Une bonne affaire, investir dans un lopin de terre ?


Édition de Mai 2018

Une bonne affaire, investir dans un lopin de terre ?


Édition de Mai 2018

Par Claudine Hébert

Depuis 2005, la valeur des forêts privées a explosé partout au ­Québec. Le prix de l’hectare a bondi d’au moins 200 %. Est-ce encore un bon investissement ?

Si vous souhaitez acheter une terre à bois, ­armez-vous de patience. À moins de magasiner dans le ­Bas-Saint-Laurent, au ­Saguenay–­Lac-Saint-Jean ou en ­Abitibi, les aubaines sont difficiles à trouver.

D’après les plus récentes données de la ­Financière agricole du ­Québec (FADQ), les terres agricoles, qui incluent les terres à bois, se négocient à une valeur moyenne de 15 772 dollars l’hectare. C’est 220 % de plus que le prix moyen payé en 2005 alors que le même hectare coûtait 4 924 dollars. Un bond d’au moins 15 % par année.

Les valeurs des terres en ­Montérégie, dans les ­Laurentides et dans ­Lanaudière, trois secteurs limitrophes du ­grand ­Montréal, sont les principales responsables de cette envolée. L’hectare (un terrain de soccer équivaut à 0,7 hectare) s’y vend ­plus de 20 000 dollars. « ­Il frôle même les 40 000 à 50 000 dollars à certains endroits en ­Montérégie », affirme ­André ­Picard, ­vice-président au financement à la ­FADQ.

Le principal facteur qui explique la flambée des prix, c’est le bon vieux principe de l’offre et de la demande. Les terres se vendent au ­compte-gouttes. Parmi les quelque 134 000 propriétaires forestiers au ­Québec, à peine 0,5 % d’entre eux veulent vendre leurs forêts. Selon un sondage mené par la ­Fédération des producteurs forestiers du ­Québec (FPFQ), trois lots vendus sur cinq le sont entre membres d’une même famille (51 %) ou entre amis et connaissances (15 %).

C’est que les propriétaires accordent une haute valeur patrimoniale à leurs terres, observe ­Luc ­Bouthillier, professeur titulaire du ­Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université ­Laval. « ­Ces terres ont été léguées de génération en génération. Ce n’est pas un réflexe de vendre ce bien immobilier à un étranger », ­dit-il. Près de 70 % des propriétaires souhaitent léguer leur terre à bois à leurs enfants et ­petits-enfants, selon le sondage de la ­FPFQ.

­Est-ce encore l’eldorado ?

« ­Investir dans une forêt privée demeure un placement sécuritaire. C’est un investissement qui ne perd pas de valeur », soutient ­Marc-André ­Côté, directeur général de la ­FPFQ.

Il insiste sur le fait que la terre est un des rares placements dont l’investisseur peut profiter. On peut toujours contempler une œuvre d’art sur le mur de son salon, ­dit-il, alors que des actions ne permettent que d’en saisir les gains en capital. « ­Une terre permet de bénéficier instantanément de son bien pour la randonnée en famille, la chasse, la récolte du bois de poêle ou encore la production de quelques litres de sirop d’érable », poursuit ­Marc-André ­Côté.

Selon les statistiques de la ­FPFQ, plus de 90 % des propriétaires forestiers ayant acquis une terre ces 20 dernières années l’ont fait pour se rapprocher de la nature, loin devant la coupe et la récolte de bois. D’ailleurs, le nombre de producteurs forestiers diminue constamment. Ils étaient près de 40 000 à vivre des revenus provenant du bois au début des années 2000. Ils sont aujourd’hui moins de 30 000.

Terres prisées des ­baby-boomers

Le prix du bois au mille pieds mesure de planche (Mpmp) a chuté de 50 % entre 2005 et 2011, relève le consultant forestier ­Marco ­Fournier. Pourtant, le prix des terres n’a pas cessé de grimper. « C’est que de nombreux ­baby-boomers se sont acheté un terrain de jeu », remarque cet ingénieur forestier et évaluateur agréé qui dirige depuis plus de 25 ans ­Consultants ­Forestiers ­MS, à ­Lévis.

Cette cohorte a changé les règles du jeu. « ­Ce n’est plus tant la valeur du bois qui influe sur la hausse du coût des terres, mais plutôt la valeur du fonds de terre », constate ­Marco ­Fournier. En droit, un fonds de terre désigne le sol en tant que moyen de production. Il a tellement pris de valeur au cours des 15 dernières années que les risques d’invasion d'insectes nuisibles (la tordeuse des bourgeons de l'épinette et la livrée des forêts, notamment) n’ont pas refroidi les acheteur ni affecté les prix, affirme cet expert.

L’ingénieur forestier doute cependant que la hausse effrénée des prix se maintienne au cours des 10 prochaines années. « C’est amusant, faire du bois de poêle à 55, 60, 65 ans. Mais qu’en ­sera-t-il quand la très grande majorité des boomers aura franchi le cap des 70 ans ? À moins d’être des irréductibles en bonne santé, plusieurs vont songer à encaisser. »

C’est là, ­dit-il, qu’on va se retrouver avec un marché inondé de lots à vendre. Car qui voudra encore acheter ces terres à bois ? ­La génération Y? L’ingénieur forestier émet de forts doutes. Pour l’instant, ce ne sont pas les principaux acheteurs intéressés par ce produit, ­observe-t-il. Le sondage de la ­FPFQ lui donne raison. Les jeunes âgés de moins de 34 ans comptent pour 3 % des propriétaires de forêts privées dans la province.

Dans le domaine forestier comme dans tous les domaines de l’immobilier, l'emplacement est donc important. « ­Je crains également que la dévitalisation des villages et le manque de ressources financières rendent certains lots difficiles d’accès dans le futur. Certaines municipalités pourraient ne plus avoir les moyens d’entretenir les chemins et les ponts conduisant à certaines propriétés », soulève ­Marco ­Fournier.

Bertrand ­Côté, courtier immobilier ­Re∕Max spécialisé dans la vente de fermes, de fermettes et de terres à bois, appréhende aussi un ajustement des prix. « ­Une terre bien entretenue a toujours pris en moyenne de 5 % à 10 % de valeur par année. Ça pouvait être payant avec des taux d’intérêt ridiculement bas », ­dit-il.

Faites monter ces taux, ajoutez les taxes municipales et scolaires, qui ont bondi d’au moins 100 % depuis dix ans, et l’imposition de 50 % sur le gain en capital au moment de la vente, le placement devient alors moins intéressant. 

Un droit de propriété de plus en plus ambigu

Depuis l’arrivée massive des ­baby-boomers dans les campagnes, les règlements municipaux en matière d’aménagement et d’exploitation des forêts privées ont changé. À un point tel que certains propriétaires ne peuvent plus exploiter leurs biens comme bon leur semble. « J’ai des clients qui reçoivent des amendes de 5 000 $ à 10 000 $ de leur municipalité ou de la ­MRC parce que les nouveaux règlements les empêchent de faire des coupes commerciales comme il leur était permis il y a 15 ans », signale le consultant forestier ­Marco ­Fournier.

Dans sa vérification des droits de propriété, l’acheteur devrait vérifier les contours de la terre à bois avec le vendeur ainsi qu’avec les voisins. « ­Les sources de données utilisent le ‘cadastre officiel’ de la province de ­Québec. Cependant, seul un arpenteur géomètre, et éventuellement le ­tribunal, peut établir les lignes de lots sur le plan légal », explique ­Marco ­Fournier.

Par ailleurs, de récents cas dans l’actualité viennent montrer que la propriété forestière peut revêtir une certaine perception de bien collectif. Le cas du développement de la montagne de ski à ­Bromont est un bel exemple. La famille ­Désourdy, propriétaire du mont ­Brome depuis des décennies, a voulu, il y a cinq ans, entamer un autre projet immobilier. L’entreprise prévoyait morceler les 150 hectares de forêt en 27 lots pour la construction de résidences. Les citoyens venus s’installer au cours des premiers développements immobiliers ont protesté contre la perte d’un espace vert, considéré comme un parc acquis. La ­Ville, avec l’aide d’une subvention gouvernementale, a finalement fait l'acquisition du terrain boisé en février dernier pour en faire le nouveau ­Parc des sommets.

Un acheteur Aguerri

Benoit G., 56 ans,est propriétaire de terres à bois depuis près de 30 ans. Il en a acheté dans les ­Laurentides, puis dans la région de ­Lanaudière et enfin en ­Montérégie, où il a acquis une trentaine d’hectares en 2005, soit juste avant la flambée des prix. « ­Au-delà des 5 % à 10 % par année que m’ont rapporté ces terres, j’ai toujours considéré ces placements bénéfiques pour ma santé. Les efforts que demande l’aménagement de ma forêt valent amplement l’abonnement au gym », dit l’homme d’affaires, toujours à l’affût de nouvelles acquisitions.

Depuis dix ans, il recherche une terre pour la chasse à l’orignal. Ses régions de prédilection : ­Chaudière-Appalaches, ­Bas-Saint-Laurent, ­Gaspésie, ­Saguenay et ­Charlevoix. Il y a quatre ans, il a bien cru avoir trouvé sa petite perle au ­Saguenay. « ­Des pistes, du grattage, des selles d’orignaux partout et déjà deux caches aménagées… j’avais enfin trouvé le spot. Un beau lot d’une vingtaine d’hectares composé de feuillus et de conifères », raconte l’investisseur. Son offre d’achat avait même été acceptée par le vendeur. L’investisseur terrien a eu le réflexe de vérifier le registre foncier afin de s’assurer de la réelle superficie du terrain qu’il s’apprêtait à acquérir. Surprise ! ­Le lot ne comptait en fait qu’une douzaine d’hectares. Le propriétaire incluait une partie des terres de la ­Couronne adjacentes dans le prix d’achat. La transaction a avorté. Benoit G. cherche encore.

Astuces pour investisseur terrien averti

Il existe de bons outils pour visualiser la terre à bois convoitée avant même de s’y déplacer, à commencer par ­Google ­Earth. Il permet d’analyser la topographie du terrain et l’environnement général à partir de son ordinateur. Il fournit également un bon indice sur les voisins limitrophes (site d’enfouissement, cultivateurs, aires protégées).

Le site web de la ­Commission de protection du territoire agricole du ­Québec (CPTAQ) répertorie tous les lots de la province. Potentiel acéricole, cours d’eau, zonage permis (blanc ou vert – blanc permettant la construction de bâtiment résidentiel), ce site fournit un bon aperçu du territoire ciblé.

Le ­Registre foncier du ­Québec permet de connaître le prix payé par l’actuel propriétaire, son hypothèque, s’il y a lieu, la présence de servitudes (lignes ­hydro-électriques, gazoduc, éoliennes…) et autres renseignements liés à l’historique des transactions faites sur le lot depuis sa création. Chaque requête coûte un dollar.

N’attendez pas que se présentent les offres. Approchez les propriétaires de terre à bois que vous convoitez. Selon les statistiques de la ­Fédération des producteurs forestiers du ­Québec, plus de 60 % des proprios des 134 000 forêts privées de la province ont 55 ans et plus. De ce groupe, plus de la moitié a plus de 65 ans. Selon la ­FPFQ, 48 % des propriétaires conservent leur forêt moins de 20 ans. « ­En tenant compte de ces statistiques, les acheteurs peuvent utiliser le registre foncier et commencer à repérer des propriétaires qui pourraient souhaiter vendre », conseille le professeur titulaire ­Luc ­Bouthillier du département des sciences du bois et de la forêt de l’Université ­Laval.

­Achèteriez-vous une voiture simplement à la regarder dans la cour d’un concessionnaire ? C’est pareil pour une terre. « N’empruntez pas que ses chemins forestiers lors de la visite. Marchez sur la terre au complet et en zigzaguant afin de vérifier les essences et la condition des arbres, en plus de prendre connaissance du relief du terrain », recommande le courtier immobilier ­Bertrand ­Côté. À ce propos, il serait judicieux d’avoir quelques notions de base afin de reconnaître les essences.

« À moins que le droit de passage soit notarié et très bien décrit, ­méfiez-vous des lots enclavés afin d’éviter tout problème d’accès à votre terrain », avertit ­Bertrand ­Côté. Privilégiez des superficies qui disposent d’une façade sur un chemin public. ­Assurez-vous également que le chemin est entretenu à l’année si vous souhaitez y accéder l’hiver.

­Attendez-vous à ce que les institutions financières exigent une mise de fonds d’au moins 50 % pour acheter une terre à bois. Notez qu’il est possible de verser une mise de fonds réduite avec l’aide de la ­Financière agricole du ­Québec pour l’achat ou la consolidation d’un terrain de 60 hectares et plus, souligne ­André ­Picard, ­vice-président au financement. L’institution, ­dit-il, prête également à des taux de 0,3 % à 0,6 % plus bas que les meilleurs taux hypothécaires offerts actuellement pour le marché des résidences. « ­Mais attention, avertit André Picard, ces prêts sont accordés exclusivement aux acheteurs qui prévoient valoriser leur forêt à l’aide de travaux d’aménagement. » Il n’est pas question, ­précise-t-il, de financer des projets d’investisseurs qui rêvent de construire un super domaine ou de transformer leur forêt en développement immobilier.

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