Au Québec, les nuages noirs s'amoncèlent depuis plusieurs années au-dessus de l'ensemble des acteurs de l'industrie des communications, à tel point que chacun s'attend, d'un jour à l'autre, à vivre un véritable Déluge, dont bien peu sortiront vivants.
C'est que le lectorat des médias imprimés est en chute libre : la moyenne du nombre de lecteurs par exemplaire des 32 publications québécoises étudiées par le Print Measurement Bureau (PMB) est passée de 4,6 à 4 rien que l'an dernier. Les agences de publicité ne cessent de perdre des clients majeurs : Air Canada a abandonné Marketel, après une relation de 27 années ; Bell a retiré la plupart de ses billes du panier de Cossette ; etc. De plus, la cote de confiance envers les cabinets de conseils d'affaires prend un méchant coup à chaque scandale qui éclate : Ernst & Young, par exemple, a récemment déboursé 117 millions de dollars pour mettre un terme à une action collective à son égard dans le cadre de la faillite mâtinée d'allégations de fraude de Sino-Forest, une société forestière chinoise cotée à la Bourse de Toronto dans laquelle avaient investi une dizaine d'institutions financières canadiennes.
Du coup, chacun est à la recherche de la moindre éclaircie, à savoir de nouvelles occasions d'affaires. Résultat ? Chacun a le réflexe d'explorer des marchés potentiels nouveaux pour eux, qui, en fait, correspondent à ceux des autres acteurs de l'industrie des communications.
Quelques exemples sont lumineux... Des publications comme Infopresse et Les Affaires organisent des événements (conférences, ateliers de formation, etc.) destinés aux gens d'affaires et marchent ainsi sur les platebandes des cabinets-conseils. Du côté des agences, Sid Lee organise l'événement international C2 (conseil) et vient de lancer un magazine en ligne, Transform (contenu), qui s'adresse surtout aux entrepreneurs ; ou encore, CloudRaker publie le magazine imprimé Rake&Co (contenu), qui marie «culture, commerce et créativité». Quant aux cabinets-conseils, Deloitte effectue la tournée annuelle TMT Predictions (contenu), avec sa star Duncan Stewart ; et F & Co produit un magazine et une émission de radio en ligne, Cllbr (contenu), et présente l'événement montréalais Creative Mornings (contenu), lesquels visent les gens d'affaires.
En route vers l'Ideaplex
«F & Co a une image de bibitte bizarre, dans le milieu. Parce que nous débordons allègrement du pré carré des cabinets-conseils : moi, par exemple, je suis à l'origine un économiste qui donne aujourd'hui des formations en... marketing ! Cette approche polymorphe est devenue incontournable, tout simplement parce que l'industrie des communications vit une période de mutation radicale», dit Francis Gosselin, son président.
«Nous sommes en train d'assister à la naissance de ce que j'appelle l'Ideaplex, c'est-à-dire le Marché des idées. Peu importe, au fond, le champ de compétences d'origine de ses différents acteurs - médias imprimés, agences de publicité ou cabinets-conseils -, tous tendent à présent vers un même but, le sweet spot, où l'on offre à ses clients aussi bien du contenu que du marketing et du conseil», dit Pierre Balloffet, professeur en communication marketing à HEC Montréal.
Ainsi, chaque acteur est appelé non pas à changer sa nature profonde, mais à prendre de nouvelles formes. À évoluer, donc, au sens darwinien du terme. Car c'est une question de survie. Concrètement, cela signifie que :
- L'avenir des médias imprimés passe par le conseil et le marketing. Donc, notamment, par la production de documents de synthèse et d'analyse, agrémentés de recommandations (conseil), pour des clients ciblés. Et par des innovations publicitaires (marketing) encore à inventer (content marketing 2.0, etc.).
- Les agences de publicité devront davantage miser sur le contenu et le conseil. Par exemple, en éditant une publication nichée dans un secteur ultra-pointu et lucratif (contenu), ainsi qu'en offrant des programmes de formation (conseil) aux gens d'affaires sur, disons, la créativité en équipe ou l'art de gérer les employés talentueux.
- Les cabinets-conseils sont amenés à miser sur le contenu et le marketing. C'est-à-dire à, entre autres, créer un magazine en ligne vulgarisant le savoir de leurs experts et de leurs études (contenu), ou élaborer des stratégies de communication (marketing) pour leurs clients.
Surprenant, n'est-ce pas ? Mais si logique, pourtant. «L'avenir appartient à ceux qui seront les premiers à investir l'Ideaplex et surtout, je pense, à ceux qui sauront nouer des alliances avec d'autres acteurs pour y occuper un fort imprenable», estime M. Balloffet.
Demain est déjà là
Nous évoluons dans un monde en pleine mutation. Tous les 15 jours, cette nouvelle rubrique d'Olivier Schmouker décryptera les bouleversements à venir, tous secteurs confondus, et indiquer comment en tirer parti.