Rebondir après une faillite


Édition de Mars 2018

Rebondir après une faillite


Édition de Mars 2018

[Photo : Martin Flamand]

Si vous faites une crise de panique chaque fois que vous recevez un relevé de compte ou que le téléphone sonne, c’est signe que vous êtes probablement en difficulté financière. Une faillite personnelle pourrait vous délivrer de vos angoisses. Voici pourquoi.

Poussée par le désir de quitter son travail alimentaire pour une aventure plus stimulante, ­Stéphanie ­Vaillant* lance, au début de la quarantaine, un studio de yoga au mur, une variante de la discipline qui utilise des sangles afin d’approfondir certaines postures. « C’était le premier studio du genre sur la ­Rive-Sud, mais le concept marchait déjà super bien à ­Montréal », raconte la physiothérapeute de formation.

Confiante en l’avenir, cette mère célibataire utilise le profit de la vente de sa maison et pige dans sa marge de crédit personnelle en vue de financer son projet. Toutefois, son studio démarre ­cahin-caha. Problème de rétention des enseignants de yoga, frais d’exploitation plus élevés que prévu et achalandage en deçà des espérances. En l’espace de quelques mois, elle tombe dans le rouge et fait tourner la machine avec sa carte de crédit.

En décembre 2016, ­Stéphanie ­Vaillant frappe un mur (qui n’était pas de yoga !). En plus d’être incapable de payer ses employés, elle n’arrive plus à acquitter son loyer personnel. Elle lance des signaux d’alerte, mais il est trop tard. « J’ai trouvé un mentor pour m’épauler, mais il m’a suggéré de faire faillite, car je n’avais plus le minimum pour survivre », dit cette mère de deux enfants. Épuisée, découragée et angoissée, elle se rend chez un syndic en insolvabilité et passe aux actes. « Ç’a été pour moi un grand soulagement. Après une année de stress très intense, où je ne voyais plus la lumière au bout du tunnel, je pouvais enfin penser à revivre », raconte l’entrepreneure.

Pour les besoins de ce reportage, j’ai interviewé plusieurs personnes qui ont fait faillite. Chaque récit n’avait rien d’un conte de fées. Ce sont des rêves qui s’écroulent, des amitiés qui se brisent, de petits drames personnels, de vastes remises en question et un retour à la case départ à un âge où l’on devrait passer « ­Go ». J’ai surtout rencontré des gens loin du cliché du consommateur compulsif qui n’a aucun scrupule à ne pas rembourser ses créanciers.

Car, contrairement à la croyance populaire, les gens qui font faillite ne sont pas des incompétents en finances personnelles ou des irresponsables. « ­Perte d’emploi, maladie, séparation, échec en affaires ou revenus insuffisants sur une longue période (des gens vivant au salaire minimum) sont les principales causes de la faillite personnelle. Seule une minorité de gens abusent vraiment du crédit ou sont croches », affirme Éric Lebel, syndic associé chez ­Raymond ­Chabot ­Grant Thornton.

À la source du problème, c’est rarement la maison ou l’auto, mais l’endettement sur les cartes de crédit. Ceux qui se retrouvent acculés à la faillite n’avaient pas nécessairement de problème à rembourser leurs soldes jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle situation qui leur fait perdre le contrôle. « ­Quand les gens se présentent chez nous, la durée de remboursement de leurs dettes dépasse les 25 ans », affirme ­Pierre ­Leblanc, président de ­Groupe ­Leblanc, syndic en insolvabilité mieux connu sous l’enseigne de dettes.ca.

Alain ­Vaillancourt, lui, se souvient très bien de la durée de remboursement de ses quatre cartes de crédit : 75 ans. « ­Je payais l'équivalent d'un loyer en intérêts par mois », se ­rappelle-t-il. Quelques années plus tôt, il n’avait pourtant que de petites dettes de cartes de crédit. « ­Tranquillement, elles sont passées de petites à moyennes, puis à grosses, car je vivais légèrement ­au-dessus de mes moyens avec mon conjoint qui, lui, gagnait dix fois plus que moi », détaille ­Alain ­Vaillancourt. Tout demeure sous contrôle jusqu’à l’échec d’un projet professionnel, à titre de travailleur autonome, qui le mène à un épuisement professionnel. « J’avais perdu confiance en moi et je n’avais plus le goût de travailler », ­raconte-t-il.

La chute devient inévitable. Ses revenus plongent, ses dettes le rattrapent. Il perd son appartement et entre dans une période d’errance, créchant chez des amis. « ­Je ne voyais plus la porte de sortie », ­dit-il. En désespoir, il se tourne vers un syndic. « Pour moi, la faillite a été un cadeau de la vie. J’ai pu enfin passer à autre chose. À ne plus vivre uniquement en mode survie », raconte le quinquagénaire, dix ans après cette période noire.

La faillite, l’équivalent d’un cadeau à ­soi-même ? Ça paraît étrange, mais c’est pourtant l’avis de gens qui passent par là. Car avant le jour J, ceux qui sont pris dans l’engrenage de l’endettement vivent l’enfer. Ils angoissent quand le téléphone sonne ou quand le facteur passe à la maison. « ­Quand ils se résignent à nous contacter, ils sont à bout de souffle. Ça fait des mois ou des années qu’ils souffrent en silence, car peu de gens osent parler de leur stress financier », explique Éric Lebel.

Leurs finances personnelles sont malades. Soit qu’ils prolongent le supplice, soit qu’ils rendent les armes. « ­Comme remède, la faillite est parfois la seule solution », explique Éric Lebel, qui se décrit comme un médecin en finances personnelles. « ­Si les gens en savaient plus sur nos services, ça pourrait aider des milliers de personnes qui vivent dans un état de détresse extrême », affirme Pierre Leblanc.

Dans une situation d’endettement excessif, trois options existent : la consolidation de dettes, la proposition de consommateur et la faillite. La première option, qui est fournie par une institution financière, consiste à regrouper toutes les dettes sous un même emprunt, permettant de rembourser tous les créanciers en un seul paiement, en économisant sur les taux d’intérêt sur certaines dettes.

La deuxième option, c’est la proposition de consommateur. Pour y avoir droit, on doit être insolvable, avoir moins de 250 000 dollars de dettes (en excluant l’hypothèque) tout en étant en mesure de rembourser, sous la forme de mensualités, un pourcentage de ses dettes, de 30 % à 70 % en général, sur une période maximale de cinq ans. Ce remboursement se fait sans intérêt. Quant à la faillite, c’est lorsque la personne, considérée comme insolvable, possède un niveau d’endettement trop élevé pour lui permettre de subvenir à ses besoins et de respecter tous ses engagements.

« ­La faillite, ce n’est pas la mort financière. On ne touche pas au fonds de pension, aux meubles, ni aux vêtements. La plupart du temps, on ne touche même pas à la maison — si l’hypothèque est trop

élevée, la vente ne permettra pas de rembourser les créanciers —, ni à l’auto, surtout si elle est louée », précise Éric Lebel. Donc, on ne repart pas complètement à zéro. Stéphanie Vaillant, par exemple, a conservé sa voiture de location, les biens dans son appartement et une carte de crédit, avec une petite limite.

La faillite a inévitablement un coût, car ce médecin en finances personnelles qu’est le syndic doit facturer ses honoraires, qui sont régis par le ­Bureau du surintendant des faillites. Deux modes de paiement sont possibles : si le failli a des actifs d’importance, le syndic prendra une ­quote-part sur les biens vendus en liquidation afin de rembourser les créanciers. Si le failli ne possède plus rien ou très peu, le syndic étalera ses honoraires, qui seront remboursés en versements mensuels sur une période de 9 à 21 mois, en fonction des revenus du failli. « Dans la grande majorité des cas, les gens qui font une première faillite n’auront à rembourser qu’un montant forfaitaire de 200 dollars par mois pendant neuf mois », dit ­Pierre ­Leblanc. La faillite reste inscrite dans le dossier de crédit pendant six ans après en avoir été libéré.

L’­après-faillite

On n’émerge pas d’une faillite aisément. En plus d’être limités financièrement, les rescapés ont souvent perdu des amitiés ou encore ruiné leur relation amoureuse en cours de route, et pas nécessairement parce qu’ils devaient de l’argent à ces personnes. « ­La vie sociale en prend un coup, car on n’a plus les moyens de sortir dans les bars et les restaurants. On devient un passager de la société de consommation. Ce n’est pas toujours évident », se rappelle ­Alain ­Vaillancourt.

Plusieurs projets doivent aussi être mis en veilleuse, comme l’achat d’une maison, car il sera plus difficile d’obtenir un prêt. Afin de passer le plus rapidement au travers de cette période austère, Éric ­Lebel suggère à ses clients de travailler, dès qu’ils sont libérés de leurs dettes, à rebâtir leur crédit. C’est ce qu’a fait ­Frédéric ­Laplante, qui a déclaré faillite en 2013, y laissant sa maison. « J’ai réussi à me procurer des cartes de crédit de magasins et je les ai utilisées en payant assidûment mon solde et sans jamais dépasser 50 % de la limite de crédit. Trois ans plus tard, j’avais une bonne cote de crédit, ce qui m’a permis d’obtenir une approbation hypothécaire en vue d’acheter une maison avec ma conjointe », raconte ce ­Lévisien, maintenant âgé de 33 ans.

Et la vie continue, parfois même pour le mieux, raconte Alain Vaillancourt. « ­Ce passage m’a permis de rebâtir ma vie sur des bases plus saines. Je ne dépends plus de la consommation pour être heureux », ­dit-il. Même son de cloche de ­Frédéric ­Laplante. « J’ai pris conscience de l’importance de bien gérer mes finances personnelles, ce qui me sert aujourd’hui autant dans ma vie personnelle que comme entrepreneur à mon compte », témoigne-t-il.

La plupart des gens qui font faillite adopteraient par la suite un comportement exemplaire, selon ­Pierre ­Leblanc. Une leçon de vie dont on peut tirer profit.

Cinq signes avant-coureurs que vous êtes au bord du gouffre

1. Difficulté à payer le loyer ou l’hypothèque.
2. Difficulté à payer les services publics comme ­Hydro-Québec.
3. Harcèlement des créanciers.
4. Utilisation d’une avance d’une carte de crédit pour rembourser le solde d’une autre.
5. Taux d’endettement supérieur à 50 % (revenu brut par rapport aux dépenses fixes).

On magasine son syndic

Frédéric ­Laplante, qui a connu la faillite en 2013, recommande aux gens en difficulté financière de magasiner leur syndic. « Quand on est harcelé par nos créanciers, on veut faire vite pour s’en sortir. Pour cette raison, je ne suis allé voir qu’un seul syndic en insolvabilité. L’expérience a été mitigée. J’ai des doutes concernant les conseils que j’ai reçus. J’étais traité comme un numéro », déplore-t-il. Stéphanie ­Vaillant a vécu une expérience semblable. « ­Chez le premier syndic, je ne me sentais pas écoutée. Je suis allée voir ailleurs, où j’ai obtenu satisfaction », ­dit-elle.

Ce n’est pas parce qu’on n’a plus un sou qu’on ne peut plus magasiner. Éric ­Lebel, syndic associé chez ­Raymond ­Chabot Grant Thornton, recommande lui aussi de ne pas faire affaire avec le premier venu. « ­Si on ne se sent pas compris lors de la première rencontre, vaut mieux aller voir ailleurs. C’est une question de confiance », ­dit-il. N’oublions pas : les tarifs, régis par la loi, sont les mêmes d’une entreprise à l’autre.

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