Un bitcoin, ça vaut quoi ?

Publié le 21/02/2018 à 06:00

Un bitcoin, ça vaut quoi ?

Publié le 21/02/2018 à 06:00

Par Stéphane Rolland

Quel serait le juste prix d'un bitcoin ? Sa valeur a fluctué dans une fourchette se situant de pratiquement rien à un sommet frôlant les 20 000 $ US, en décembre 2017. Quelles sont les propriétés qui lui confèrent sa valeur ?

Son protocole est décentralisé et il n'est pas dépendant des politiques des banques centrales, comme le sont les grandes devises telles que le dollar canadien, répond Francis Pouliot, cofondateur de Catallaxy une firme de recherche et de conseil sur la chaîne de blocs (blockchain) associée au cabinet Raymond Chabot Grant Thornton. « Ça offre une certaine indépendance par rapport aux risques générés par les politiques des banques centrales, explique-t-il. C'est une technologie qui est sécuritaire, qui est open source (un code source libre) et qui est auditée en temps réel. On ne peut pas censurer ou empêcher une transaction. »

Ces caractéristiques sont particulièrement appréciées dans les économies instables où la valeur de la monnaie est volatile, ajoute Martin Lalonde, président de Rivemont, dont la firme a créé un fonds de cryptomonnaies. L'actualité récente au Venezuela en est un exemple. « L'internationalisation du bitcoin est l'une de ses caractéristiques, explique-t-il. On peut en échanger partout dans le monde sans se préoccuper du taux de change. Si quelqu'un n'a pas confiance dans la monnaie de son pays, le bitcoin n'est pas contrôlé par l'État. »

En achetant du bitcoin, un investisseur s'expose ainsi à un actif qui n'est pas corrélé aux actifs traditionnellement détenus dans un portefeuille, poursuit M. Pouliot. « Certainement, les actions, les obligations et les devises ne sont pas nécessairement en corrélation entre elles, mais elles dépendent toutes du système financier qu'elles soutiennent et de la valeur de la monnaie. Exposer une petite portion de son portefeuille à un actif non corrélé offre une protection si jamais une crise financière survient. »

Le juste prix

Comme pour n'importe quel actif, la valeur du bitcoin sera déterminée par l'offre et la demande, souligne M. Pouliot, qui a aussi été analyste en politique publique de l'Institut économique de Montréal (IEDM). Or, le bitcoin est programmé de manière à ce qu'il n'y en ait que 21 millions (il y en aurait 16,8 millions en circulation en ce moment). Comme l'offre est plafonnée, c'est la demande qui déterminera le prix. « Acheter du bitcoin aujourd'hui, c'est spéculer que la demande pour les propriétés du bitcoin sera beaucoup plus élevée dans le futur », résume-t-il.

À quel prix atteindrait-on le point d'équilibre ? « Je suis la dernière personne à faire une prévision, répond M. Pouliot. En revanche, la démonstration de la valeur à long terme a été faite. À court et moyen terme, on ne sait pas. Peut-être que la machine s'est trop emballée et que le bitcoin ne vaut que 5000 $ US, peut-être que la valeur stagnera à 10 000 $ US ; d'autres recherches disent qu'il vaut 70 000 $ US. »

Difficile de mettre un cours cible comme les analystes le font pour les actions, abonde Frederick Pye, PDG de 3iQ, qui a lancé un fonds de cryptomonnaies. Il fait toutefois référence à la valeur de certains actifs traditionnels pour faire une hypothèse. La valeur des liquidités partout dans le monde est d'environ 90 000 milliards de dollars américains, selon le site Visual Capitalist. Si on ajoute les actions et l'or, on arrive à une valeur de 171 000 G$ US. En accaparant « seulement » 1 % de cette capitalisation, le bitcoin vaudrait près de 80 000 $ US. « Ça pourrait accaparer une part de marché plus grande, mais ça donne une idée. »

Une illusion ?

Hendrix Vachon, économiste au Mouvement Desjardins, est sceptique lorsqu'il entend ce genre de chiffre. À l'opposé, il croit plutôt que le bitcoin est « voué à l'échec ». Il n'a pas l'ombre d'un doute que l'engouement récent pour les cryptomonnaies est une bulle. Une opinion que reflète le consensus dans les milieux financiers plus « traditionnels ».

Une des grandes failles du bitcoin est son caractère désinflationniste, poursuit M. Vachon. Pourtant, cette caractéristique est souvent présentée comme un atout par les partisans du bitcoin en ce qu'il n'est pas fragilisé par l'inflation créée par les politiques monétaires des banques centrales. L'économiste de Desjardins pense au contraire que cette caractéristique représente un « enjeu insurmontable ».

« Personne ne prendra une dette hypothécaire en bitcoin, si la valeur de cette dette est susceptible de s'apprécier dans le temps, ajoute-t-il. Pourtant, le crédit, c'est la base de l'économie moderne. »

Contrairement à la monnaie, le bitcoin est difficile à échanger, ajoute M. Vachon. D'un ton moqueur, l'économiste donne l'exemple des organisateurs d'une conférence sur le bitcoin à Miami, contraints de refuser les paiements en bitcoin en raison des délais de transactions. Pour les détracteurs du bitcoin, le fait divers survenu en janvier évoquait ses faiblesses inhérentes.

La raison d'être du bitcoin n'est pas de réaliser des transactions quotidiennes, mais bien de servir de valeur refuge, au même titre que l'or, intervient M. Pye. « Il y aura une demande de la part des millionnaires qui veulent protéger leurs actifs », prédit-il.

M. Vachon met en doute cette comparaison avec l'or. Le métal précieux a une présence physique concrète qui continuerait d'exister advenant une cyberguerre, par exemple, ce qui n'est pas garanti avec le bitcoin. Il reconnaît toutefois que dans « ce scénario apocalyptique hypothétique », il resterait tout de même difficile d'accéder à l'or.

Une bulle ?

S'il s'agit d'une bulle, sa taille serait sans précédent si on la compare aux excès d'irrationalité du passé, selon une note de M. Vachon. Le Nasdaq s'est multiplié par cinq durant la bulle techno dans les années 1990. Plus loin de nous, le prix des tulipes s'est apprécié de 20 fois durant la tulipomanie, aux Pays-Bas, en 1636-1637. Or, le bitcoin a multiplié sa valeur par près de 800 fois de 2013 à son sommet de décembre.

En entrevue, l'économiste nuance l'idée selon laquelle l'effervescence du bitcoin constituerait « la plus grande bulle de l'histoire ». « Le problème avec ces comparaisons est qu'on part d'une valeur de presque zéro, explique-t-il. À la Bourse, une action ne partira jamais de zéro. »

Même si une bulle se formait autour du bitcoin, cela ne serait peut-être pas une mauvaise chose, pondère M. Lalonde, qui croit tout de même que les perspectives sont bonnes à long terme. « Je ne connais pas le futur : il est possible que ce soit une bulle, admet-il. Même si c'est le cas, de grandes richesses se sont construites en jouant des bulles comme les technologies ou l'immobilier. C'est un marché haussier incroyable ! À mon avis, ce serait dommage de ne pas en profiter. »

La correction du bitcoin de près de 50 % en janvier pourrait être le calme avant la tempête, avance M. Vachon. « C'est la demande qui va nous le dire. Si, après la baisse du début d'année, les gens sont découragés de ne pas revoir les cryptomonnaies remonter, on pourrait assister à une vente massive, ce qui mènerait à un krach. »

Ceux qui imaginent que les détenteurs du bitcoin vont se ruer vers la porte de sortie comprennent mal leurs motivations, affirme M. Pouliot. « Le noyau des détenteurs de bitcoin est idéologiquement motivé à les garder. Ils sont là depuis longtemps et, dans aucun cas, ne veulent les vendre. »

TROIS EXEMPLES DE MONNAIES ALTERNATIVES

Le territoire des cryptomonnaies est vaste. Il en existe 1 528 différentes, selon le site coinmarketcap, consulté au moment d'écrire ces lignes. Les autres jetons que le bitcoin sont appelés les monnaies alternatives. En voici trois exemples.

1. Ethereum

C'est la deuxième monnaie la plus fortement valorisée, après le bitcoin. Le but de la chaîne de blocs de l'ethereum n'est pas uniquement de créer des jetons, mais bien de permettre à des applications de gérer des données comme la signature de contrat intelligent ou l'archivage de données médicales, donne en exemple Frederick Pye, PDG de 3iQ. Pour mener des activités sur le réseau, les entreprises doivent payer des jetons d'ethereum.

2. Litecoin

Le litecoin se présente comme la solution de rechange au bitcoin pour effectuer des transactions courantes plus rapidement. Le nombre est limité à 84 millions de jetons. « Le futur du bitcoin est d'être un gardien de la valeur, alors que le litecoin, c'est pour les transactions quotidiennes », résume M. Pye.

3. Filecoin

La technologie de la chaîne de blocs ouvre des possibilités de débouchés pour des services originaux. Le filecoin en est un exemple, dit Audry Larocque, directeur général en technologies chez PwC Canada, sans se prononcer sur la viabilité de l'initiative. « Si vous avez de l'espace de mémoire disponible sur votre ordinateur, vous pouvez le mettre à la disposition de filecoin, qui a créé un réseau d'archivage infonuagique. C'est un peu le Airbnb de l'information en nuage. L'entreprise vous rémunère en filecoin pour cet espace. Vous êtes ensuite libre de les garder ou de les vendre sur le marché secondaire. »

TROIS FAÇONS DE S'EXPOSER AU BITCOIN

1. Acheter directement

C'est la manière la plus directe, mais elle n'est pas sans risque. La chaîne de blocs du bitcoin n'a encore jamais été piratée et ses partisans estiment que sa technologie est inviolable. En revanche, les plateformes d'échanges et les portefeuilles virtuels qui contiennent vos bitcoins, eux, sont vulnérables à une attaque informatique.

Au Japon, la plateforme Coincheck s'est fait dérober pour l'équivalent de 500 millions de dollars américains en jetons en janvier dernier. Le problème avec ce genre de crime est que les mouvements, une fois enregistrés, sont irréversibles. « Une fois que la fraude est commise, le virement ne peut pas être renversé, prévient Francis Pouliot, de Catallaxy. Le monde du bitcoin, c'est un peu le Far West : il faut faire le moins confiance aux gens et faire les vérifications nécessaires. »

Il existe certaines plateformes d'échange, qui ont une meilleure réputation. On compte Coinsquare et QuadrigaCX au Canada ainsi que Coinbase et Kraken aux États-Unis. Cette liste non exhaustive a été dressée à l'aide d'experts qui ont préféré garder l'anonymat pour ne pas se trouver en position de faire la promotion d'une plateforme plutôt qu'une autre. Cette liste ne signifie pas qu'elles sont sans risque. Il est à noter qu'elles ne sont pas réglementées par les autorités boursières canadiennes, ce qui limite les recours en cas de litige.

Si vous jugez que le risque en vaut la chandelle, assurez-vous de conserver précieusement vos informations. Il existe de tristes histoires de multimillionnaires du bitcoin incapables de remettre la main sur leur magot. « Votre portefeuille aura un numéro unique, explique Audry Larocque, directeur général en technologies chez PwC Canada. Si vous perdez votre numéro, vous perdez votre argent. À partir du moment où vous ouvrez un portefeuille, il faut archiver le code dans un endroit sécuritaire. Ce peut être sur une clé USB cryptée ou sur une photo déposée dans un coffre-fort. »

2. Investir dans un fonds

L'industrie financière commence à chercher des manières d'offrir une exposition au bitcoin sans les détenir directement. Des démarches de différentes firmes pour lancer un fond négocié en Bourse (FNB) à Toronto ou à New York sont en cours, mais celles-ci n'ont pas encore abouti. Citées parmi nos experts, les firmes 3iQ et Rivemont gèrent leurs fonds de cryptomonnaies.

3. Devenir mineur

Devenir mineur est une autre manière d'investir sans acquérir directement une cryptomonnaie. Les mineurs exploitent les machines qui assurent le fonctionnement du réseau bitcoin. Ces appareils reçoivent et approuvent les transactions, explique Audry Larocque.

Pour « monsieur et madame Tout-le-Monde », ces appareils sont difficilement exploitables à domicile, juge Johnathan Bertrand, le président de Technologies D-Central.« Ce n'est pas dangereux, mais c'est très dérangeant, explique-t-il. C'est bruyant et ça produit un sifflement. Dans un appartement, c'est sûr que c'est "non". Dans un sous-sol bien isolé ou un garage, c'est une possibilité. » Cet inconvénient a ouvert une occasion d'affaires à M. Bertrand, dont l'entreprise loue des espaces pour accueillir les machines des particuliers.

Combien de bitcoins peut-on obtenir avec cette machine ? Ça dépendra de sa puissance de calcul et de la « difficulté », explique l'entrepreneur. Lorsque le nombre de machines sur le réseau augmente, la difficulté « augmente ». C'est-à-dire qu'une même machine récoltera moins de bitcoins, à moins de la changer pour un modèle plus puissant. À la fin janvier, le rendement d'une machine ASIC comme celle qu'utilise M. Bertrand est de 0,001 bitcoin par jour.

Pour mesurer la rentabilité du projet, il faudra prendre en compte le coût de la machine (prévoir environ 3000 $, mais différents modèles existent), la valeur du bitcoin, le coût de l'électricité et celui du loyer. Selon toutes ces variables, il peut arriver qu'il soit plus avantageux d'investir directement dans le bitcoin ou l'inverse, selon le contexte, rapporte M. Bertrand.

Une solution de rechange est de devenir mineur pour les jetons alternatifs. Comme la « difficulté » est moins grande dans leur cas, on peut procéder avec une puissance de calcul inférieur. Seuls des GPU, des cartes graphiques, sont nécessaires. « On en connecte quelques-unes à un ordinateur à l'air libre et on les laisse calculer toute la journée, décrit M. Bertrand. Libre aux gens de les garder ou de les vendre. Personnellement, je n'ai pas une grande confiance dans les cryptomonnaie alternatives. J'aurais tendance à ne pas garder ces jetons-là. »

N'OUBLIEZ PAS LA FISCALITÉ

N'oubliez pas que les rendements sur les cryptomonnaies sont imposables. Si vous ne l'avez pas fait, il est temps de faire une tenue de livres rigoureuse pour éviter les accrochages avec le fisc, conseille Louis Roy, associé chez Raymond Chabot Grant Thornton. Garder les preuves sera d'autant plus important que les plateformes d'échanges ne produisent pas de formulaires comme les banques et les courtiers.

Les gains seront-ils considérés de la même manière qu'un gain en capital sur des actions ? Ça dépend de vos activités, répond M. Roy. Pour un investisseur, le rendement sera imposé sous forme de gain en capital ; seulement la moitié sera imposable.

En revanche, le fisc pourrait considérer que votre intérêt pour les cryptomonnaies constitue une activité d'entreprise. Dans ce cas, il sera imposé comme du revenu d'entreprise, soit à votre taux marginal d'imposition. Pour voir si vos activités seront considérées ainsi, il faut se fier à la jurisprudence. « Si je fais des transactions à répétition, si j'ai un historique de vente et d'achat rapide, si je consacre une partie importante de mon temps à faire de l'analyse de marché et à la recherche, si je fais financer mes transactions, je suis en train de démontrer que j'exploite une entreprise », résume M. Roy.

Notez que les transactions d'une cryptomonnaie à l'autre sont également imposables. Prenons l'exemple d'un particulier qui achète des litecoins à l'aide de bitcoins. Il y aura disposition présumée des bitcoins et le vendeur devra déclarer son gain ou sa perte, même s'il n'est pas sorti du marché des cryptomonnaies.

stephane.rolland@tc.tc

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