Prudence avec les actions privilégiées!


Édition de Mai 2016

Prudence avec les actions privilégiées!


Édition de Mai 2016

Bon nombre d'investisseurs considèrent les actions privilégiées comme une solution de compromis aux bas taux d'intérêt. Toutefois, la performance médiocre de ces titres pendant la dernière année a fait l'effet d'une douche froide. La question se pose : ce recul important des prix est-il une occasion à saisir ?

Contrairement à la croyance populaire, les actions privilégiées ne sont pas des titres à revenu fixe. Bien qu'elles versent des dividendes fixes qui ressemblent drôlement aux coupons des obligations, elles s'avè-rent plus risquées.

«Ces titres hybrides, qui ont à la fois des caractéristiques des obligations de sociétés et des actions ordinaires, sont aussi plus complexes», rappelle Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital, une firme montréalaise de gestion de patrimoine.

Ainsi, une même société peut émettre plusieurs types d'actions privilégiées ayant chacune des clauses qui lui sont propres. Certaines sont perpétuelles, d'autres ont des taux révisables tous les cinq ans en plus d'être rachetables au gré de l'émetteur. Et chaque émission présente un écart de crédit et un taux de dividende unique.

Par exemple, il n'existe qu'une seule catégorie d'actions ordinaires de la Banque Royale. Mais devinez combien de séries d'actions privilégiées sont en circulation ? Une vingtaine ! D'ailleurs, le marché des actions privilégiées au Canada est composé en grande partie de titres du secteur financier.

Un titre de propriété

Tout comme l'actionnaire ordinaire, l'actionnaire privilégié est partiellement propriétaire de l'entreprise côtée en Bourse et reçoit une part des profits sous forme de dividendes.

Pour une action privilégiée, les dividendes sont fixés d'avance et généralement versés à perpétuité. Si la société suspend le versement parce qu'elle est en mauvaise posture financière, elle devra ensuite prioriser les actionnaires privilégiés avant les actionnaires ordinaires en plus de leur verser les arrérages dans le cas d'un dividende cumulatif.

Si la société faisait faillite, le détenteur d'actions privilégiées serait également remboursé avant l'actionnaire ordinaire, mais après les créanciers obligataires. Notez que dans un tel scénario, l'actionnaire privilégié n'est guère plus protégé que l'actionnaire ordinaire. «En moyenne, l'investisseur d'une obligation de société peut espérer récupérer 40 cents sur chaque dollar, alors que les actionnaires perdront presque tout», soutient Raymond Kerzérho.

Bien des particuliers achètent des actions privilégiées pour profiter du crédit d'impôt sur le dividende. Ce crédit abaisse le taux d'imposition des dividendes, les rendant plus attrayants par rapport aux revenus d'intérêt des obligations.

Toutefois, ce bonbon fiscal s'accompagne aussi de désavantages, par exemple une liquidité moindre que les actions ordinaires. On évalue la taille du marché des actions privilégiées à un peu plus de 50 milliards de dollars, alors que celui des obligations de sociétés est au moins huit fois plus important. Autre bémol : les investisseurs institutionnels sont aussi moins présents, tandis qu'ils représen-tent une source de liquidité pour le marché secondaire.

En 2015, la débandade !

L'année 2015 a été cauchemardesque pour les détenteurs d'actions privilégiées. Voici quelques chiffres qui permettent de saisir l'ampleur des dommages : certains titres ont perdu plus de la moitié de leur valeur (prix d'émission généralement de 25 dollars). La débandade boursière de l'indice de référence canadien en témoigne aussi. Le S&P/TSX actions privilégiées affichait au 31 janvier 2016 un rendement annuel de - 20 % ! Pour le premier mois de l'année seulement, il a baissé de plus de 10 %.

Pour expliquer cette situation aussi inhabituelle que complexe, on doit remonter aux années 2008-2009, alors que le marché canadien des actions privilégiées était constitué à plus de 70 % de perpétuelles. Lors de la crise financière, une nouvelle catégorie d'actions privilégiées est née : les actions privilégiées à taux révisables. Aujourd'hui, près des deux tiers des actions privilégiées le sont, tandis que les perpétuelles ne comptent que pour environ 30 % du lot.

Ce produit financier a permis aux banques et aux entreprises de se recapitaliser plus aisément. Les investisseurs ont alors pu acheter des titres de qualité avec des taux de dividende élevés. On contournait également la sensibilité des perpétuelles aux hausses de taux d'intérêt en rajustant le dividende tous les cinq ans. «Des milliards de dollars de ces titres ont été vendus en 2008-2009 à des investisseurs nerveux», remarque Pat Keene, spécialiste des actions privilégiées chez BMO Nesbitt Burns.

En gros, le détenteur obtient à l'achat un taux fixé pour cinq ans qui représente les conditions du marché du moment. À la fin de chaque période quinquennale, l'investisseur a l'option de recevoir le rendement des obligations gouvernementales canadiennes de cinq ans, auquel s'ajoute une prime de crédit prédéterminée, ou de choisir un coupon à taux variable. Aux dates de réinitialisation, l'émetteur peut également décider de racheter l'action.

Une baisse continue des taux

La baisse des taux d'intérêt au Canada depuis janvier 2015 a entraîné dans son sillage le taux de dividende des actions privilégiées à taux révisable. «Certains taux de coupon ont été réduits de moitié, ce qui a causé une baisse proportionnelle de leur valeur. Bien souvent, l'écart de taux versé à l'investisseur était bas et s'ajoutait au taux des obligations canadiennes cinq ans également affaibli. Les investisseurs ont donc essuyé deux coups durs», précise Pat Keene.

«Avec le ralentissement de l'économie et la baisse du prix du pétrole, tout le secteur du crédit a été malmené et les écarts de rendement se sont élargis. Les marchés boursiers n'ont guère mieux performé, ce qui a aussi influencé négativement les actions privilégiées», indique Nicolas Normandeau, gestionnaire de portefeuilles à revenu fixe chez Fiera Capital. La firme gère environ 2 milliards de dollars en actions privilégiées, essentiellement au Canada.

Ce paysage chaotique a finalement été bouleversé par une vague de nouvelles émissions qui ont inondé le marché et pesé encore plus lourdement sur les prix des actions privilégiées.

Afin d'amadouer les investisseurs, plusieurs entreprises ont même ajouté l'automne dernier des clauses de taux minimum garanti à leurs titres. «Depuis ce temps, la plupart ont suivi le mouvement, sauf les institutions financières qui n'y ont pas été autorisées pour des raisons de réglementation», explique Nicolas Normandeau.

«Prenons l'exemple d'une émission récente de la société Pembina Pipeline qui payait un taux de dividende de 5,75 %, soit 5 % de plus que les obligations gouvernementales canadiennes de cinq ans. Si l'émetteur ne rachète pas l'action privilégiée dans cinq ans et que le taux de dividende absolu est inférieur à 5,75 %, la société devra tout de même verser ce taux à l'investisseur», illustre-t-il. L'émetteur ne prend pas plus de risque, puisqu'il peut toujours racheter l'émission. Toutefois, cela peut rassurer l'investisseur qui a vu les taux baisser continuellement depuis plus d'un an.

«L'option de rachat par l'émetteur limite aussi le potentiel de hausse de l'action privilégiée, puisque l'entreprise ne la rachètera que si c'est intéressant pour elle», remarque Raymond Kerzérho. Si les taux d'intérêt baissent beaucoup, la société souhaitera racheter les titres afin d'en émettre à des taux inférieurs et ainsi d'abaisser son coût de financement. Le petit investisseur doit alors réinvestir son argent dans un environnement où les taux sont moins intéressants.

On en achète ?

Selon Nicolas Normandeau, la décision d'ajouter des actions privilégiées à son portefeuille de placement dépendra avant tout du scénario économique le plus probable. «Alors que le taux des obligations gouvernementales 5 ans est sous la barre des 0,50 %, que le prix du baril de pétrole varie autour de 27 dollars, et que la Banque du Canada intégrera au moins une baisse d'un quart de point de pourcentage dans le marché d'ici l'automne, on anticipe déjà beaucoup de mauvaises nouvelles», remarque-t-il (NDLR : entrevue menée en février).

En fait, les investisseurs craignent que les taux d'intérêt se retrouvent en territoire négatif, comme c'est le cas au Japon et dans certains pays européens. La Banque du Canada a d'ailleurs laissé entendre en décembre dernier qu'elle pourrait assouplir les conditions monétaires en abaissant le taux directeur au-dessous de zéro, du jamais vu (présentement à 0,50 %).

«Selon notre scénario le plus probable, nous n'entrevoyons pas de taux négatif et nous demeurons dans l'ensemble favorables aux actions privilégiées», poursuit Nicolas Normandeau. Avant d'acheter un titre particulier, le gestionnaire de Fiera Capital analyse la qualité du crédit de la société et les différentes clauses de l'émission. Le moment de la prochaine révision des taux cinq ans a aussi beaucoup d'importance. La tâche peut donc se révéler très complexe pour le petit investisseur.

Quant à Pat Keene, elle reste prudente. «Le marché des actions privilégiées a été plus volatil que prévu en début d'année, et on s'attend à encore pas mal de nouvelles émissions de la part des banques, ce qui ajoutera de la pression à la baisse sur le prix des titres du marché secondaire. Avant d'acheter, on devra voir le rendement des obligations augmenter, les écarts de crédit rétrécir et l'offre de nouveaux titres être plus modérée, ce qu'on n'anticipe pas actuellement», précise la spécialiste.

4 CONSEILS AVANT D'ACHETER

Avant d'ajouter des actions privilégiées à votre portefeuille, Raymond Kerzérho et son collègue Dan Bortolotti émettent quatre recommandations.

1 Limitez-vous aux comptes non enregistrés : bien que les actions privilégiées permettent de diversifier un portefeuille de placement grâce à une corrélation allant de faible à modérée avec les autres catégories d'actif, leur principal atout reste le traitement fiscal avantageux des dividendes. Elles ne sont donc pas faites pour le CELI, et moins encore pour le REER.

2 Ajoutez-en entre 5 % et 10 % du portefeuille tout au plus : en raison des risques additionnels (faible liquidité notamment) et des rendements limités par rapport aux obligations de sociétés, la plupart des investisseurs devraient restreindre cette catégorie d'actif à 5 % ou 10 % du portefeuille.

3 Diversifiez le plus possible : la diversification est essentielle en raison de la complexité de chaque émission qui rend très difficile l'achat de titres individuels. On ne doit donc pas se fier uniquement au rendement et à la qualité du crédit d'une action privilégiée.

4 Évitez les titres individuels : on s'abstient d'acheter un seul émetteur et ainsi de sélectionner par malchance la société qui pourrait faire banqueroute un jour. Les actions privilégiées se négociant souvent avec des écarts importants entre le cours acheteur et le cours vendeur, on pourra contourner ce problème en achetant un fonds négocié en Bourse (FNB) beaucoup plus liquide, comme le FINB BMO échelonné actions privilégiées (symbole : ZPR) ou encore le fonds iShares S&P/TSX Canadian Preferred Shares (symbole : CPD). Il existe aussi des fonds communs de placement qui sont gérés activement ou passivement et qui investissent dans un grand nombre de titres.

Source : «Le rôle des actions privilégiées dans votre portefeuille», Raymond Kerzérho et Dan Bortolotti, PWL Capital, février 2015.

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