Marc Faber : la bulle immobilière éclatera tôt ou tard au Canada

Publié le 02/07/2010 à 11:00

Marc Faber : la bulle immobilière éclatera tôt ou tard au Canada

Publié le 02/07/2010 à 11:00

Par Diane Bérard

Marc Faber est un penseur à contre-courant. Il est économiste de formation, mais investisseur de profession. Photo : Bloomberg

Marc Faber est un penseur à contre-courant. Économiste de formation, investisseur de profession, il est mieux connu sous le nom de Dr. Doom (le prophète de malheur). Établi à Hong Kong depuis 1973, il publie tous les mois un rapport intitulé " The Gloom, Boom & Doom Report ", dans lequel il présente des occasions d'investissement inusitées. Auteur de plusieurs livres, dont Tomorrow's gold: Asia's Age of Discovery, demeuré plusieurs semaines sur la liste des best-sellers d'Amazon, Marc Faber défie les conventions; il a déclaré au quotidien South China Morning Post : " J'ai fumé beaucoup de marijuana dans ma vie, mais je préfère les omelettes aux champignons magiques de Bali pour le petit-déjeuner. " Nous l'avons joint dans une chambre d'hôtel, en Asie.

Diane Bérard - La reprise économique est-elle bien enclenchée ?

Marc Faber - Difficile à dire. Supposons que vous soyez le pdg d'une entreprise en difficulté, et que vous ne vouliez pas licencier vos employés. Alors, vous empruntez 10 à 20 % de capitaux pour couvrir vos obligations financières. Ainsi, vos employés peuvent continuer à consommer et à faire rouler l'économie. Mais comme la situation extérieure ne s'est pas vraiment améliorée, après deux ans, votre ratio dette/avoir atteint 40 %. Diriez-vous que tout est beau ? Non. Pourtant, c'est le comportement que la plupart des gouvernements ont adopté.

D.B. - Reste-t-il des valeurs sûres ? Où devrions-nous investir ?

M.F. - Voyons les choses ainsi : si je devais aller en prison pendant 10 ans, où immobiliser mes investissements pour qu'il me reste quelque chose à ma sortie ? Certainement pas dans des titres boursiers; la dernière fois que j'ai manifesté un enthousiasme face à la Bourse, c'était en mars 2009. Depuis, il y a eu avril 2010 et une correction de 20 à 30 %. Désormais, je me montre prudent. On n'enregistrera jamais en 2010 les rendements de 2009. Regardez ce qui se passe en Chine, l'économie croît, mais la Bourse chute. Il ne me reste donc qu'un choix si je dois disparaître pendant 10 ans : je convertis tout en or. Mon placement ne devrait pas avoir trop perdu de valeur. Je considérerais aussi l'achat de terres agricoles.

D.B.- Les gouvernements ont pris la place du secteur privé pour assurer la relance. Quelles sont les conséquences pour l'économie ?

M.F. - Vous avez remplacé un secteur privé dynamique et innovant par un secteur public qui joue avec des politiques fiscales et monétaires. Pensez-vous vraiment qu'on y gagne ? Seuls les Keynesiens croient en ce genre de sottises ! L'économie croît lorsqu'on la laisse tranquille, parfois plus vite, parfois moins vite, mais elle suit une évolution naturelle. Le marché n'est peut-être pas parfait, mais c'est ce qu'on a trouvé de mieux jusqu'à présent. Il suffit de mentionner l'échec des économies communistes planifiées.

D.B. - Vous avez prédit le krach de 1987, celui de la bourse japonaise de 1990, la crise asiatique de 1997-98, sans compter la crise actuelle. Quel est votre secret ?

M.F.- J'ai aussi commis des erreurs colossales pour certains de mes investissements ! Mais, enfin... Personne ne peut évaluer avec exactitude le moment précis où il faut vendre ou acheter. Par contre, nous pouvons comparer le prix de différentes catégories d'actif à un moment donné pour déterminer ce qui est vraiment plus cher. Trop cher. Ensuite, il restera à transférer les sommes immobilisées dans ces investissements devenus hors contrôle vers des actifs sous-évalués.

D.B. - Il existe des dizaines d'indicateurs économiques et financiers. Quels sont ceux auxquels nous pouvons nous fier ?

M.F.- Vous pouvez étudier 100 indicateurs, dont 99 vous donneront l'heure juste et seront fiables. Mais celui qui était erroné démolira votre stratégie d'investissement. Pour ma part, j'écoute le marché, je suis à l'affût de ses moindres mouvements. J'observe les titres individuellement. Les devises aussi. Pourquoi celle-là est-elle si forte et celle-ci sous-évaluée ? Les statistiques et les indicateurs sont toujours disponibles a posteriori, lorsque le marché a déjà réagi. Ne sous-estimez jamais sa capacité d'anticiper. Lorsque vous apprenez une nouvelle, le marché l'a déjà comprise dans son prix.

D.B. - Quelle importance accordez-vous à la géopolitique?

M.F. - Je m'y intéresse plus que la plupart des investisseurs. Les États-Unis sont encore une superpuissance, et la Chine, une puissance montante. Ses aspirations vont créer des tensions de plus en plus fréquentes. L'objet principal de celles-ci sera le pétrole. La Chine et l'Inde ont besoin de pétrole pour leur croissance. Les États-Unis, pour leur consommation. Le marché va réagir.

D.B. - Vous êtes très critique du président Obama. Pourquoi ?

M.F. - On a beaucoup critiqué George W. Bush, mais Obama ne s'avère guère mieux. Bush était un ennuyeux donneur de leçons. Il a fait le tour du monde pour dire à tous les chefs d'État comment ils devraient gérer leur pays. Obama est plus hypocrite : il dit à chacun d'entre eux ce qu'il veut bien entendre. Mais son discours est sans substance. On a reproché à Bush sa politique étrangère, on ne pas peut en faire autant pour Obama, il n'en a pas !

D.B.- Au Canada, nous nous sentons relativement à l'abri de la crise. Quand on se compare, on se console. Nous berçons-nous d'illusions ?

M.F. - Tout comme l'Australie, vous traversez une bulle immobilière qui éclatera tôt ou tard. Et puis, votre population est tout de même pas mal endettée. Cependant, par rapport aux États-Unis, le Canada c'est le paradis, il n'y a que l'hiver...

D.B. - Si on choisit son lieu de résidence en fonction de la vigueur de l'économie, dans quel pays devrions-nous nous établir ?

M.F. - Je ne crois pas qu'on devrait choisir son lieu de résidence uniquement en fonction de ce critère. Cela dit, si tel était le cas, j'opterais pour une économie émergente, comme le Brésil. Et si l'on conserve le même critère, je suis très heureux de ne pas être Américain.

D.B. - On vous surnomme Dr. Doom (prophète de malheur) : pourquoi donc êtes-vous si pessimiste ?

M.F. - (rires) Je me considère plutôt comme un être optimiste; je suis simplement moins optimiste que la plupart des gestionnaires de portefeuille, qui choisissent de mentir à leurs clients parce qu'ils n'ont pas les moyens de les perdre. Je vais vous prouver que je suis optimiste : pendant les années 1970 j'ai misé sur l'Asie, au cours des années 1980, sur l'Amérique latine, et pendant les années 1990 j'ai opté pour la Russie. Si ce n'est pas de l'optimisme, dites-moi ce que c'est.

D.B.- Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ?

M.F.- Il y a six mois, les investisseurs se montraient pessimistes à propos des États-Unis et plutôt optimistes par rapport à l'Europe. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Pour moi, la différence entre ces deux régions est qu'aux États-Unis, lorsqu'un État traverse une crise, le gouvernement central lui prête de l'argent. Dans le cas de l'Union européenne, ce n'est pas si facile. Cela étant dit, l'Union Européenne, et l'Europe en général, ne vont pas si mal. Leur balance commerciale n'est pas négative. Cette région est un exportateur net. De plus, ses produits sont de bien meilleure qualité que ceux qui sont fabriqués aux États-Unis. Le risque se trouve plutôt sur le plan social : les plans d'austérité passent mal. C'est le propre des démocraties. À Singapour, lorsque le chef d'État déclare que " l'économie va mal, il faut tous vous serrer la ceinture ", tout le monde comprend le message. Dans une démocratie, dire la vérité à la population n'est pas possible, vous ne serez pas réélu ! Il faut mentir. D'ailleurs, les politiciens américains sont de bons menteurs.

D.B.- Et comment évolue la situation en Chine ?

M.F. - L'économie chinoise va ralentir. En fait, cela a déjà commencé depuis trois mois. Il faut s'attendre à ce que la demande pour les métaux chute, de même que celle de nombreuses denrées. Les investisseurs occidentaux devraient commencer à le considérer. Toutefois, n'oubliez jamais que les pays émergents sont beaucoup plus solides financièrement qu'avant. Leur population est jeune et le marché intérieur vigoureux garantit une demande forte.

D.B. - Certains observateurs craignent que les mesures d'austérité ne nuisent à la reprise. Êtes-vous de ceux-là ?

M.F. - Je suis en faveur des mesures d'austérité, à condition qu'elles soient temporaires.

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