Le Canadien Doug Stephens dirige la firme de consultant Retail Prophet. Cet auteur et conférencier s'intéresse aux tendances de consommation et au commerce de détail. Il a écrit The Retail Revival : Reimagining Business for the New Age of Consumerism. Il était de passage à Montréal le 5 février pour la conférence «Que nous réserve 2015 ?».
Diane Bérard - Jacob et Mexx font faillite. Sony et Target ferment leurs magasins canadiens. Donnez-moi une seule bonne raison de devenir détaillant en 2015 ?
Doug Stephens - Vous venez d'en donner quatre ! Ces faillites prouvent que c'est le bon moment d'ouvrir un commerce. Nous vivons une fin de cycle. Les détaillants qui tombent datent des années 1960 et 1970. Ils sont nés avec les boomers pour servir leurs besoins. Les boomers ont vieilli. Et plus on vieillit, moins on consomme. Les nouveaux consommateurs, la génération Millenium, veulent des boutiques qui leur ressemblent. Vous voulez une autre raison ? Ouvrir un commerce n'a jamais été si peu onéreux ni aussi peu risqué. Jadis, il fallait des actifs physiques. Aujourd'hui, vous démarrez en ligne et, lorsque vos revenus vous le permettent, vous louez ou achetez un local.
D.B. - Les nouveaux détaillants doivent s'inspirer de Sam Walton, le fondateur de Walmart, dites-vous. En proposant des bas prix ?
D.S. - Non, le vrai génie de Sam Walton ne tenait pas à sa formule de bas prix. Le succès de Walmart s'explique par la parfaite connaissance de sa clientèle cible. Je prédis autant de succès à tout détaillant qui comprend aussi bien ses clients. Sam Walton vendait des produits de masse à la classe moyenne des régions. Il a lancé son concept dans les années 1950, une époque où tout le monde voulait se conformer.
D.B. - On dit que les consommateurs sont prêts à payer plus pour des produits de qualité ou des produits meilleurs pour la santé. Est-ce vrai ?
D.S. - À condition que la promesse soit tenue ! Nous ne sommes pas comme nos parents. Nous ne croyons pas tout ce que les fabricants nous racontent. Nous pouvons vérifier, comparer, et nous avons le choix. Et nous nous attendons à ce que nos achats soient livrés en deux jours ! Bref, nous paierons plus cher s'il existe une raison objective de le faire.
D.B. - Pourquoi la vie est-elle si difficile pour Best Buy et Future Shop ?
D.S. - Parce qu'ils se comportent comme des détaillants des années 1950. Ils proposent des produits dans la moyenne à un prix moyen assorti d'un service moyen. Et ils destinent ces produits à un client cible dans la moyenne. Or, ce segment de marché n'existe plus. Certains consommateurs s'attendent à un niveau de service équivalent à celui du concierge dans un hôtel. D'autres visent un service minimal à un prix satisfaisant. Parfois, on vise tantôt l'un, tantôt l'autre, selon notre humeur et le produit. Best Buy et Future Shop ne se classent dans aucune catégorie.
D.B. - Où s'en va La Baie ?
D.S. - Vous voulez vraiment que je vous parle de La Baie ? Elle souffre de schizophrénie. Elle s'affiche comme une maison mode haut de gamme, alors que ce n'est qu'un gros Winners. Les magasins La Baie sont décrépis et tellement en désordre !
D.B. - Faut-il absolument des écrans géants, de la musique et un décor à la Disney pour attirer les clients ?
D.S. - Il existe trois façons d'attirer les clients. Vous offrez un produit qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Vous offrez une expertise pointue. Vous offrez une expérience unique. Dans les deux premiers cas, on peut se passer de Disney. Pas dans le troisième.
D.B. - Les magasins d'usine ont-ils un avenir ?
D.S. - Oui, mais pas celui qu'on avait esquissé. Leur mission a changé. Au départ, on y faisait de vraies aubaines en achetant des articles soldés des collections précédentes. Aujourd'hui, ça n'a rien à voir. Les fabricants créent des collections bon marché qu'ils vendent directement dans leurs magasins d'usine. Si bien que ces magasins sont aujourd'hui fréquentés à 80 % par les touristes ! Les magasins d'usine sont devenus une destination touristique et un lieu de divertissement. Les bas prix deviennent un prétexte pour y aller.
D.B. - Qu'en est-il des centres commerciaux ?
D.S. - On s'y ennuie beaucoup ! La nouvelle génération de centres commerciaux développera davantage l'offre alimentaire et le divertissement. On y magasinera toujours, mais ce ne sera pas la raison principale qui nous poussera vers le centre commercial. Et puis, on verra moins de centres 100 % béton construits en bordure des autoroutes, en périphérie des villes. Un autre modèle, plus urbain et plus intégré à la communauté voit tranquillement le jour.
D.B. - Le détaillant Rona rapetisse le format de ses magasins. Est-ce la tendance ?
D.S. - Oui, les détaillants réduisent la taille de leurs magasins parce que leurs ventes «en personne» diminuent. Au Canada, les ventes en ligne augmentent de 12 % à 15 % par année, alors que celles en boutique n'augmentent que de 2 %.
D.B. - Est-ce une bonne stratégie ?
D.s. - Il faut y aller avec modération. Une solide présence physique stimule les ventes en ligne. Seule la présence physique crée une relation forte entre un consommateur et une marque. Le détaillant doit se poser deux questions. À quelle expérience en magasin mon consommateur cible s'attend-il ? Quelle taille de magasin me faut-il pour offrir cette expérience ?
D.B. - Que signifie «phygital» ? Et qu'est-ce qu'un magasin phygital ?
D.S. - Phygital combine des éléments du magasin physique et de la boutique numérique. La chaîne espagnole C&A a des boutiques phygitales. Par exemple, dans celles-ci, on affiche à côté d'un vêtement le nombre de «J'aime» qu'il reçoit sur la page Facebook. Sachant que la nouvelle génération se fie davantage à l'opinion des pairs qu'à la publicité, C&A a choisi un moyen très contemporain pour stimuler ses ventes.
D.B. - Qu'y a-t-il de vraiment nouveau côté technologie pour les détaillants ?
D.S. - On assiste, entre autres, à la montée de la technologie Beacon. Celle-ci permet au détaillant d'acheminer des messages textes ciblés dans l'appareil mobile des consommateurs. Par exemple, si un client passe à proximité d'un présentoir d'articles en solde semblables à d'autres qu'il a déjà achetés, il pourrait recevoir un avertissement sur son mobile. Pour l'instant, moins de 1 % des détaillants exploitent la technologie Beacon. Mais de grandes chaînes comme Macy's et McDonald's s'y intéressent.
D.B. - Comment évolue l'achat en ligne ?
D.S. - Il incorporera la réalité virtuelle. En parcourant les sites, vous aurez moins l'impression de regarder un catalogue. Votre expérience ressemblera davantage à une balade dans une boutique. IKEA y parvient bien. Vous pouvez, par exemple, voir à quoi le divan de vos rêves ressemblera dans votre salon.
D.B. - Parlez-nous d'un détaillant inconnu du grand public qui fait tout comme il faut.
D.S. - Pavé Culture Cyclist, à Barcelone. Elle se classe parmi les sept boutiques de vélos les plus cool du monde. L'expérience Pavé est parfaite, depuis la présentation des produits jusqu'à la compétence des employés, en passant par le coin lounge et les vidéos de course projetées.