Mon assureur, mon coach


Édition de Mars 2017

Mon assureur, mon coach


Édition de Mars 2017

Grâce aux objets connectés, les assureurs récompensent les clients modèles en échange de leurs données personnelles. Est-ce vraiment à leur avantage ?

Économiser sur l'assurance vie grâce à un bracelet qui enregistre votre activité physique, la qualité de votre sommeil et votre fréquence cardiaque ? C'est l'une des caractéristiques de Vitalité, un programme lancé par Manuvie en septembre dernier. Une première au Canada en ce qui concerne l'assurance vie fondée sur le comportement.

En plus de porter le bracelet, l'assuré qui souscrit au programme accumule des points lorsqu'il enregistre des habitudes de vie jugées saines dans son dossier virtuel : rendre visite au dentiste, se faire vacciner contre la grippe ou manger cinq portions de légumes par jour, par exemple. À la fin de l'année, l'accumulation de comportements modèles lui vaudra diverses récompenses : une réduction sur son abonnement chez Énergie Cardio, un certificat-cadeau d'Amazon et surtout, un rabais sur sa prime d'assurance vie. Plus le score est élevé, plus le bonbon est conséquent.

L'explosion du fameux Internet des objets - ces objets interconnectés qui se «parlent» entre eux par l'intermédiaire des réseaux sans fil - permet aux assureurs d'évaluer plus précisément les risques liés au comportement des individus et d'y associer une prime en conséquence. Au traditionnel modèle de mutualisation du risque, l'industrie greffe progressivement une personnalisation des polices d'assurance. C'est en soi une petite révolution dans une industrie peu portée sur l'innovation, remarque Ramy Sedra, associé et spécialiste de l'analytique des données chez PricewaterhouseCoopers (PwC) Canada.

«Alors que traditionnellement, les assureurs se basaient sur la gestion de risque, ils cherchent aujourd'hui à le prévenir en influençant le comportement des consommateurs, et à réduire le nombre de réclamations. Au fur et à mesure qu'on accumule des données sur un individu, on peut anticiper ses réactions. C'est le virage technologique auquel on assiste en ce moment. Les assureurs qui le prennent ont ainsi l'occasion de développer de nouvelles parts de marché.»

Prendre un client par la main

Trois secteurs de l'assurance sont particulièrement touchés par la tendance à la tarification comportementale, ou pay-as-you-behave, souligne un récent rapport de Business Insider Intelligence : l'assurance vie - notamment grâce aux bracelets ou vêtements connectés -, l'habitation et l'automobile.

Dans cette dernière catégorie, le principe n'est pas nouveau. Il y a déjà cinq ans, Industrielle Alliance lançait Mobiliz, une assurance qui fait appel à la télématique pour analyser les habitudes des jeunes conducteurs (16-24 ans) souscrivant au programme. Grâce à un boîtier muni d'un GPS installé sous le tableau de bord du véhicule, l'assureur traque essentiellement trois types de conduite risquée : l'excès de vitesse (selon les limitations en vigueur dans la zone où l'automobiliste circule en temps réel), les freinages brusques et les accélérations soudaines. Un sans-faute dans un même mois se traduira notamment par 25 % de rabais sur la prime de base mensuelle. Desjardins, Intact et Bélair Direct ont ensuite lancé des programmes semblables.

Les trois quarts des assurés souscrivant au programme Mobiliz se prévalent de ce rabais, ce qui atteste de son succès, estime Michel Laurin, président d'Industrielle Alliance auto et habitation. «Le programme a amélioré les habitudes de conduite des jeunes conducteurs, et c'est ce qu'on voulait en le lançant. On présume aussi qu'ils textent moins au volant pour éviter les freinages brusques.»

Pour un jeune automobiliste de 19 ans, par exemple, un rabais mensuel de 25 % peut représenter quelque 500 dollars par an, indique-t-il. Un incitatif non négligeable pour lui, qui voit ses bonnes habitudes de conduite récompensées au lieu de faire les frais de l'étiquette anonyme du jeune conducteur, catégorie fortement à risque.

En assurance habitation, différents appareils «intelligents» et connectés entre eux servent à prévenir les sinistres ou les intrusions : systèmes de reconnaissance faciale, détecteurs de fumée, de monoxyde de carbone et de fuites d'eau, détecteurs de bris de fenêtre, etc. C'est toutefois dans l'assurance automobile que l'Internet des objets prend le plus d'ampleur, selon Michel Laurin, car les incidents attribuables aux comportements humains sont plus susceptibles de se produire sur la route qu'à la maison.

À qui appartiennent les données ?

Rabais sur les primes, interactions régulières assuré-assureur, meilleur service à la clientèle : les avantages de l'assurance à l'usage sont nombreux pour les consommateurs, soutiennent les assureurs interviewés. C'est aussi l'avis de Ramy Sedra, de PwC. «Veux, veux pas, on vit dans un monde connecté. Alors, si je ne fume pas et que j'ai de bonnes habitudes de vie et un comportement responsable, j'ai le droit d'exiger de meilleurs produits et de meilleurs prix de la part de mon assureur !» clame-t-il.

Or, cette pratique en émergence soulève aussi des inquiétudes, notamment sur le plan de l'utilisation et de la protection des renseignements personnels. Professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal et spécialiste du droit de l'information, Pierre Trudel met en garde contre le détournement de finalité.

«Même s'il accepte de divulguer certaines informations en échange de rabais, l'assuré ne peut pas anticiper l'usage fait de ses données à moyen et à long termes. Ultimement, ces renseignements peuvent servir à d'autres fins, volontairement ou non. [Dans l'ère numérique], ce risque est difficile à évaluer.»

Quant à la législation en vigueur - dont la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (provincial) et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (fédéral) -, elle ne progresse évidemment pas au même rythme que la technologie. Par conséquent, les tribunaux définissent encore vaguement la notion de renseignements personnels, ajoute le spécialiste. «Pour l'instant, les exigences à l'égard de la protection de la vie privée sont insuffisantes.»

À qui appartiennent vos données personnelles ? Normalement, l'assureur est propriétaire de la base de données, tandis que vous possédez les renseignements, explique Pierre Trudel. Mais ce n'est pas toujours aussi simple. Par exemple, c'est l'entreprise Vitality Group - membre de Discovery Ltd, une multinationale de la finance établie en Afrique du Sud - qui collecte et gère les données des assurés souscrivant au programme Vitalité de Manuvie. Ce qui inclut les informations que vous enregistrez volontairement dans votre dossier virtuel (style de vie, habitudes alimentaires), celles colligées par le bracelet, si vous avez accepté de le porter (calories brûlées, fréquence cardiaque, etc.) en plus des données biométriques (taux de glycémie et de cholestérol, tension artérielle, IMC, etc.). De son côté, l'assureur Manuvie ne voit jamais la couleur de ces données, explique sa porte-parole Anne-Julie Gratton : son partenaire Vitality lui communique uniquement le «score» de l'assuré, soit le niveau de points accumulés.

À quand un «Ashley Madison de l'assurance» ?

Si ces données ne sont pas gérées par l'assureur avec lequel vous signez un contrat, dans quelles mains peuvent-elles aboutir... et où peuvent-elles mener ? Le récent rapport de Business Insider Intelligence sur les applications des objets connectés dans le secteur de l'assurance met justement l'industrie en garde contre le cyber-risque, l'un de ses plus grands défis à l'ère numérique, selon l'auteur.

C'est aussi l'avis de Ramy Sedra. «Avec la multiplication des objets connectés en assurance, le risque de fraude est décuplé. Les informations qui circulent sont extrêmement sensibles : votre empreinte numérique ne contient pas seulement vos informations personnelles, mais aussi le trajet que vous empruntez chaque jour ou les biens assurés dans votre maison. Personne ne veut que votre empreinte numérique tombe entre les mains de criminels. Les assureurs doivent prendre cette question au sérieux et rassurer les consommateurs.»

«À ce jour, je n'ai pas encore vu d'initiatives sérieuses [de la part des assureurs] pour encadrer la protection des données collectées par les objets connectés, renchérit Pierre Trudel, de l'Université de Montréal. On pourrait tout à fait assister à un Ashley Madison de l'assurance, et les conséquences seraient très dommageables.» À l'été 2015, des pirates informatiques se sont emparé des coordonnées personnelles de millions de clients de ce site de rencontres extraconjugales avant de les publier en ligne.

Avant de souscrire à un programme d'assurance recueillant des données en temps réel, le consommateur doit s'informer de la façon dont les données sont recueillies et gérées, conseille-t-il. «Demandez qui les détient et où elles vont. Quelles sont les pratiques de l'assureur en matière de protection de l'information ? Quelles garanties peut-on vous donner ? Les assureurs doivent vous transmettre cette information dans des termes simples et clairs.»

Super Big Brother

En dépoussiérant l'actuariat d'assurance - basé jusqu'ici sur des méthodes datant des années 1960, selon lui -, les objets connectés permettent de développer des produits mieux adaptés aux comportements et aux intérêts du client, dit Carl Lambert, vice-président national - Intelligence d'affaires chez Co-operators, une coopérative d'assurance. En même temps, ils ouvrent aussi la porte à de potentiels nouveaux acteurs qui n'ont rien à voir avec cette industrie.

Exemple ? Vous faites appel à une importante entreprise de sécurité pour transformer votre résidence en forteresse. «Comme elle gère une multitude d'appareils interconnectés, cette entreprise sait en temps réel tout ce qui se passe dans la maison. Elle connaît donc mieux le risque que l'assureur lui-même, puisqu'elle le contrôle. Qu'est-ce qui l'empêcherait de proposer des produits d'assurance ?»

Ce genre d'initiatives sonnerait le glas de plusieurs petits assureurs, selon lui. «Les objets connectés sont en train de transformer l'assurance. Certains acteurs y gagneront plus que d'autres, et certains ne survivront pas.» Et l'assuré, dans tout cela ? «Plusieurs études nous disent que rien qu'en assurance automobile, les primes diminueront d'environ 40 % d'ici 10 à 20 ans, grâce aux objets connectés et aux voitures autonomes. Globalement, le client aura un meilleur service à un meilleur prix.» À condition qu'il adopte un comportement irréprochable et qu'il accepte de partager certaines informations personnelles...

UNE ASSURANCE À DEUX VITESSES ?

L'assurance à l'usage signera-t-elle la fin de la mutualisation des risques ? Non, répondent les experts et les assureurs interviewés, notamment parce que les clients demeurent confrontés à une multitude d'autres aléas que ceux qui sont liés au comportement. N'empêche, le client qui fume, boit trop ou dont l'exercice quotidien consiste à marcher de l'auto au sofa aura éventuellement du mal à assurer sa vie ou sa santé à bon prix, estime Ramy Sedra, de PwC. «Ces clients ont besoin de produits d'assurance et il y aura toujours des entreprises pour leur en proposer. Cependant, on pourrait éventuellement voir émerger un segment pointu en assurance pour répondre à ce type de clientèle, hors des institutions traditionnelles. Un peu comme le marché des deuxième et troisième chances au crédit : les clients qui ont de mauvaises habitudes de vie pourraient payer leurs primes plus cher.»

LA BROSSE BRANCHÉE

Aux États-Unis, la tarification comportementale grâce à l'Internet des objets a récemment fait une percée remarquée... dans la brosse à dents. Commercialisé en 2013 par la jeune start-up Beam Technologies, la brosse se connecte en Bluetooth à une application qui mesure la fréquence et la qualité du brossage. Au départ, l'entreprise de l'Ohio s'est associée avec un assureur qui personnalisait l'offre dentaire à ses clients selon l'utilisation qu'ils faisaient de la brosse à dents. Sentant probablement le gâteau lui filer sous le nez, Beam a lancé son propre programme d'assurance dentaire en 2014. En plus de la brosse, ses clients reçoivent tous les trois mois des têtes de remplacement, du fil dentaire et du dentifrice, gracieuseté de la maison. C'est ce qui s'appelle avoir les dents longues...

«Alors que traditionnellement, les assureurs se basaient sur la gestion de risque, ils cherchent aujourd'hui à le prévenir.», Ramy Sedra, associé et spécialiste de l'analytique des données chez PricewaterhouseCoopers (PwC) Canada.

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