Aristote enseignait la philosophie en déambulant, convaincu que cela aidait à mettre l'esprit en mouvement. Nietzsche affirmait que «les seules pensées valables viennent en marchant». Et aujourd'hui, un autre penseur s'y met : Henry Mintzberg, le professeur de l'Université McGill que le magazine américain Fast Company considère comme «le Mick Jagger du management», tant il est populaire et influent, partage à présent ses lumières le long des sentiers du mont Royal, au coeur de Montréal.
C'est ce qui s'est en effet produit la semaine dernière, à l'occasion de l'événement CoachingOurselves Reflections. Une quarantaine de personnes triées sur le volet ont eu le privilège de cheminer en sa compagnie au milieu des chênes rouges et des érables de Norvège, afin de discourir ensemble de l'avenir du management. Une discussion qui s'est poursuivie sous forme de conférences plus classiques à l'hôtel Hyatt Regency, dont voici l'essentiel.
Haro sur les MBA, 10 ans après
Henry Mintzberg avait jeté un pavé dans la mare en 2004 avec son livre Managers, Not MBAs qui soutenait qu'il était impossible de former un leader dans une classe. Dix ans plus tard, il n'en démord pas : «Les programmes de MBA ne peuvent pas fonctionner. Ils partent du principe que chacun doit développer une série de talents pour devenir un leader, alors que le véritable leadership, ce n'est pas de briller par ses compétences personnelles, mais de contribuer au succès de l'organisation dans laquelle on évolue, et donc de savoir se mettre au service des autres», a-t-il dit. Et d'ajouter, non sans humour : «On me dit influent, mais je me permets d'en douter sérieusement : les programmes de MBA sont aujourd'hui plus florissants que jamais, alors que j'ai proclamé leur obsolescence il y a de cela une décennie».
Gérer autrement
«Manager, ce n'est pas une profession, mais une pratique. Une pratique qui ne fonctionne bien que si elle s'appuie sur l'expérience», a souligné le professeur.
«Par conséquent, tout gestionnaire digne de ce nom doit réfléchir sur son expérience, et mieux, sur celle des autres, pour espérer progresser. L'idéal, c'est de prendre le temps de partager des faits et du vécu à ce sujet avec des pairs, autrement dit de faire de l'autocoaching en groupe.»
Pour ce faire, M. Mintzberg a cofondé en 2007 l'entreprise CoachingOurselves, laquelle propose des modules de réflexion collective autour de thèmes liés au quotidien des gestionnaires. Le principe est simple : une demi-douzaine de gestionnaires se réunit et, durant une heure et demie, discute du thème choisi, en suivant le fil conducteur proposé par le module, et ce, sans que le coach professionnel intervienne.
Une méthode originale couronnée de succès. «Le Danemark s'est lancé l'année dernière dans une vaste réforme de son système éducatif, sans avoir attendu qu'une crise éclate. Pourquoi ? Parce qu'on s'était rendu compte que notre système ratait sa cible principale : l'épanouissement des étudiants», a raconté le consultant en management responsable de CoachingOurselves au Danemark, Ole Ingstrup.
«Pour trouver des idées neuves et corriger le tir, le ministère de l'Éducation danois a décidé de recourir à des ateliers de CoachingOurselves. Résultat : nous assistons à une vraie révolution où l'humain est, enfin, au coeur de tous les enjeux !» a dit M. Ingstrup.
Place à la communauté
«L'individualisme ne garantit nullement le succès, loin de là. La clé, c'est de prendre conscience que nous sommes des animaux sociaux. Comme disait Aristote : nous avons besoin des autres pour nous épanouir, et donc réussir. Bref, il nous faut renouer avec l'esprit de communauté», a expliqué M. Mintzberg.
Qu'est-ce à dire ? Qu'il faut voir l'entreprise non pas comme une pyramide (avec les patrons), mais comme un réseau de connexions, sachant que plus celui-ci est dense et harmonieux, plus il se révèle efficace. Un réseau qui permet à chacun d'avoir sa place et de contribuer au rayonnement de tous.
«Trop souvent, nous regardons l'entreprise comme le boucher regarde un boeuf : ici, les TI (le faux-filet) ; là, la comptabilité (le rumsteck) ; etc. Mais un boeuf, ça n'a jamais été l'addition de bouts de viande, c'est beaucoup plus que ça, c'est un être vivant. Mieux encore, c'est un être sacré. Pensez à la vache, qui est vénérée en Inde : personne ne la bat, au contraire ; chacun est à son service, a illustré le professeur de McGill. L'avenir n'est plus aux leaders héroïques, mais aux serviteurs de vaches sacrées.