Vos placements se limitent-ils à votre voisinage?

Publié le 02/12/2015 à 11:15

Vos placements se limitent-ils à votre voisinage?

Publié le 02/12/2015 à 11:15

Le célèbre investisseur Peter Lynch a popularisé le concept « Achetez ce que vous connaissez » comme un conseil simple et intuitif à l'usage de l'investisseur moyen. Les Canadiens, comme les investisseurs locaux dans d'autres marchés, ont tendance à le suivre et à accorder leur préférence aux actions canadiennes plutôt qu'aux actions mondiales, dans le cadre de ce qu'on peut appeler le favoritisme national.

Toutefois, le problème est que ce que l'on ne connaît pas est parfois meilleur que ce que l'on connaît. Bien que certains arguments fort sensés militent en faveur des actions canadiennes, comme un horizon de placement à court terme ou nos besoins en matière de revenu, le favoritisme national est souvent issu de caprices de l'histoire, de partis pris comportementaux et d'une méconnaissance des risques à encourir si on investit au niveau mondial.

Le favoritisme national est la tendance qu'a un investisseur de concentrer son portefeuille dans son propre pays. Pour les Canadiens qui investissent dans les actions, le favoritisme national consisterait à détenir un pourcentage plus élevé d'actions canadiennes que ce qui se trouverait dans le portefeuille d'un investisseur étranger. Il est habituel pour les Canadiens de détenir davantage d'actions canadiennes que d'actions étrangères, mais on aurait du mal à trouver un tel positionnement chez un investisseur hors du Canada.

Bien entendu, ce parti pris n'est pas réservé aux Canadiens. Les investisseurs d'autres pays comme l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni entretiennent des préférences comparables pour leurs propres marchés nationaux.

Pour illustrer ce que veut dire le favoritisme national dans le contexte canadien, songez qu'au 30 septembre 2015, le marché boursier canadien ne représentait que 3,4 % de la capitalisation boursière de l'Indice MSCI Monde, qui englobe toutes les économies développées comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Europe et le Japon. Ce nombre chute à 3 % si on y inclut les économies des marchés émergents comme la Chine, le Brésil, le Mexique et l'Inde. En revanche, les investisseurs canadiens affectent en moyenne 62 % aux actions canadiennes (chiffres au 31 décembre 2014 fournis par le Fonds monétaire international et la World Federation of Exchanges). Alors, pourquoi les investisseurs font-ils pencher leur portefeuille de façon disproportionnée vers les actions canadiennes et sous-pondèrent-ils l'univers des actions mondiales?

Les raisons du favoritisme national au Canada

Il s'agit en partie de raisons historiques. Jusqu'en 2005, le gouvernement fédéral limitait les investissements en actifs étrangers dans les régimes de retraite à l'abri de l'impôt comme les REER et les régimes collectifs de retraite à 30 % du portefeuille. Par conséquent, les particuliers investissaient la vaste majorité de leurs avoirs au Canada (à la fin de 2004, les Canadiens détenaient environ 75 % de leurs placements en actions au Canada). Et bien que le favoritisme national ait baissé à la suite de la suppression de cette règle, il n'y a certainement pas eu de mouvement en masse vers les placements mondiaux.

C'est l'inertie qui en est partiellement responsable : il faut du temps aux investisseurs pour adopter de nouvelles orientations. Les rendements solides des actions canadiennes au milieu des années 2000 et au début de cette décennie ont sans aucun doute empêché l'argent de quitter le Canada, mais ces rendements ont été réalisés au fil d'une hausse des matières premières qui, pour l'instant du moins, semble être terminée.

Un autre facteur, qui est d'ordre comportemental, a trait à la familiarité des investisseurs avec les sociétés de leur propre pays. À tort ou à raison, cette familiarité en rassure beaucoup et donne aux actions canadiennes une apparence de sécurité et de risque moins élevé même si ce n'est pas nécessairement le cas. Par exemple, un investisseur peut se sentir plus à l'aise d'investir dans Loblaw (L), une chaîne de supermarchés qu'il connaît parce qu'il y fait son épicerie, plutôt que dans Morrison Supermarkets (MRWSY), un épicier britannique dont il n'a peut-être jamais entendu parler. Toutefois, une familiarité personnelle avec une entreprise a peu d'impact sur la qualité de cet investissement et ses caractéristiques de risque.

Outre les obstacles comportementaux, il y a des raisons plus rationnelles pour qu'un investisseur affecte plus d'argent aux placements locaux que mondiaux. La participation aux devises étrangères peut nuire aux rendements, surtout à brève échéance. Les investisseurs qui ont des obligations à court terme en dollars canadiens ont donc de bonnes raisons d'éviter ce risque.

Des frais et des impôts plus élevés sont aussi des obstacles au développement des placements mondiaux. Le ratio des frais de gestion médian des fonds d'actions canadiennes vendues par le réseau des conseillers rémunérés à base d'honoraires est à 1,22 %, soit 0,13 % de moins que le RFG médian des fonds d'actions mondiales. Ce n'est pas une différence insignifiante, car les avantages d'augmenter le contenu mondial doivent être mis en parallèle avec les coûts supplémentaires que cela occasionne.

De plus, pour ceux qui détiennent des placements dans des comptes imposables, le crédit d'impôt pour dividendes canadiens représente une incitation pour garder l'argent investi au Canada, et la retenue à la source sur les dividendes appliquée par les gouvernements étrangers va, à toutes choses égales, élargir l'écart de rendement entre les actions canadiennes et mondiales. La retenue à la source sur les dividendes représente environ 0,4 % par an, à supposer une retenue de 15 % et un rendement en dividendes de 3 %.

Les raisons d'augmenter sa participation aux actions mondiales

La diversification et la réduction du risque sont invoquées comme les principaux avantages qu'il y a à investir au niveau mondial. Il y a deux autres piliers qui sous-tendent cet argument. D'abord, il y a des milliers de sociétés à l'extérieur du Canada qui oeuvrent dans différents marchés, nombre d'entre eux sans aucun lien avec le Canada. Bien que toutes les actions soient exposées à des facteurs macroéconomiques, les actions des différents pays auront leurs propres vecteurs, que ce soit au niveau de l'action elle-même ou de la zone géographique, qui seront différents de ceux auxquels sont soumises les actions canadiennes. Avec le temps, ces différences devraient agir au sein d'un portefeuille mondial dans le sens d'une réduction du risque.

Deuxièmement, le marché boursier canadien est très concentré selon le secteur et les actions. L'Indice composé S&P/TSX est dominé par les services financiers, l'énergie et les matériaux : trois secteurs sensibles à l'économie qui, combinés, représentent environ 65 % de l'indice. En comparaison, les trois principaux secteurs de l'Indice MSCI Monde (services financiers, technologie de l'information et soins de la santé) totalisent un peu moins de 32 % de l'indice. De plus, le nombre d'actions disponibles dans chaque secteur est lui aussi frappant. Au Canada, par exemple, le secteur des télécoms a une pondération de 5,4 % dans l'indice, concentrée dans quatre noms. Dans l'Indice MSCI Monde, le secteur des télécommunications a une pondération plus petite de 3,4 % mais avec 42 noms, il contient un nombre d'entreprises dix fois supérieur. Il en va de même pour le secteur des soins de la santé, le TSX contenant cinq noms et le MSCI Monde, 124.

Le TSX est aussi concentré par action individuelle. Les 10 actions principales représentent 38,4 % de l'indice au Canada alors que mondialement, les 10 actions principales constituent 9,6 % de l'indice. Ce que cela signifie, c'est qu'un seul secteur ou même une action individuelle peut avoir sur le marché canadien une influence démesurée par rapport à ce qui se passe au niveau mondial. Les replis du secteur de l'énergie et des mines et la débandade des actions de Valeant (VRX) en sont deux exemples récents.

Est-il payant d'investir au niveau mondial?

La diversification mondiale ne sera pas payante dans tous les environnements, bien entendu. Le marché canadien traversera des périodes de surclassement et de sous-classement, et les mouvements de devises affecteront les rendements des marchés mondiaux en dollars canadiens, pour le meilleur ou pour le pire. En 2007, par exemple, l'Indice MSCI Monde a connu une hausse de 5,2 % mais en dollars canadiens il a perdu 7,1 %. En même temps, le TSX avait augmenté de 9,8 %, illustrant que la diversification mondiale n'était pas toujours récompensée. C'est le contraire qui s'est produit jusqu'à maintenant cette année, le MSCI Monde étant en hausse de 15,1 % en dollars canadiens au 30 octobre, alors que le TSX a perdu 5,2 %.

À long terme, toutefois, les devises étrangères ajoutent un élément de diversification et ont eu un effet net positif pour les investisseurs canadiens. Jusqu'à la fin d'octobre 2015, l'Indice MSCI Monde en dollars canadiens a eu un rendement annualisé de 10 % depuis janvier 1970, alors que la version en devise locale de l'indice a rapporté 8,9 %. (À titre de comparaison, le rendement du TSX a été de 9,1 %). De plus, l'indice en dollars canadiens a subi une volatilité comparable, avec un écart-type de 13,4 % contre 13,9 % pour l'indice en devise locale.

Cette analyse est sensible au temps et aux dates, mais la participation aux devises étrangères n'est pas aussi risquée qu'on ne le décrit habituellement, surtout à long terme. La raison en est que certaines devises comme le dollar américain ont tendance à garder leur valeur en période de crise, adoucissant ainsi les pertes du dollar canadien et rendant l'expérience des investisseurs moins difficile. En 2008, par exemple, le S&P 500 s'est beaucoup moins mal comporté en dollars canadiens (-23,1 %) qu'en dollars américains (-37 %) en raison du renforcement de la devise américaine.

Les avantages de la diversification qu'apportent les placements au niveau mondial ne proviennent pas seulement des devises. Comme je l'ai indiqué, l'écart-type de l'Indice MSCI Monde est de 13,4 % depuis 1970, mais le TSX arrive à quelques points au-dessus avec 15,9 %, ce qui se traduit par des rendements ajustés selon le risque supérieurs pour les actions mondiales, et permet en dernier lieu de bien s'accommoder des différences entre la globalité des marchés mondiaux et la concentration du marché canadien.

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