À lire aussi :
Un changement inexorable, selon Google et Virgin
Un concept qui germe en France
Travailler moins rend-il vraiment plus heureux?
Le 9 à 5 du lundi au vendredi ? Ça fait tellement 20e siècle ! Aujourd'hui, l'univers du travail se métamorphose. Un exemple frappant : le partage d'un emploi à temps plein. Une tendance appelée à changer la vie de chacun de nous, si l'on en croit les fondateurs de Google et de Virgin...
Même si vous n'en avez pas l'impression, nous travaillons tous de moins en moins. Les statistiques de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont sans appel : les salariés canadiens travaillaient en moyenne 1 826 heures par an en 1980, puis ce chiffre est passé à 1 777 heures en 2000, pour s'établir aujourd'hui à 1 706 heures. Une chute de 7 % en l'espace d'une trentaine d'années.
L'explication ? Au sein des pays de l'OCDE, nous travaillons de moins en moins... par choix ! Tel est le constat fait par le Bureau du budget du Congrès américain, à l'occasion de ses prévisions économiques présentées en début d'année. «Nous assistons depuis une décennie à un déclin délibéré de la participation des travailleurs à l'économie», y était-il souligné.
Faut-il s'en alarmer ? Pas sûr. Naryana Kocherlakota, le président de la Réserve fédérale à Minneapolis, considère en effet que ce phénomène peut être l'occasion d'un enrichissement collectif. Et ce, pour deux raisons.
D'une part, être chez soi ne veut pas dire se tourner les pouces. «Les gens produisent leurs repas, ils veillent à ce que leurs enfants grandissent bien, toutes choses fort utiles à l'ensemble de la société», a-t-il expliqué lors d'un discours tenu en avril dernier. Ainsi, 30 % du temps passé à domicile est consacré à une activité enrichissante pour la société, selon une récente étude de professeurs d'économie de Princeton et de Booth.
D'autre part, travailler moins permet à d'autres d'avoir du travail. «Si l'on adoptait des mesures fiscales incitant les entreprises comme les salariés à partager le travail, cela aurait un impact direct sur le chômage, ce frein à la richesse des nations», a dit M. Kocherlakota.
À lire aussi :
Un changement inexorable, selon Google et Virgin
Un concept qui germe en France
Travailler moins rend-il vraiment plus heureux?
Keynes l'avait annoncé
«Travailler moins est la solution ultime au chômage», avait affirmé l'économiste américain John Maynard Keynes, dans une lettre adressée en 1945 au poète T.S. Eliot. Keynes faisait allusion à son essai intitulé «Perspectives économiques pour nos petits-enfants» datant de 1930, dans lequel il présentait ce à quoi ressemblerait notre quotidien aux alentours de 2030.
«Trois heures de travail par jour, pour un total de 15 heures par semaine, suffiront à assouvir nos besoins fondamentaux. Cela représentera la quantité de travail encore nécessaire à accomplir pour chacun de nous ; et nous nous arrangerons pour que le plus grand nombre puissent avoir leur part de travail», prédisait-il, en raison des progrès technologiques et de l'accumulation du capital à venir.
Une vision que partagera peu après le philosophe britannique Bertrand Russell : «Quatre heures de travail journalier seront, un beau jour, suffisantes pour nous assurer un niveau de vie confortable», écrivait-il dans un essai datant de 1932. «Le reste de la journée, nous pourrons peindre, écrire ou encore nous intéresser à la science», poursuivait-il.
Tous deux s'appuyaient sur une innovation managériale effectuée en 1926 par Henry Ford. Le constructeur avait décidé que ses employés ne travailleraient plus que cinq jours par semaine, au lieu de six, sans diminution de salaire. Pourquoi ? «Les expériences menées à l'interne montrent que les employés produisent tout autant en cinq qu'en six jours. Et qui sait si, dans le futur, il ne leur suffira pas de moins de journées de travail encore ?» avait écrit Henry Ford.
Un siècle plus tard, ces prévisions sont en train de prendre forme. «Les pays de l'OCDE affichent aujourd'hui une démographie vieillissante, ce qui les oblige à faire évoluer leur façon de travailler. Les jeunes tiennent à mieux concilier le travail et la vie privée. Simultanément, les baby-boomers craignent la coupure brutale de la retraite et souhaitent partir de manière progressive. La situation est donc idéale pour généraliser le partage de postes de travail», dit Diane-Gabrielle Tremblay.
Et la professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ d'ajouter : «Les freins ? Ils se trouvent surtout chez les entreprises. Les employeurs ont l'impression qu'il s'agit de caprices de la part de certains employés, de caprices qui leur compliqueraient la vie et risqueraient de leur coûter cher. Alors qu'en réalité, elles gagneraient clairement en productivité à embrasser le partage du travail».
Un exemple frappant : la Banque Royale du Canada (RBC), dont quelque 2 000 de ses 79 000 salariés recourent aujourd'hui à la formule de temps partagé. «Cela fait une vingtaine d'années que nous permettons aux employés de partager leur poste de travail avec d'autres. Et ce, parce que nous nous sommes rendu compte que c'était une situation gagnant-gagnant : les employés, heureux de pouvoir concilier travail et vie privée, sont nettement plus productifs», explique Norma Tombari, directrice, diversité globale, de la RBC, à Toronto. «De plus, les binômes ainsi formés sont plus efficaces que les individus seuls à leur poste, ne serait-ce que parce que les erreurs ont moins de chances de leur échapper», ajoute Giulia Vizioli, directrice, recrutement, Québec, de la RBC, à Montréal.
À lire aussi :
Un changement inexorable, selon Google et Virgin
Un concept qui germe en France
Travailler moins rend-il vraiment plus heureux?
Ximena Sampson
Âge : 40 ans
Profession : journaliste Web à Radio-Canada
Forme de partage : semaine de quatre jours. «Au début, personne ne me remplaçait le vendredi, si bien que je me mettais moi-même de la pression, en voulant faire en quatre jours ce que je faisais avant en cinq. Depuis, je n'ai plus de stress, et je savoure ma journée de congé.»
Raison : consacrer davantage de temps à ses deux enfants en bas âge. «Je passe la journée avec le petit, et on mange ensemble le midi avec la plus grande.»
Satisfaction : «100 % satisfaite. J'ai même pu en profiter pour terminer ma maîtrise en science politique et droit international.»
----------
Cynthia Nuzzolese-Laflamme
Âge : 38 ans
Profession : conseillère en recrutement à la RBC
Forme de partage : cinq jours de suite, en alternance. «Je travaille du jeudi au mercredi, une semaine sur deux. Pour assurer le relais avec ma partenaire, je laisse beaucoup de notes dans les dossiers. Au besoin, on s'appelle le jeudi matin, vite fait.»
Raison : prendre le temps de voir grandir ses jeunes enfants.
Satisfaction : «Je me sens 1 000 fois plus efficace dans toutes mes tâches, tant au travail qu'à la maison. Et ma partenaire est devenue une amie dans la vie, tant cette façon de travailler nous a rendues complices.»
----------
Karine Duperré
Âge : 33 ans
Profession : attachée politique du maire de Mascouche, Guillaume Tremblay
Forme de partage : semaine de deux jours, à horaire flexible. «Ma collègue, qui travaille les trois autres jours de la semaine, accomplit certaines tâches, moi d'autres. Nous sommes donc complémentaires.»
Raison : consacrer la majeure partie de son temps à son bambin. Et exercer ses autres talents à temps partiel, comme celui de coach PNL.
Satisfaction : «Je ne veux plus jamais travailler autrement !»
----------
Loretta Federico
Âge : 55 ans
Profession : conseillère en recrutement à la RBC
Forme de partage : une semaine de deux jours et une semaine de trois jours, en alternance.
Raison : bénéficier d'une meilleure qualité de vie, à l'approche de la retraite. «Je me prépare en douceur à décrocher de la vie dite active.»
Satisfaction : «Tout le monde est gagnant avec cette formule. Les clients, qui adorent que deux personnes s'occupent de leur dossier, se sentent privilégiés. Ma patronne, qui voit qu'on est plus efficaces à deux au même poste. Et moi, qui peux ainsi être heureuse au travail et à la maison.»
À lire aussi :
Un changement inexorable, selon Google et Virgin
Un concept qui germe en France
Travailler moins rend-il vraiment plus heureux?