Vos questions sur l'impôt


Édition du 11 Mars 2017

Vos questions sur l'impôt


Édition du 11 Mars 2017

Par Stéphane Rolland

Mars, mois de la fiscalité. Alors que travailleurs, entrepreneurs et investisseurs sont à leur calculatrice, nous avons demandé à nos lecteurs de nous transmettre leurs questions. Nous avons reçu de «bonnes colles». Voici les réponses des experts interrogés.

1. Mettre son immeuble en société ou pas ?

Un lecteur se demande s'il est possible de mettre un immeuble à revenus dans une société. La réponse est oui. Bien que cette stratégie permette à certains contribuables fortunés de réduire leur facture fiscale, elle n'est pas nécessairement avantageuse pour tous. Trois experts nous aident à y voir plus clair.

On peut transférer un immeuble à revenus dans une société sans impact fiscal, répond Richard D'Amour, avocat spécialiste en droit des affaires et en fiscalité. «Il y a une mécanique qui s'appelle le roulement, précise le fondateur du Cabinet De Chantal, D'Amour, Fortier à Longueuil. On peut faire entrer l'immeuble par roulement, mais on ne peut pas le faire sortir de la même façon. Pour que le processus fonctionne, il faut que la valeur de l'hypothèque soit inférieure aux coûts amortis de l'immeuble.»

Notez que cette stratégie n'est pas indiquée si vous résidez dans un des logements de votre immeuble. Vous perdriez l'exemption d'impôt pour résidence principale. De plus, le fait de vivre dans un des logements de votre société sera considéré comme un avantage imposable (sauf si vous payez un loyer raisonnable, mais celui-ci sera imposé au sein de la société).

Si votre taux marginal d'imposition ne se trouve pas au palier le plus élevé, il est probable que vous y perdrez au change, du moins à court terme, affirme M. D'Amour. En effet, les revenus de biens (le loyer se trouve dans cette catégorie) sont imposés à un taux de 50,57 % dans une entreprise. En 2017, seuls les particuliers qui déclarent un revenu supérieur à 202 800 $ auront un taux marginal plus élevé, soit 53,31 %. Malgré tout, il est possible que la création d'une société soit avantageuse à plus long terme, et ce, même si votre taux marginal d'imposition est inférieur à celui de la société.

Cette stratégie permet par exemple de reporter l'imposition à un moment où les revenus gagnés seront moins élevés, poursuit-il. En fait, le taux d'imposition de 50,57 % au sein de la société est découpé en deux impôts : un impôt fixe de 19,9 % et un impôt temporaire de 30,67 %. Lorsqu'un actionnaire se verse un dividende, la tranche de 19,9 % reste imposée dans la société et donne droit à un crédit d'impôt pour dividende à l'actionnaire qui reçoit le dividende. La tranche de 30,67 %, pour sa part, sera récupérée par la société. «Si, au moment de se verser un dividende, les propriétaires ont des revenus moins élevés parce qu'ils ont cessé de travailler, ils seront moins taxés personnellement», explique l'avocat, qui donne des formations en fiscalité aux membres du Club d'investisseurs immobiliers du Québec.

Ne pas sortir l'argent

Attention: pour que cette stratégie fonctionne, vous devez laisser l'argent dans la société, prévient Christian Menier, responsable du département de fiscalité de Raymond Chabot Grant Thornton pour la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Si vous vous versez des dividendes chaque année, vos revenus de loyers seront encore plus imposés, à un taux de 55 % plutôt que de 53,31 %. «Le propriétaire sera désavantagé s'il sort régulièrement l'argent de l'entreprise», poursuit-il.

Pourquoi ? Le principe d'intégration entre la société et les revenus personnels vise à ce que le taux d'imposition soit équivalent dans une société ou entre les mains du particulier, après le versement d'un dividende. Or, l'intégration «n'est pas parfaite», si bien qu'au taux marginal le plus élevé, la récupération au sein de la société ne remplacera pas complètement les sommes à payer dans une déclaration personnelle, explique M. Menier.

Fractionnement

Une autre stratégie fiscale possible avec une société détenant un immeuble est le fractionnement de revenus en versant des dividendes à un conjoint ou à ses enfants majeurs, qui gagnent des revenus moindres. Les particuliers doivent cependant faire attention lorsqu'ils fractionnent leurs revenus avec leur conjoint, prévient Richard Lalongé, conseiller principal, planification financière et service-conseil de Trust Banque Nationale. «Des règles d'attribution peuvent s'appliquer, note le planificateur financier et fiscaliste. Fractionner avec le conjoint, c'est délicat. Il vaut mieux que celui-ci soit dans l'entreprise dès le début et qu'il y ait participé financièrement.»

Le propriétaire de la société devrait également faire attention avant de verser un salaire à son conjoint. «Ça peut être contestable, note M. D'Amour. Un salaire nécessite une tâche, et on ne peut pas surpayer pour une tâche. Je ne peux pas donner 50 000 $ par année à une personne qui fait trois heures d'administration par semaine.»

La succession

Transférer un immeuble dans une corporation peut être une façon d'alléger le fardeau fiscal de vos enfants si vous souhaitez leur léguer l'immeuble, note M. Menier. Supposons que vous ayez un immeuble d'une valeur de 300 000 $, cite en exemple le fiscaliste. En créant votre société, vous pourriez émettre 300 000 $ en actions privilégiées pour vous. Vous pourriez ensuite émettre des actions ordinaires à votre enfant à 0 $. «Ainsi, toute l'appréciation de l'immeuble se trouvera dans les actions ordinaires, commente M. Menier. Lorsque vous mourrez, vous devrez vous imposer sur les actions privilégiées, mais votre fils n'aura pas à s'imposer sur la valeur de ses actions ordinaires puisqu'il n'est pas encore décédé.»

Poussez cette stratégie du gel un peu plus loin et vous pouvez réduire progressivement l'impôt à votre décès, ajoute M. D'Amour. Pour ce faire, votre société devra racheter une partie des actions privilégiées que vous détenez. Ces rachats sont imposés comme un dividende. Contrairement à un simple dividende, le rachat d'actions diminue la valeur des actions privilégiées entre les mains du particulier, ce qui réduit par le fait même l'actif imposable au décès. «La technique, c'est de geler la valeur entre vos mains et de la réduire tranquillement au fil des années», résume-t-il.

Protection légale

Avoir une entreprise permet également de se protéger en séparant sa responsabilité personnelle de celle de la société. Cela pourrait être utile si l'acheteur d'un de vos immeubles y découvre un vice caché et décide de vous poursuivre, explique M. D'Amour. «Vos biens personnels ne sont pas à risque parce que l'entreprise est une entité distincte, elle a son propre patrimoine. À moins qu'il ait commis une fraude, vous ne pouvez pas poursuivre l'actionnaire. Évidemment, vous ne pouvez pas sortir l'argent de la société dès que vous avez une poursuite. Il y a des règles qui permettraient de récupérer cet argent.»

Cette séparation est limitée par la responsabilité des administrateurs de la société, précise M. Lalongé. «De plus, il est possible qu'une banque demande une caution personnelle pour les activités de votre société, ajoute-t-il. Dans ce cas, ça peut limiter les avantages de la protection qu'offre la société en cas d'insolvabilité», nuance-t-il.

2. Couple : ce qui change au moment de l'entrée en CHSLD

L'épouse d'un lecteur vient d'être placée dans un CHSLD. L'homme se demande quel impact leur nouvelle situation aura sur leurs déclarations fiscales. Nous avons posé la question à Josée Jeffrey, de Focus Retraite & Fiscalité.

Lorsqu'un tel scénario se produit, le fisc considère que vous êtes en situation de «séparation involontaire», répond la fiscaliste et planificatrice financière. Légalement, vous êtes toujours en couple. Dans l'ensemble, vous pouvez conserver les avantages fiscaux réservés aux couples tout en ayant la possibilité de faire certaines demandes individuelles.

Ce qui change

L'admissibilité au Supplément de revenu garanti (SRV) sera désormais déterminée selon les revenus individuels de chacun des membres du couple plutôt que selon ceux du ménage, explique Mme Jeffrey. Les deux conjoints pourront en faire la demande auprès de Service Canada. «Tant mieux si un des conjoints a des revenus plus bas, car ce sera considéré de façon individuelle, fait-elle valoir. C'est très facile à faire : un appel et c'est tout.»

La détermination du crédit d'impôt pour solidarité se fera également selon les revenus individuels plutôt que selon ceux du ménage. «Notons que le résident du CHSLD n'aura pas droit à la portion "logement" du crédit, mais aura droit à la composante relative à la TVQ», précise-t-elle.

Crédits d'impôt

Les frais d'hébergement dans un CHSLD sont admissibles au crédit d'impôt pour frais médicaux tant au fédéral qu'au provincial. «Par contre, vous ne pouvez pas demander le crédit d'impôt pour personnes handicapées et le crédit pour frais médicaux en ce qui concerne les frais de CHSLD, ajoute-t-elle. Il faut choisir celui qui est le plus avantageux. Très souvent, c'est le crédit pour frais médicaux.»

Les avantages offerts aux conjoints demeurent. Par exemple, notre lecteur conserve le droit de fractionner ses revenus de pension, de transférer ses crédits d'impôt à sa conjointe ou de regrouper les dépenses médicales ou les dons de charité sur une seule déclaration.

3. Emménager dans une copropriété qu'on louait

Comment utiliser l'exemption pour résidence principale lorsque la nature d'une propriété change ? Un lecteur qui compte aménager dans une copropriété s'interroge.

La situation

À 23 ans, notre lecteur possède déjà deux copropriétés sur l'île de Montréal. En 2015, il en a acquis une première, qui avait «besoin d'amour», pour un montant de 155 000 $. Après avoir effectué des travaux «cosmétiques», il estime que sa propriété vaut 195 000 $. Il y réside.

En 2016, il achète une deuxième copropriété de 200 000 $ au centre-ville de Montréal. Il loue ce logement. Grâce à des travaux de rénovation, il estime que l'appartement vaut maintenant 235 000 $. Ses locataires lui ont annoncé qu'ils ne renouvelleraient pas leur bail. Puisque cette copropriété est mieux située que celle où il habite actuellement, notre lecteur veut y aménager et louer la première. Il affirme qu'il veut conserver les deux copropriétés à long terme. Comment doit-il calculer son gain en capital ?

La réponse

En règle générale, quand votre immeuble change d'usage, vous êtes réputé en avoir disposé, explique Christian Menier, responsable du département de fiscalité de Raymond Chabot Grant Thornton pour la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Autrement dit, le fisc considérera que vous avez vendu la copropriété où vous résidez en ce moment, même si ce n'est pas le cas.

Si celle-ci vaut 195 000 $, comme vous l'estimez, vous aurez, selon le fisc, réalisé un gain en capital de 40 000 $. Vous devrez déclarer ce gain et demander l'exemption pour résidence principale, ce qui se fera à coût nul, explique M. Menier.

Dans le cas de la deuxième copropriété, où vous voulez emménager, le fisc jugera encore une fois que vous en avez disposé. Selon les estimations que vous nous avez données, cela représentera un gain en capital de 35 000 $. [Dans cet exemple, nous tenons pour acquis que les travaux cosmétiques ne sont pas capitalisables puisque les simples dépenses d'entretien ne changent pas le coût moyen d'acquisition.]

Vous avez deux options : vous pouvez payer l'impôt immédiatement sur le gain en capital ou écrire une lettre au fisc afin de reporter ce gain jusqu'au moment de la disposition réelle de l'immeuble. «Toutefois, pour pouvoir utiliser cette option, vous devez ne jamais avoir déclaré d'amortissements sur votre immeuble, prévient M. Menier. Si vous en avez déclaré, vous perdez la chance de reporter le gain.»

4. Combien de transactions avant d'être un day trader ?

À partir de combien de transactions est-on considéré comme un day trader ? Nous avons posé la question à Benoit Desjardins, associé en fiscalité chez Deloitte.

Rappelons que l'investisseur autonome a droit à la déduction pour gain en capital lorsqu'il vend un titre à profit. Ainsi, seulement la moitié du gain est imposée. Par contre, lorsqu'un spéculateur pratique le day trading, ses gains sont considérés comme des revenus d'entreprise. Ainsi, 100 % de l'appréciation sera imposée au taux marginal du particulier.

Revenons à la question. Il n'existe pas de seuil précis pour différencier les deux, répond M. Desjardins. «Ce n'est pas codé par les lois fiscales, c'est dans la jurisprudence, poursuit-il. Il y a des principes qui permettent d'arriver à cette conclusion.»

Le fisc regardera ainsi la «conduite du contribuable», soit son expertise dans le domaine, explique-t-il. Par exemple, les gains d'un gestionnaire de portefeuille seront plus susceptibles d'être considérés comme des revenus d'entreprise. La «nature du bien» sera aussi prise en compte. Autrement dit, est-il raisonnable de croire qu'on puisse posséder ce bien à long terme ? Finalement, les «intentions du contribuable» seront aussi considérées : avait-il le projet de revendre rapidement le bien acquis ? «Dans le cas du day trading, le fisc regardera si votre organisation est bien rodée, les méthodes et les outils que vous utilisez, le temps que vous y consacrez par rapport à votre travail régulier», résume M. Desjardins.

Les spéculateurs ont toutefois une avenue pour conserver le droit de déclarer un gain en capital, souligne le fiscaliste. Il leur suffit de demander au fisc de qualifier leurs gains comme des gains en capital. «Ce choix n'est pas rétroactif et se limite aux actifs canadiens, précise-t-il. Ce n'est pas possible de le faire pour les actions cotées à la Bourse de New York, par exemple.»

Attention, il s'agit d'un couteau à double tranchant. En obtenant la déduction pour gain en capital, vous perdez la possibilité de déclarer des pertes de revenus. Autrement dit, vous ne pouvez déduire que 50 % de vos pertes plutôt que 100 %. «Il y a un avantage et un inconvénient, résume l'expert. Si nos clients font beaucoup de transactions, nous leur conseillerons d'envisager ce choix, mais ils doivent comprendre le pour et le contre. Il y a toute une analyse à faire. Ce n'est pas une décision qu'on prend de manière banale.»

5. Quelques questions en vitesse

Luc Lacombe, associé de Raymond Chabot Grant Thornton à Montréal, répond à trois questions éclair sur différents sujets.

A Peut-on utiliser une perte en capital sur un immeuble à revenus pour compenser un gain en capital réalisé sur le marché boursier ?

Encore mieux, on sait qu'on peut faire un gain en capital en vendant un immeuble à revenus au-dessus de sa valeur marchande. Toutefois, la perte en capital sur un immeuble locatif «n'existe pas», répond M. Lacombe. Vous enregistrerez plutôt une perte locative. Celle-ci est déductible à 100 % sur l'ensemble des revenus du contribuable au fédéral et au provincial. Pour la portion liée au terrain, toutefois, vous déclarez une perte en capital si celui-ci perd de la valeur. Eh oui, cette perte en capital peut compenser un gain en capital sur le marché boursier.

B Un lecteur doit effectuer plus de 40 km en déplacement pour rencontrer son médecin qui a déménagé. Peut-il inclure ses frais de déplacement dans ses déductions relatives aux frais médicaux ?

Ça dépend. «La réponse n'est pas liée à l'emplacement du professionnel qui a déménagé, mais à l'existence du service dans la région à moins de 40 km de la résidence du patient, explique M. Lacombe. Si le service se donne dans la région de la personne, elle ne pourra pas déduire les frais.» Cette information n'est pas uniquement d'intérêt pour les résidents de régions éloignées. Un résident de Saint-Jérôme, dans les Laurentides, qui doit se rendre à Montréal pour rencontrer un médecin spécialiste parce qu'il n'y en a pas dans sa région pourrait par exemple en profiter.

C Peut-on déduire les frais d'intérêt d'un prêt lorsqu'on emprunte pour investir dans un CELI ?

Non. Comme cet argent est investi à l'abri de l'impôt, vous n'avez pas droit aux déductions pour frais financiers, frais d'intérêt ou perte en capital. C'est la même chose pour le REER.

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