratio de 2 fois et moins parce qu’en pleine crise boursière, l’équité de l’entreprise est dévaluée rapidement alors que la dette ne bouge pas », indique le gestionnaire Jeff Mo.
Alain Chung, de Gestion de placements Claret, préfère de loin le ratio dette-BAII, qui reflète mieux la capacité de l’entreprise à générer des bénéfices avant de payer ses impôts et ses intérêts.
Il faut bien comprendre la nature du bilan, insiste le gestionnaire de portefeuille. Les gouvernements laissent les entreprises déprécier annuellement la valeur de leurs actifs, mais il faudra pourtant un jour les remplacer. C’est une véritable dépense pour l’entreprise dont le BAIIA ne tient pas compte. « Un prêteur peut saisir une maison ou une auto si l’emprunteur ne peut plus payer. Ce n’est pas le cas pour l’actionnaire », illustre Alain Chung.
Encore une fois, tout est relatif. Un fournisseur d’électricité, par exemple, peut soutenir une dette plus élevée parce que ses infrastructures ont une longue durée de vie et lui assurent des revenus assez prévisibles. Les gouvernements réglementent les tarifs à l’aide de formules qui s’ajustent aux coûts du service, incluant les frais d’intérêts sur la dette. « Plus la certitude des revenus futurs est élevée, plus on peut tolérer un ratio d’endettement élevé », dit-il.
Le fonds de roulement
Même une entreprise rentable peut faillir si elle épuise ses réserves de liquidités et ne peut plus s’acquitter des factures liées à son exploitation quotidienne. Certaines doivent parfois financer les stocks et les comptes fournisseurs pour générer des revenus.
Le ratio du fonds de roulement ou ratio de liquidité générale est la différence entre les actifs et les passifs à court terme. Ce ratio reflète la capacité d’une entreprise à faire face à ses obligations dans une échéance de 12 mois et moins.
Outre les stocks et les comptes fournisseurs, ces dépenses courantes incluent la marge de crédit d’exploitation courante, la portion à court terme à rembourser de la dette à long terme, ainsi que les charges d’impôts à verser à court terme. Un ratio supérieur à deux fois est une note parfaite, indique Philippe Le Blanc, de Cote 100.
Le grossiste de quincaillerie architecturale Quincaillerie Richelieu dépasse de loin cette marque, avec un excellent ratio de 4,6, cite en exemple Philippe Le Blanc.
Un ratio inférieur à 1 indique que l’entreprise a du mal à payer ses factures. Même si une société affiche un ratio supérieur à 1, elle peut éprouver des difficultés selon la rapidité avec laquelle elle peut vendre ses stocks et recouvrer ses comptes clients.
Philippe Le Blanc rappelle que les institutions sont indulgentes pendant la crise de la COVID-19. De plus, les gouvernements donnent un coup de main financier aux entreprises touchées par les décrets de confinement et de fermeture.
N’oubliez pas les échéances
L’échéance de la dette est un autre facteur important à considérer puisqu’il peut être difficile de refinancer une dette en pleine récession, soutient Stephen Takacsy, de Gestion d’actifs Lester. Une trop grande proportion de dettes qui échoient à court terme peut faire toute une différence en Bourse. Le gestionnaire de portefeuille de Montréal donne en exemple le contraste entre les propriétaires d’immeubles d’appartements Boardwalk et Minto.
Le fonds de placement immobilier Boardwalk a plongé de 68 % par rapport à son sommet annuel parce que 316 M$ de ses dettes échoient d’ici 12 mois.
La chute de 39 % du fonds Minto a été moins prononcée parce que seulement 26 M $ de ses dettes viennent à échéance dans la prochaine année.
Ce n’est pas la seule raison de cette divergence. Les appartements de Boardwalk se situent surtout en Alberta, où l’économie souffre énormément de la dégringolade du cours du pétrole. Minto est plus présente dans le marché stable d’Ottawa.
Jeff Mo, de Mawer, préfère aussi les entreprises qui ne sont pas à la merci des banques ou du marché des capitaux pour rééchelonner une dette qui viendrait à échéance avant que l’économie ne soit rétablie. En principe, plus les échéances sont éloignées, moins grands sont les risques, conclut Philippe Le Blanc.