Pour protéger les services qu'il commercialise, le groupe Rogers détient une gamme de marques de commerce et de domaines associés qui se chiffrent dans les milliers, alors qu'il possède un peu moins de quelques douzaines de brevets. «Notre engagement principal concerne les secrets commerciaux, les marques de commerce, les droits d'auteur et les droits de la personnalité», affirme Catherine Douglas, directrice de la propriété intellectuelle chez Rogers Communications.
Selon elle, Internet demeure l'un des plus gros défis pour toutes les entreprises ayant des marques de commerce ou des oeuvres à protéger. «Il devient facile de copier le travail ou les photos des autres qui se trouvent sur le Web, sans demander leur permission. Cela entraîne d'importants risques de dilution de la marque, voire d'infraction», estime-t-elle. Rogers a déjà vu ses logos, ses photos et son contenu rédactionnel être utilisés sans sa permission par d'autres entreprises ou par des mouvements sociaux.
Le développement du commerce électronique à l'échelle mondiale entraîne d'énormes enjeux pour les entreprises, qui doivent faire face à une recrudescence de menaces envers leur propriété intellectuelle, analyse Michel Dagenais, professeur au Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal. «Le défi, avec Internet, c'est la vitesse à laquelle les copies ou les contrefaçons peuvent se propager, tout en étant parfois plus difficiles à retracer», dit-il.
La mondialisation des échanges a aussi complexifié les leviers juridiques : en cas de litige relié à leur marque de commerce sur Internet, les entreprises canadiennes devront d'abord rechercher quel est le tribunal compétent. «Si la société incriminée ne possède pas de distributeur ni de filiale au Canada, il faudra alors la poursuivre à l'étranger, selon les lois de son pays d'origine», souligne François Guay, associé, avocat et agent de marques de commerce chez Smart et Biggar.
Pour parer à ces risques, une panoplie de mécanismes de protection existent : brevets, droits d'auteurs, marques de commerce ainsi que d'autres dessins industriels aux procédés de marquage, tels que la stéganographie, une forme de codage de l'information. «Pour autant, on peut se demander si un éditeur de musique poursuivra tous les utilisateurs ayant téléchargé illégalement ses chansons, ou seulement l'hébergeur ou le site de téléchargement qui a fourni les morceaux», se questionne Marcel Naud, avocat et agent de marques de Robic.
Des précautions nécessaires
La plupart du temps, on peut éviter ces désagréments en prenant garde à la teneur des informations que l'on publie sur la Toile. Ainsi, mieux vaut proscrire le plus possible la mise en ligne de catalogues ou de plans détaillés des produits, afin de ne pas faciliter le travail des copieurs. «Sur leurs catalogues, certaines entreprises choisissent de publier le nom de leur société de manière bien visible afin de dissuader leurs concurrents de réutiliser leurs photos», avance Michel Dagenais.
On partagera plutôt les volets de produits qui sont appelés à évoluer, «en conservant les informations clés, de manière à s'assurer d'arriver le premier sur le marché», conseille Morgan Guitton, directrice de projets chez Univalor.
Le développement de la publicité en ligne favorise également le vol des marques de commerce. «Si la jurisprudence a bien établi que quelqu'un qui possède une marque de commerce puisse exiger qu'un nom de domaine lui soit vendu, le mieux reste d'enregistrer dès le départ les noms de domaine ainsi que les dénominations et extensions associées et proches de votre marque», conseille Michel Dagenais. Pour protéger un produit, la meilleure façon est de déposer plusieurs brevets, en fonction des pays ciblés à l'international.
Clauses de confidentialité
Jonathan Auerbach, avocat et agent de brevets à Stikeman Elliott, encourage les entreprises à se doter, dans leurs contrats d'embauche, de clauses de confidentialité encadrant la publication de photos ou de vidéos. «Les employés prennent de plus en plus d'espace sur les réseaux sociaux : il est important de prévoir des restrictions afin que des concurrents ne puissent pas avoir accès à ces informations. D'autant plus qu'il peut être bien moins coûteux de limiter les actions de vos employés que d'enregistrer un brevet», estime-t-il.
Il ne faut pas oublier pour autant qu'Internet constitue aussi une occasion de développer de nouvelles occasions d'affaires. «Un nouveau joueur peut par exemple développer une idée lui permettant de se substituer à un intermédiaire présent sur le marché, en vue d'apporter de l'efficience», suggère Marcel Naud, avocat et agent de marques de Robic.
Les compagnies ont donc tout intérêt à se mettre au défi et à se poser elles-mêmes les bonnes questions avant qu'un autre ne le fasse : «Que devrais-je faire si, en tant que concurrent, je cherchais à me déloger ?» interroge Marcel Naud.
La compagnie informatique IBM a par exemple choisi de revoir sa stratégie d'affaires en se tournant vers des solutions de code source libre (open source). «Si les logiciels sont gratuits, IBM mise sur le fait que ses clients paieront des honoraires pour recevoir du soutien», cite en exemple Morgan Guitton.
Rogers, pour sa part, voit dans l'ouverture de 1 500 nouvelles extensions de nom de domaine une nouvelle occasion de croissance. «Jusqu'à récemment, nous n'avions que 22 options (dont .com, .org et .net) et une variété limitée de codes de pays (tels .ca pour le Canada, .uk pour le Royaume-Uni et .us pour les États-Unis). L'ouverture à d'autres langues et à de nouvelles propositions de registres génériques (comme .books, .sports, .food et .ventures) permet d'envisager une croissance supérieure, même si c'est aussi une inquiétude pour la protection de nos marques.»
De telles évolutions nécessitent des adaptations : en plus de travailler de concert avec ses employés pour faire une veille des nouveautés publiées sur Internet et les réseaux sociaux, Rogers a souhaité enregistrer «un grand nombre de ses marques de commerce» auprès de l'International Trademark Clearing House. «Cette protection nous permet de minimiser les risques pour nos marques principales», glisse-t-elle.