Voyage au bout de la vie


Édition de Octobre 2016

Voyage au bout de la vie


Édition de Octobre 2016

Un risque pour certains, une bénédiction pour d'autres, le tourisme médical gagne en popularité chez les Québécois. Autant savoir à quoi vous en tenir avant de sauter dans l'aventure.

Avant l'opération au dos qu'il a subie à Cuba en novembre 2015, Martin (prénom fictif) ne pouvait pas prendre ses jeunes enfants dans ses bras : une double hernie discale diagnostiquée 10 ans plus tôt l'en empêchait. Comme son neurochirurgien avait écarté l'opération en raison des risques élevés, ce policier de 43 ans avait pris l'habitude de calmer douleurs lombaires et fourmillements dans les jambes à coups d'anti-inflammatoires, de relaxants musculaires et d'infiltrations de cortisone.

Cependant, l'an dernier, à la suite d'une crise particulièrement aiguë, cet adepte de vélo et de course à pied a craint de finir prématurément en fauteuil roulant. Un ami lui parle alors de Cuba, où on pratique la chirurgie de l'hernie discale lombaire. « J'étais loin d'être convaincu : on parle d'une opération au dos. Vous ne voulez pas être celui qu'on "manque"... »

Plusieurs nuits blanches plus tard, l'opération a eu lieu à l'hôpital Cira Garcia de La Havane. Un succès : après trois semaines, Martin reprenait l'avion, soulagé à la fois de ses douleurs et de 15 000 dollars. Depuis, il a aussi repris la natation.

Il ne tarit pas d'éloges à l'égard des médecins et du personnel cubains, de même qu'envers l'agence qui a facilité son séjour là-bas. « Je suis entièrement satisfait, mais je ne le revivrais pas deux fois : c'est une grande décision. Quand on parle de problèmes de dos, chaque cas est différent. Je sais que j'ai de la chance. »

Une question d'argent ?

Chance ou pas, il est loin d'être le seul à goûter aux aléas du tourisme médical : en 2014, plus de 52 000 Canadiens - dont 6 200 Québécois - ont reçu des soins non urgents à l'extérieur du pays, une hausse de 25 % par rapport à 2013, selon un rapport de l'Institut Fraser. On peut raisonnablement penser qu'il y en a davantage, car cette estimation est basée sur les données recueillies auprès d'un échantillon de médecins de 12 spécialités différentes, dont la neurochirurgie. Les patients qui s'offrent des soins dentaires à l'étranger notamment en sont exclus.

Et c'est d'abord pour économiser sur des services non couverts par la Régie de l'assurance-maladie (RAMQ) que les Québécois s'adonnent au tourisme médical, selon le président-directeur général du Collège des médecins, Charles Bernard. « À part quelques exceptions, comme les listes d'attente pour des greffes rénales ou certaines chirurgies, les patients sont attirés par des services à moindre coût, notamment pour les soins dentaires. »

En effet, les soins dentaires au Costa Rica par exemple coûtent de 50 à 60 % moins cher qu'au Québec, en comprenant le coût du séjour, confirme Pablo Castillo, président-directeur général de MedBrick. Cette agence de tourisme médical facilite le séjour de Québécois en quête de divers services - de la chirurgie esthétique aux prothèses auditives - dans différents pays d'Amérique latine.

Selon lui, les listes d'attente poussent plusieurs Québécois à passer sous le bistouri ailleurs. « S'ils attendent une chirurgie orthopédique ou bariatrique pendant des mois ou des années, les patients ont souvent une piètre qualité de vie. Tandis qu'en Colombie, ils peuvent être opérés avec une semaine de préavis. » Dans ce pays, le remplacement d'une hanche coûtera entre 8 000 et 12 000 dollars, indique-t-il, soit 2,5 fois moins cher que la même intervention pratiquée par un chirurgien orthopédiste dans une clinique privée du Québec.

« Il y a un problème majeur d'accès aux services médicaux au Québec, et les choses ne s'améliorent pas, analyse Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé en responsabilité médicale. On vit dans un régime où les médecins sont libres d'offrir les services à qui ils veulent, comme ils le veulent et quand ils le veulent. Il faut changer la pratique médicale pour améliorer l'offre de services. »

Les yeux de la tête

Autre catégorie de touristes médicaux : les Québécois qui cherchent désespérément une solution à un problème de santé, soit parce que le traitement n'est pas offert ici, qu'il n'a pas fait ses preuves ou qu'il représente des risques jugés démesurés par rapport à l'état de santé du patient. Chez Services Santé International (SSI), une agence spécialisée dans les séjours médicaux à Cuba - celle qui a organisé l'opération de Martin -, ce sont surtout ceux-là qui font sonner le téléphone, affirme le président Alain Leclerc. « Chaque semaine, des gens communiquent avec nous parce qu'ils ne trouvent pas de solution satisfaisante à un problème de santé chronique. Très souvent, ils sont désespérés. »

Et le prix de l'espoir peut être très élevé, comme l'a constaté François Beaumont, 35 ans. En mars 2015, ce fiscaliste et triathlète apprenait qu'il était atteint d'un cancer du côlon et de métastases au foie. Son médecin lui donnait 20 % de chances d'être en mesure de souffler ses 40 bougies. Pour freiner la progression de la maladie, il s'est rendu trois fois à Francfort, en Allemagne, où le Dr Thomas Vogl propose des traitements de chimio-embolisation et de thermo-ablation au laser. Le médecin allemand traite d'ailleurs des dizaines de Québécois annuellement.

Comme chaque séjour coûte près de 20 000 dollars, l'entourage du jeune malade a réalisé diverses activités de financement pour l'aider à amasser les sommes nécessaires. Mais jusqu'ici, les traitements du Dr Vogl ne semblent pas avoir donné les effets espérés : en juin dernier, trois mois après son dernier séjour en Allemagne, les médecins québécois ont détecté trois lésions sur son foie. « Ça m'a laissé un goût amer », déplore François Beaumont lors d'un échange par écrit.

Dans l'espoir d'améliorer leur sort, d'autres malades épuisent leurs économies pour payer le coût de traitements qui ne sont pas offerts au Québec. C'est le cas de l'ex-soldat Marianne Martin, une jolie blonde de 43 ans atteinte de la maladie de Lyme. Piquée par une tique en 1994 - elle se souvient qu'un de ses orteils était resté mauve pendant plusieurs mois, mais la maladie était pratiquement inconnue à l'époque - elle ne s'est rendu compte que vers 2014 de la nature du mal qui l'affligeait depuis 20 ans.

Pour en avoir le cœur net, elle a encaissé son dernier REER afin de consulter un médecin spécialisé dans cette pathologie à Plattsburgh, de l'autre côté de la frontière. « J'énumérais mes symptômes à des médecins depuis 20 ans avec l'impression de ne pas être prise au sérieux. Je n'avais plus grand-chose à perdre. » Précisons que la maladie de Lyme déchire la communauté médicale canadienne, qui ne s'entend ni sur la façon de la diagnostiquer, ni sur son traitement.

De retour au pays avec un traitement aux antibiotiques - au coût de 450 dollars par mois environ -, Marianne n'était pas au bout de ses peines : après trois mois, son corps ne tolère plus le traitement. Trop faible pour occuper un emploi stable - « c'est comme si j'avais une mononucléose depuis 20 ans », illustre-t-elle -, elle s'est résignée à retourner vivre chez ses parents vieillissants. Elle mène actuellement une campagne de sociofinancement afin de réunir les 6 000 dollars nécessaires pour s'offrir un deuxième traitement à Plattsburgh. « Je garde espoir, car certains traitements fonctionnent. »

Risky business

En plus de grever le budget du patient, certains soins médicaux donnés à l'étranger comportent des risques élevés pour la santé et la sécurité des Québécois, souligne le Dr Charles Bernard, du Collège des médecins. « Fait-on affaire avec un professionnel certifié ? Le milieu de soins est-il hygiénique ? Les techniques et les équipements utilisés sont-ils adéquats ? Quand on choisit de se faire soigner à l'étranger, il faut comprendre dans quoi on s'embarque. L'objectif de l'entreprise ou de l'agence n'est pas votre bien-être, mais son propre compte de banque. »

Il reste qu'une infime portion des usagers ne trouvent pas leur compte dans le réseau public, rétorque Alain Leclerc, de SSI. Si quelque 200 personnes par année font appel aux services de son agence, c'est que celle-ci a son utilité, pense-t-il. « On n'a pas idée de la détresse des gens qui vivent dans la douleur. Pour eux, se faire soigner ailleurs représente une solution qui peut tout changer dans leur vie. » Selon la prestation médicale, SSI reçoit une quote-part de 10 à 15 % environ sur le coût des services médicaux, précise-t-il. « Quelqu'un qui veut faire de l'argent dans cette industrie a intérêt à travailler fort. »

Cependant, des complications médicales à l'étranger peuvent avoir des conséquences tragiques. En novembre 2015, quelques jours après Martin, un autre Québécois s'envolait vers le même hôpital cubain pour y subir une intervention au dos. À la suite de complications majeures, Yvon St-Louis a dû être rapatrié dans un hôpital montréalais, où il est décédé en janvier. Selon un reportage de l'émission La Facture, qui rapportait son histoire au printemps, sa famille a dû éponger une facture totale de 95 000 dollars. Le fils d'Yvon St-Louis n'a pas donné suite à notre demande d'entrevue.

Dans de tels cas, les possibilités d'un recours juridique sont à peu près nulles. « Lorsqu'il choisit de se faire soigner à l'extérieur du Québec, le patient assume tous les risques, explique Me Jean-Pierre Ménard. Autrement dit, on se place entre les mains de quelqu'un dont on ne connaît ni l'éthique, ni la qualité de la pratique. Il faut être extrêmement prudent. »

Son bureau reçoit régulièrement des appels de patients soignés à l'étranger qui s'interrogent sur de possibles recours. « On a fouillé plus amplement peut-être une dizaine de cas différents, mais la preuve était toujours très difficile à établir. »

Autre complexité : le suivi post-intervention au retour du patient. « Le médecin traitant doit procéder à tâtons, déplore Charles Bernard. Si vous vous êtes fait opérer en Inde, par exemple, comment peut-il connaître le protocole opératoire ou la nature des interventions ? »

Quelle que soit la destination, une réflexion sérieuse s'impose avant de jouer au touriste médical. Si vous n'êtes pas satisfait des traitements proposés par votre médecin, demandez un deuxième, voire un troisième avis, conseille Me Jean-Pierre Ménard. Consultez des sources fiables pour vous renseigner sur les traitements - revues scientifiques, facultés de médecine - plutôt que les sites des entreprises ou des individus qui en font la promotion.

Quant aux chirurgies non urgentes, renseignez-vous pour savoir où elles sont offertes dans le système public québécois : il est possible que la liste d'attente d'un hôpital régional soit beaucoup moins longue que celles des établissements des grands centres urbains. Moins chaud que Cuba... mais gratuit.

ET L'ASSURANCE ?

L'assurance voyage ne suffit pas pour les touristes médicaux, qui ont tout intérêt à se munir d'une protection contre les complications médicales. Peu d'assureurs canadiens offrent actuellement de tels produits, bien que l'industrie du tourisme médical y travaille, selon Pablo Castillo de MedBrick. Il est cependant possible d'acheter une assurance qui couvre les complications auprès de prestataires américains. Le prix variera en fonction de différents critères, notamment l'âge et la nature de l'intervention. À titre d'exemple, selon nos recherches, une femme de 45 ans qui subit une chirurgie de 15 000 dollars nécessitant une quinzaine de jours d'hospitalisation paierait entre 600 et 1 050 dollars. Attention : les couvertures varient d'un assureur à l'autre, et certaines limites d'âge peuvent s'appliquer.

RESSOURCES UTILES :

Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec - Accès aux services médicaux spécialisés par région et par établissement

Agrément Canada

World Hospital Search (Joint Commission International)

Patients Beyond Borders

Gouvernement du Canada - Recevoir des soins médicaux dans d'autres pays

 

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