Si les employeurs veulent vraiment réduire le nombre de cas d'épuisement professionnel dans leur entreprise et ainsi diminuer le coût de leurs réclamations d'assurance maladie - qui a atteint des proportions astronomiques -, c'est en revoyant leurs pratiques de gestion qu'ils y parviendront. Des démarches entamées récemment avec des employeurs du Québec et ailleurs au Canada le démontrent.
Il y a cette vaste étude de l'Université de Montréal, effectuée auprès de 63 employeurs québécois (2 162 employés) en collaboration avec l'assureur Standard Life. Il y a la vingtaine de projets pilotes entrepris par le gouvernement du Nouveau-Brunswick à la suite du déploiement de sa stratégie du mieux-être. Il y a aussi la démarche de bien-être et de mobilisation chez Pratt & Whitney, entreprise en 2009 et dont on a livré les plus récents résultats lors d'une conférence Les Affaires tenue le 29 janvier dernier à Montréal.
Toutes ces recherches établissent des corrélations entre certaines pratiques de gestion, le niveau de santé psychologique des employés et le coût des réclamations d'assurance.
Ainsi, certaines pratiques sont susceptibles d'entraîner une hausse des réclamations tandis que d'autres sont liées à des taux plus faibles.
«Il est vrai que les employeurs n'ont pas le contrôle sur tous les facteurs menant leurs employés au burn-out. Mais ils disposent de leviers organisationnels sur lesquels il peuvent jouer pour réduire les risques, indique le sociologue Alain Marchand, de l'Université de Montréal. Plusieurs employeurs ont déjà mis des programmes en place, mais nombre de ces programmes ne font que calmer les symptômes, sans s'attaquer aux causes du stress, et ils n'ont pas d'effet durable.»
Avec son collègue, le médecin Pierre Durand, Alain Marchand dirige la recherche de l'École des relations industrielles de l'Université de Montréal, qui a démarré en 2007 et se terminera en 2015. Dans les 63 entreprises et établissements de l'étude, les chercheurs mesurent la santé psychologique des employés et le climat de travail. Ils vont jusqu'à mesurer le taux de cortisol, l'hormone du stress, chez les employés participants. Ils évaluent les facteurs à la fois organisationnels et extérieurs au travail qui ont un impact sur les troubles de santé mentale (épuisement professionnel, dépression et détresse psychologique).
Dans la première phase de leur étude, ils ont observé une corrélation positive entre des taux élevés de réclamations d'assurance invalidité pour des problèmes de santé mentale et certaines pratiques de gestion : l'absence de cohérence entre la performance, la reconnaissance et la rémunération d'un employé ; l'absence de participation des employés aux structures décisionnelles ainsi que dans la gestion de leur temps de travail.
Qui plus est, ils ont établi une corrélation positive entre le burn-out et la supervision abusive, les trop fortes demandes psychologiques, l'insécurité en emploi et une mauvaise utilisation des compétences.
Les chercheurs en sont maintenant à la deuxième phase de leur recherche. Après avoir déterminé les facteurs de risque, ils veulent tester de nouvelles pratiques de gestion qui corrigeront le tir.
Compétence, autonomie et affiliation sociale
Au Nouveau-Brunswick, une stratégie de mieux-être est déployée depuis 2006. Elle est dirigée par le ministère des Communautés saines et inclusives. La stratégie s'appuie sur la théorie de l'autodétermination prônée par le professeur Jacques Forest, de l'ESG UQAM. Cette théorie - connue en psychologie, mais récemment appliquée en milieu de travail avec des outils concrets - stipule que l'être humain doit satisfaire trois besoins innés universels pour se sentir bien : le besoin de compétence, le besoin d'autonomie et le besoin d'affiliation sociale.
Pendant les premières années de la démarche, on a élaboré des programmes, sensibilisé et formé les gestionnaires et organisé des rencontres avec les employés. Des communautés de pratique ont ensuite été constituées. Puis des projets pilotes ont permis aux gestionnaires, en concertation avec les employés, de revoir les pratiques de gestion pour répondre aux besoins des employés en compétence, autonomie et affiliation sociale.
M. Forest, qui a en entre les mains les résultats préliminaires des premières expériences pilotes, dévoile que, là où de nouvelles pratiques ont été mises en place, les taux de réclamation ont baissé «dans les deux chiffres», et ce, en un an. «Impressionnant comme résultat, s'exclame-t-il. Plus besoin de chercher midi à quatorze heures. Ce qui se fait au Nouveau-Brunswick prouve ceci : plus les besoins d'autonomie, de compétence et d'affiliation sociale sont satisfaits, plus les primes d'assurance baissent.»
Plus de mobilisation
Au Québec, la firme de consultants Capsana (ex-Acti-menu) s'appuie elle aussi sur la théorie de l'autodétermination pour monter ses programmes en entreprise. «Nous formons les gestionnaires à revoir leurs procédures internes, la distribution des récompenses et leurs rapports humains de façon à ce qu'ils soient perçus comme justes et équitables», précise Marie-Maxime Bastien, directrice des programmes en entreprise.
Chez Pratt & Whitney, où bien des changements ont eu lieu ces dernières années, la direction s'est plutôt inspirée du travail de Jean-Pierre Brun, de l'Université Laval (qui a publié Les 7 pièces manquantes du management), et de la psychiatre Sonia Lupien, directrice du Centre d'études sur le stress humain.
Entreprise en 2009, la démarche a permis à l'entreprise de mieux traverser avec ses employés une période de fortes turbulences. On a d'abord sensibilisé la haute direction aux besoins en santé psychologique, puis les gestionnaires et les employés. «Les gestionnaires ont été formés pour soutenir les employés durant l'impartition et clarifier leurs nouveaux rôles, explique Marie-Christine Gran, directrice du programme de mieux-être et d'aide à l'employé. Dans l'implantation de nouvelles technologies, on demande aux gestionnaires d'allouer plus de temps de qualité à la réflexion ainsi que de mieux contrôler la charge de travail et les délais entre les anciens et les nouveaux processus. Et dans le développement des compétences, on leur demande d'engager les employés dans la définition des nouvelles compétences, de cultiver le respect et de miser sur l'expérience de l'employé. Ils doivent aussi reconnaître les efforts durant les apprentissages.»
Résultat ? «Une baisse notable du nombre de congés de maladie, de leur durée et du taux de rechute. Et une augmentation du niveau de mobilisation.» La démarche a été étendue aux autres divisions gérées par Pratt & Whitney Canada ailleurs dans le monde.
Solutions sur mesure
Les chercheurs insistent pour dire qu'on n'introduit pas des changements dans les pratiques de gestion sans avoir un bon diagnostic de ce qui ne va pas. Car les problèmes, comme les solutions, varient. «Il n'y a pas de recette magique, indique Alain Chartrand qui, dans la recherche de l'Université de Montréal, pose un diagnostic propre à chaque entreprise. On voit des milieux de travail où le rythme de travail est effréné, mais où la grande flexibilité compense, et d'autres endroits où on fait du 9 à 5 sans heures supplémentaires, mais où il n'y a aucune flexibilité», relate M. Marchand.
Et les solutions ne coûtent pas nécessairement cher, poursuit son confrère Jacques Forest. Dans une commission scolaire, on a laissé les enseignants gérer eux-mêmes leurs horaires de surveillance. Dans un autre organisme, on a simplement aménagé une salle où les employés pouvaient aller luncher ensemble.
Les changements de pratique à apporter sont extrêmement variés. Mais pour Jacques Forest, une constante demeure : ils doivent être décidés par les gens concernés - les gestionnaires et les employés.