La simplicité a bien meilleur goût. Ce célèbre adage semble avoir des vertus même dans les relations de travail, car il a permis à l'Association des employeurs maritimes et au Syndicat des débardeurs de Montréal de signer l'actuelle convention collective sans provoquer un conflit. Comment ? En réduisant au minimum les demandes patronales et syndicales lors des négociations.
«Avant d'entamer les négociations, la direction et le syndicat ont accepté de discuter seulement de quelques enjeux importants au lieu d'aborder une cinquantaine de priorités, discutées ensuite dans 32 sous-comités !» explique Jean Bédard, président et chef de la direction de l'Association des employeurs maritimes, qui regroupe des opérateurs de terminaux, des lignes maritimes et des agences maritimes.
Cette stratégie a permis aux deux parties de concentrer leurs énergies et d'en arriver rapidement à la signature d'un nouveau contrat de travail, le 4 janvier 2013. Une approche qui n'était pas non plus étrangère au lock-out qui a paralysé le Port de Montréal durant cinq jours, en juillet 2010. Étant en concurrence avec les ports de la côte est, Montréal pouvait difficilement se permettre de vivre une grève ou un lock-out.
«Il y a eu une sensibilité à la concurrence internationale qui fait en sorte que les gens ont réalisé que c'était important de stabiliser les relations de travail et d'éviter les conflits, et ce, pour ne pas permettre à un autre port de tirer avantage d'une telle situation», explique Jacques Lessard, médiateur en relations de travail et consultant, qui a conseillé les deux parties lors de cette négociation.
Le Syndicat des débardeurs n'a pas répondu à nos demandes d'interview.
Poursuivre les négociations malgré des tensions
Chez le Groupe ADF, un fabricant de charpentes métalliques, patrons et syndicats ont réussi à négocier un premier contrat de travail, et ce, sans que l'une des deux parties ne menace de recourir à la grève ou à un lock-out. Dans ce cas, c'est le dynamisme de l'industrie (ADF décroche des contrats aux États-Unis, notamment à New York) et les relations cordiales entre les deux parties qui auraient pesé dans la balance.
Cela dit, il y a quand même eu des moments plus tendus, quand les négociations se sont enlisées à un moment donné, admet Donat Thibault, le président du Syndicat des travailleuses et travailleurs ADF, affilié à la CSN. «On nous a suggéré d'aller en grève si nous n'étions pas contents ! Mais ce n'était pas notre inttention, et nous l'avons indiqué à la direction. Nous avons donc poursuivi la négociation, et nous avons finalement trouvé un compromis acceptable, principalement au sujet du recours à la sous-traitance.» La direction d'ADF a refusé de donner sa version pour ce reportage.
Accepter de mettre de l'eau dans son vin de part et d'autre, voilà la clé qui a permis d'éviter une grève ou un lock-out chez ADF, estime Donat Thibault. «Il faut être prêt à céder sur certains points. C'est ça la négociation.»
Équilibrer les rapports de force
Quand patrons et syndicats n'arrivent pas à s'entendre durant la phase de négociation, c'est le conflit de travail (grève ou lock-out). Et les spécialistes sont unanimes : plus un conflit s'étire, plus on limite les chances d'un règlement négocié. «Il y a un risque de personnalisation du conflit, où les deux parties n'arrivent plus à se parler», explique Sid Ahmed Soussi, un spécialiste du syndicalisme à l'UQAM.
Et pour arriver à une entente acceptable, les rapports de force doivent être équilibrés. Ce rapport de force équilibré, les travailleurs de l'usine de Rio Tinto Alcan à Alma, au Lac-Saint-Jean, ont dû le construire pour mettre un terme au lock-out déclenché par la direction de l'entreprise, le 31 décembre 2011.
L'enjeu était la sous-traitance : RTA voulait pouvoir recourir à la sous-traitance de manière illimitée pour réduire ses coûts, tandis que le Syndicat des Métallos (FTQ) voulait l'encadrer pour garder un maximum d'emplois bien payés dans la région.
Pendant six mois, les syndiqués ont rencontré les principaux acteurs socioéconomiques de la région pour leur expliquer leur position, en plus de faire une campagne mondiale auprès des autres employés de RTA. Les syndiqués ont assisté à une assemblée des actionnaires de la multinationale anglo-australienne, en Australie, et ont même posé des questions.
«C'est à ce moment-là selon moi que le conflit s'est réglé», affirme le représentant syndical Dominique Lemieux. C'est après cette assemblée que RTA a manifesté le souhait de trouver un compromis à propos de la sous-traitance. L'entreprise, qui refusait un plancher d'emplois syndiqués, a finalement accepté un plafond pour recourir à la sous-traitance.
La direction de RTA a refusé de nous parler pour ce reportage.
La communication, c'est payant
Avec le recul, les acteurs à qui nous avons parlé ayant vécu de près ou de loin une grève ou un lock-out estiment que ce conflit aurait sans doute pu être évité si les parties patronale et syndicale avaient mieux communiqué, notamment sur la santé financière de l'organisation.
«Si les employés et les employeurs négocient de bonne foi, cela permet d'avoir une discussion plus intelligente», dit Maryse Rousseau, vice-présidente du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, qui a représenté les syndiqués de la Sépaq lors de la grève de trois jours dans les parcs et les réserves fauniques du Québec, en octobre 2013.
Les hausses de salaire étaient au coeur du conflit. Le syndicat souhaitait un minimum de 2 % par année sur cinq ans, tandis que la Sépaq proposait 0,5 % en 2013-2014, suivi de 1 % les trois années suivantes. Le compromis ? Une augmentation de 2 % les deux premières années, suivie de 1 % en 2015, 2016 et 2017. «La Sépaq nous a expliqué qu'elle avait une marge de manoeuvre, mais seulement les deux premières années», dit Maryse Rousseau.
Pierre Bélanger, vice-président aux ressources humaines à la Sépaq, tire une leçon de ce conflit. Même si la direction communique régulièrement avec ses employés, elle le fera davantage pour mieux expliquer les défis auxquels la Sépaq fait face, dans une industrie touristique de plus en plus concurrentielle. «Nous avions communiqué notre situation financière aux syndicats, mais nous n'en avions pas la même interprétation.»
Selon Jacques Lessard, qui a été médiateur auprès de plusieurs entreprises comme Vidéotron, Air Canada et le Canadien National, on sous-estime trop souvent l'importance des bonnes relations de travail (transparence, confiance, échanges réguliers, etc.) entre les cycles de négociation collective pour limiter le risque de déclenchement d'une grève ou d'un lock-out.
«Si les gens qui ont eu des relations de travail plus positives, plus transparentes et comprenant des échanges sur l'avenir de leur entreprise ont persévéré dans ces échanges positifs, ils réussissent en général à obtenir des résultats intéressants», dit-il.
Une paix industrielle qui se maintient
Le Québec vit une relative paix industrielle depuis une dizaine d'années. En 2004, on comptait 132 conflits en vigueur au Québec comparativement à 84 en 2013, malgré une reprise des arrêts de travail ces dernières années, selon le ministère du Travail.
Au 21 août, 956 personnes se trouvaient en grève ou en lock-out au Québec, ce qui représente presque le double du nombre moyen de travailleurs touchés par un conflit dans la province ces dix dernières années (539 personnes).
Malgré cette hausse du nombre de conflits, on note une tendance à la baisse depuis 10, 20 ou 30 ans, insiste Marc-Antonin Hennebert, spécialiste en relation de travail à HEC Montréal. «Dans les années 1970, il y avait en moyenne de 300 à 350 conflits de travail par année au Québec. De 2000 à 2013, la moyenne avoisinait les 65 conflits.»
Selon les spécialistes, ce déclin à long terme des conflits dépend de plusieurs facteurs. La mondialisation de l'économie, et par conséquent la mobilité du capital, qui a changé le rapport de force en faveur des employeurs, en est un. De plus, il n'y a pas de «débalancement» quant aux enjeux entre patrons et syndicats, affirme pour sa part Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec.
«Depuis une trentaine d'années, la création du Fonds de solidarité de la FTQ et du Fondaction de la CSN ont fait en sorte que les syndicats ont une meilleure compréhension de l'économie, et c'est une bonne chose», soutient-il.