Le rapport rendement/prix des dirigeants de Québec inc.


Édition du 03 Juin 2017

Le rapport rendement/prix des dirigeants de Québec inc.


Édition du 03 Juin 2017

Par Stéphane Rolland

[Photo: 123rf]

Les hauts dirigeants des sociétés dont vous êtes actionnaire vous en donnent-ils pour votre argent ? Dans l'ensemble, le lien est faible entre la taille de leur rémunération et la création de valeur. C'est la conclusion de la quatrième édition de notre palmarès, mené en collaboration avec les firmes Inovestor et Gestion de portefeuille stratégique Medici.

À 0,40, encore une fois cette année, la corrélation entre les rémunérations et notre indicateur de performance est faible. En théorie, une corrélation de 1 représenterait un lien parfait. À 0,40, il existe un lien, mais il demeure faible. «C'est décevant de constater cela, déplore Karine Turcotte, gestionnaire de portefeuille chez Gestion de portefeuille stratégique Medici. On dirait que les conseils d'administration ont abandonné leur responsabilité de trouver un système de rémunération qui est propre aux réalités de l'entreprise.»

Notre indicateur mesure le rapport entre la création de valeur au sein de 47 des 50 plus importantes capitalisations boursières québécoises au cours des quatre dernières années et la rémunération versée à leurs cinq plus hauts dirigeants en 2016. Trois entreprises ont été retirées de l'échantillon, car nous n'avions pas les données requises au moment d'écrire ces lignes. Les trois années précédentes, nous avions concentré notre attention uniquement sur le PDG. La performance, pour sa part, est mesurée à l'aide de trois composantes : le rendement du capital investi, la croissance du bénéfice par action et la taille de l'entreprise.

Lorsqu'on sépare les trois composantes de notre indicateur, on constate que le lien entre la création de valeur et la rémunération est plus faible qu'il n'y paraît. En fait, la corrélation entre la rémunération et la taille de l'entreprise est de 0,78, ce qui est très fort. Elle est de seulement 0,15 pour la croissance du bénéfice par action et de 0,31 pour le rendement des capitaux propres.

Le jeu des comparaisons

Ces résultats montrent l'effet pervers du «jeu des comparaisons», croit Mme Turcotte. Pour établir la rémunération des hauts dirigeants, la norme est de recourir aux consultants externes, qui basent leur analyse sur des groupes comparables. Un processus qui accentue également l'inflation des rémunérations à la tête des sociétés québécoises inscrites en Bourse. «Les administrateurs affirment qu'ils se fient à l'opinion d'un expert neutre, commente-t-elle. Ça devrait être leur travail de faire cela.»

François Dauphin, directeur de recherche de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP), abonde dans le même sens. «On fait beaucoup de mimétisme, déplore-t-il. On se compare les uns aux autres. C'est pour ça que la relation avec la performance n'est pas aussi directe qu'avec la taille. C'est le jeu des comparables. Les entreprises suivent ce qu'on leur recommande.»

Pourtant, les comparaisons utilisées ne sont pas toujours adéquates, juge M. Dauphin. «Des entreprises vraiment comparables, on peut souvent les compter sur les doigts d'une main, ajoute-t-il. Les consultants vont donc choisir des comparables de même taille dont les défis et le marché sont différents.»

MTY, toujours premier

Encore cette année, Groupe MTY (MTY) trône au sommet de notre palmarès. Au cours des trois années précédentes, Stanley Ma, le PDG, a toujours occupé le premier rang. Notre palmarès permet cette fois de constater qu'il en va de même pour le reste de son équipe. «On voit que la culture d'entreprise se perpétue, note Mme Turcotte. La rémunération s'arrime bien à la culture d'entreprise et à ses défis.»

Selon notre indicateur, chaque point de performance du franchiseur montréalais coûte 18 317 $ en rémunération, une aubaine lorsqu'on compare aux autres sociétés québécoises. À 574 071 $, la moyenne de notre classement est 31 fois plus onéreuse. MTY se trouve à une bonne distance du numéro 2, Rogers Sugar (RSI), dont le coût est deux fois plus élevé.

Il faut dire que le programme de rémunération des hauts dirigeants se trouve dans une classe à part. La société ne verse aucune prime, aucune action, aucune option et ne contribue pas au régime de retraite. De tout notre palmarès, MTY est celle qui verse la rémunération la moins élevée, soit 1,3 million de dollars (M$) répartis entre ses cinq plus hauts dirigeants. En comparaison, la rémunération moyenne est de 12,4 M$, ce qui est 9,5 fois plus élevé. Pourtant, MTY est la neuvième société où l'on a créé le plus de valeur depuis quatre ans.

Les contre-exemples

Fortement médiatisée, la rémunération des dirigeants de Bombardier (BBD.B) se trouve à l'avant-dernier rang de notre palmarès. Le coût de la rémunération par rapport à la création de valeur est 3,6 fois plus élevé que la moyenne des entreprises de notre échantillon, et l'équipe des cinq plus hauts dirigeants arrive au troisième rang sur le plan de la rémunération. La création de valeur, pour sa part, arrive au 38e rang. Ces données prennent en compte les changements apportés aux rémunérations quand celles-ci ont suscité une vive opposition, peu de temps après que la société eut reçu un soutien de 1 milliard de dollars américains du gouvernement québécois. Il faut cependant préciser qu'à l'exception de Pierre Beaudoin, les dirigeants actuels de Bombardier ne sont en place que depuis deux ans.

Jean Monty, le président du conseil de Bombardier, a défendu la décision du conseil d'administration. Il souligne que 75 % de la rémunération n'est pas garantie et est liée à l'atteinte de cibles. Les actionnaires de Bombardier ont récemment approuvé les émoluments.

En général, la rémunération conditionnelle des sociétés brouille les cartes, car on ne sait jamais combien les dirigeants toucheront réellement, commente M. Dauphin. Un flou demeure sur la nature des cibles et les montants qui seront obtenus. Encore une fois, il est difficile d'évaluer si l'actionnaire en a vraiment pour son argent. «Au bout du compte, la rémunération variable pourrait valoir zéro ou six fois plus, ajoute-t-il. Il est ardu de faire le lien entre la rémunération inscrite et la valeur réelle qui sera touchée dans l'avenir.»

Notre exercice pourrait désavantager certaines entreprises qui connaissent des difficultés ou qui sont en démarrage, note M. Dauphin. Il cite l'exemple de ProMetic (PLI), qui arrive au dernier rang. En démarrage, la biotech n'est pas encore rentable. Sans se prononcer sur la qualité du travail de sa direction, il note que ça ne veut pas dire que ses dirigeants ont nécessairement livré la pire performance.

M. Dauphin invite aussi à réfléchir sur la valeur du travail des dirigeants au sein des entreprises en difficulté. «Un président doit souvent travailler deux fois plus fort quand l'entreprise connaît des problèmes, explique-t-il. Performe-t-il moins bien qu'une entreprise de ressources qui aurait le vent dans les voiles lorsque le prix des matières est élevé ? Notre palmarès permet tout de même de faire une évaluation du travail des dirigeants et de voir les excès», juge l'expert.

LE VOTE CONSULTATIF : EFFICACE ?

Le vote consultatif sur la rémunération améliore-t-il le rapport rendement-prix des dirigeants ? Cette pratique ne semble pas avoir été efficace pour arrimer la rémunération à la création de valeur dans les sociétés québécoises en 2016, selon notre palmarès.

Le vote consultatif sur la rémunération est devenu une pratique répandue chez Québec inc. Des 47 entreprises de notre échantillon, 27 avaient tenu un vote consultatif sur la rémunération, soit 57 %. Ce vote donne l'occasion aux actionnaires de se prononcer sur la rémunération des dirigeants. En principe, un faible soutien inciterait les administrateurs à revoir leur pratique ou à «mieux l'expliquer», même si le vote n'est pas contraignant.

Au sein de notre échantillon, nous n'avons pas vu de corrélation entre notre indicateur de performance et la tenue d'un vote consultatif. C'est même le contraire. À - 0,25, le lien serait inverse, quoique dans une faible mesure. En fait, entre le 1er et le 24e rang, 46 % avaient un vote consultatif. Du 25e rang au 47e rang, ils étaient 70 %.

À la lumière de ces résultats, Karine Turcotte, gestionnaire de portefeuille chez Gestion de portefeuille stratégique Medici, est tout de même en faveur de l'exercice. «Chaque mesure visant à changer la culture déficiente en matière de rémunération est à prendre positivement, commente-t-elle. On doit continuer à se poser des questions pour voir comment améliorer la situation.»

Il y a toutefois un effet pervers au vote consultatif, croit Mme Turcotte. Il peut inciter les conseils à déléguer leurs responsabilités à des consultants afin d'éviter d'être montrés du doigt par les actionnaires. Ainsi, ce qui se fait dans les entreprises comparables influence davantage la rémunération que le travail accompli par les dirigeants. Mme Turcotte donne l'exemple des grandes banques canadiennes. En 2012, l'écart-type entre la rémunération des hauts dirigeants des six banques canadiennes était de 8,2. En 2016, ce chiffre est de 4,2. Ce changement montre «la tendance à l'uniformité» de la rémunération au sein des grandes banques canadiennes, même si celles-ci n'ont pas les mêmes défis de taille et de région, déplore-t-elle.

Dans le passé, l' IGOPP s'est lui aussi montré critique quant au vote consultatif. Le recours aux consultants crée un standard que les conseils peuvent présenter aux investisseurs institutionnels qui l'entérinent. Résultat : les conseils obtiennent régulièrement des chiffres supérieurs à 90 %. «On a des dictateurs qui sont élus avec des votes inférieurs, blague M. Dauphin. Ça vient légitimer la rémunération : les actionnaires ont voté massivement pour. On est parfois surpris de ce que ça donne en valeur numéraire l'année suivante.» Selon M. Dauphin, la meilleure manière de faire connaître son désaccord reste de voter contre les administrateurs au comité des ressources humaines.

4,8 M$

C'est la rémunération moyenne des PDG des 47 entreprises de notre échantillon. Ce chiffre équivaut à 108 fois le salaire moyen des Québécois en 2016, selon les données de Statistique Canada. Le ratio était de 102 fois en 2015, un écart qui témoigne de l'accroissement des inégalités entre les deux parties. La rémunération des PDG augmente à un rythme de 10 %, près de trois fois plus rapidement que le salaire du Québécois moyen. Celui-ci a progressé de 3,3 % en 2015, toujours selon Statistique Canada.

COMMENT ÉVALUONS-NOUS LA PERFORMANCE ?

Notre palmarès évalue la rémunération des cinq dirigeants les mieux rémunérés au sein de 47 des 50 plus grandes capitalisations boursières québécoises par rapport à la création de valeur enregistrée au sein de leur société. Autrement dit, nous évaluons le rapport rendement-prix des hauts dirigeants du Québec inc.

À notre demande, la firme Gestion de portefeuille stratégique Medici a conçu un indicateur pour mesurer la création de valeur. La firme Inovestor, elle, nous a fourni les données boursières permettant de quantifier la performance. Pour sa part, Les Affaires a compilé les rémunérations des dirigeants de l'échantillon.

Notre indicateur comprend trois données : le rendement du capital investi par les actionnaires, la croissance du bénéfice par action au cours des quatre dernières années et la taille des revenus du dernier exercice.

Le rendement des capitaux propres, une donnée clé pour mesurer la création de valeur, pèse pour plus de la moitié de l'indice, soit 70 %. Le rendement des capitaux propres se calcule en divisant le bénéfice net par l'avoir des actionnaires.

Un poids de 20 % est accordé à la croissance du bénéfice par action depuis quatre ans. Cette donnée a une influence importante sur le cours de l'action d'une société. Les analystes utilisent d'ailleurs ce ratio pour mesurer la valeur d'une action par rapport à son historique, à un indice ou à un groupe de pairs.

Finalement, nous avons octroyé un poids de 10 % à la taille des revenus. Nous avons utilisé cette donnée pour mesurer la taille des entreprises de notre échantillon. L'idée est de tenir compte du fait que la gestion d'une grande organisation peut constituer un défi supplémentaire pour son dirigeant.

#1 MTY

Encore cette année, Groupe MTY offre le meilleur rapport rendement-prix.

#2 ROGERS SUGAR

Un point de performance de Rogers Sugar coûte 34,173 $ en rémunération.

#3 QUINCAILLERIE RICHELIEU

Quincaillerie Richelieu compte 36 centres de distribution au Canada.

#4 JEAN COUTU

Jean Coutu est la 5e plus grande capitalisation boursière au Québec.

Le palmarès des hautes directions les plus rentables

 

 

 

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