Une politique interdisant à tous les employés le port de tout bijou et les obligeant à porter des protecteurs auditifs partout dans l'usine est jugée contraire aux droits fondamentaux, selon l'arbitre de grief qui a rendu une décision dans l'affaire Siemens et Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), AZ-50644401.
Les faits
En 2007, à la suite d'une recommandation unanime du comité paritaire patronal-syndical de santé et sécurité du travail, Siemens décide d'implanter une nouvelle politique en matière de santé et sécurité dans une de ses usines de fabrication de panneaux électriques résidentiels et commerciaux.
Deux volets de cette politique sont contestés. Le premier interdit aux salariés de l'usine de porter tous types de bijoux, foulards et écharpes. Le deuxième oblige tous les salariés, dès qu'ils franchissent la porte d'entrée de l'usine, à porter des protecteurs auditifs. Le syndicat allègue que cette politique viole le droit à l'intégrité et le droit à la vie privée des salariés. Il en conteste donc la validité, de même que les mesures disciplinaires imposées en vertu de cette politique.
La décision
Le tribunal d'arbitrage examine d'abord l'obligation de porter des protecteurs auditifs. Pour lui, il ne fait aucun doute que ce volet de la politique, dont la finalité est d'amoindrir l'ouïe d'une personne, constitue une atteinte à son intégrité physique et viole, par conséquent, un de ses droits fondamentaux garantis par la Charte des droits et libertés de la personne.
L'interdiction du port de tout bijou, quant à elle, touche directement l'image d'une personne, son apparence personnelle. Or, il est reconnu depuis longtemps que le droit à l'image est une des composantes du droit à la vie privée. Selon l'arbitre, ce droit ne s'arrête pas aux portes de l'usine et un salarié peut projeter l'image de sa personne comme il le désire, à l'usine comme à la maison.
Cela étant, le tribunal d'arbitrage rappelle que, lorsqu'un employeur limite un ou plusieurs droits garantis par la Charte, il doit, afin de pouvoir maintenir une telle restriction, établir qu'elle est imposée dans la poursuite d'un objectif légitime, qu'elle est proportionnelle à cet objectif et que l'atteinte au droit est minimale.
Siemens a décidé d'introduire cette nouvelle politique dans le but d'assurer une meilleure sécurité dans son usine. Il s'agit là d'un objectif important.
Cependant, la limitation n'est ni proportionnelle, ni minimale. En effet, la preuve révèle que plus de la moitié des postes de travail ne sont pas exposés à un bruit supérieur à la norme pour laquelle une protection auditive est recommandée. Sans la nécessité de protection, on peut difficilement conclure que l'atteinte au droit à l'intégrité est justifiée.
Quant au port de bijoux, la preuve a montré que certains dangers de contact aux presses à embouter existent pour les mains des salariés. Par conséquent, l'interdiction de porter des bagues et des montres est justifiée, mais seulement pour ces salariés. Le danger lié au port d'autres bijoux n'est pas démontré.
Par conséquent, en raison de sa généralité (tous les bijoux) et de la généralité de son application (tous les salariés de l'usine), l'interdiction du port de bijoux n'est pas justifiée.
Les parties contestées de la politique sont donc invalidées car elles comportent des restrictions à des droits fondamentaux non justifiées. Les mesures disciplinaires imposées en application de celle-ci sont par conséquent annulées.
L'auteure est avocate chez Loranger-Marcoux