«Le management est mort ! Pourquoi ? Parce que plus personne ne veut être managé.» Ce tweet a été diffusé le 4 décembre 2014 par nul autre que Vineet Nayar, l'ex-pdg du géant indien de l'informatique HCL Technologies. Et il a été suivi de l'avertissement suivant : «Si vous agissez aujourd'hui en tant que manager, vous êtes devenu obsolète !»
Fanfaronnade ? Non, car M. Nayar sait de quoi il parle. Il est l'auteur de la célèbre devise «Les employés d'abord, les clients ensuite», selon laquelle le plus grand capital d'une entreprise est son capital humain, ce qui lui a permis de rendre son entreprise multimilliardaire. Et il croule sous les honneurs pour sa vision originale - et surtout pertinente - du management (titre de «PDG de l'année 2011» selon Bloomberg et Fortune).
Cette déclaration tonitruante de M. Nayar est, en vérité, l'illustration que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Une ère où l'on ne peut plus diriger des employés comme on l'a fait au siècle passé, marqué par le taylorisme, cette organisation scientifique du travail selon laquelle l'être humain, pour être efficace, devait impérativement se mettre au service du système de production. Une ère où l'on rigole doucement de ce que disait en 1911 Frederick Winslow Taylor dans son livre La Direction scientifique des entreprises, à savoir qu'«un bon ouvrier fait ce qu'on lui dit et ne discute pas».
De nos jours, et encore plus demain, le management doit être autre. Il doit muter. Il doit s'adapter aux défis du 21e siècle. Bref, il doit, comme l'explique dans ses travaux les plus récents Peter Senge, professeur de leadership à l'école de management MIT Sloan, favoriser l'éclosion d'une toute nouvelle forme de leaders : ce qu'il appelle des «leaders de système», et que je préfère, pour ma part, dénommer des «néoleaders».
Des néoleaders ? Il s'agit de dirigeants dotés de trois qualités particulières, les seules propres à motiver comme jamais les employés d'aujourd'hui et de demain :
1. Avoir une vision globale
Notre époque est sans équivoque marquée par la complexité : au travail, chacun de nous fait face à un tsunami quotidien d'informations, est bousculé par des deadlines de fou, est contraint d'atteindre des objectifs toujours plus élevés, etc. Du coup, il nous est devenu impossible d'avoir une bonne vision - comprendre globale - de l'écosystème dans lequel nous évoluons ; c'est qu'à force de nous concentrer sur l'arbre, nous avons perdu de vue la forêt. D'où la nécessité absolue pour une équipe de se doter d'un leader ayant un recul suffisant pour avoir une vision globale. «Mieux, d'un leader ouvert à la vision des autres, surtout lorsqu'elle semble contredire la sienne», souligne M. Senge. Car, c'est bien connu, qui dit bonne vision dit bonnes décisions.
2. Être un déclencheur d'idées
Le néoleader prise les discussions et les réflexions en groupe. Il pose des questions, il bouscule les a priori, il écoute toutes les opinions ; il est un déclencheur d'idées. Autrement dit, il comprend que l'ignorance est non pas une faiblesse, mais une force à même de permettre, à lui comme à son équipe, d'évoluer. «Un tel partage d'idées avec les membres de son équipe permet au leader d'instaurer un climat de confiance à nul autre pareil, ce qui est malheureusement chose rare aujourd'hui dans nos milieux de travail», indique le professeur du MIT Sloan.
3. Être un cocréateur du futur.
Le néoleader ne réagit pas, il agit. C'est-à-dire qu'il est l'acteur de son futur, et mieux, le cocréateur de celui-ci : il oeuvre toujours de concert avec son équipe, jamais en prenant des décisions importantes enfermé tout seul dans son bureau. «Son mot d'ordre est simple : Ensemble», souligne M. Senge.
On le voit bien, le néoleader correspond à une nouvelle génération de leaders, qui interviennent comme des catalyseurs. Ils permettent en effet à la chimie de prendre au sein d'une équipe, en accélérant ou en ralentissant les interactions entre les uns et les autres, dans le but de faciliter l'atteinte des objectifs visés. Et Peter Senge de résumer le tout d'une citation du sage chinois Lao Tseu : «Le grand leader est celui qui amène les autres à dire "On l'a fait ensemble"».
Des formations
Aucune formation n'enseigne aujourd'hui à devenir un néoleader. Mais il est possible d'acquérir les talents requis en picorant ici et là dans les programmes de formation existants.
Comment acquérir une vision globale
Prenons un exemple, la vision globale. L'Institut de leadership en gestion dispense, dans le cadre de sa certification en leadership et habiletés de direction offerte en partenariat avec l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia, un cours sur la planification stratégique donné par Dominic Deneault, associé principal, de Trebora Conseil. On y explique que les entreprises couronnées aujourd'hui de succès le doivent souvent au fait que les employés partagent tous ensemble les scénarios de ce que leur réserve a priori le futur. De la confrontation des différents scénarios ainsi évoqués naît ce qu'on appelle «l'espace des possibles», un creuset dans lequel a de fortes chances de se former le véritable futur et qui permet de bénéficier d'une véritable vision globale.
Comment devenir un déclencheur d'idées
En ce qui a trait au déclenchement d'idées, on peut citer le Centre québécois de programmation neuro linguistique (CQPNL) qui proposera en février une formation intitulée «Les trois piliers du leadership», laquelle met notamment l'accent sur la «créativité en action». De quoi s'agit-il ? De l'art d'user, pour un leader, de l'intelligence collective.
«Les participants se livreront à de petits exercices pratiques qui les amèneront à découvrir que personne n'est vraiment plus intelligent que les autres. Et donc, que l'idéal est de s'y mettre à plusieurs pour résoudre un problème complexe, surtout lorsqu'on est dans l'action», dit Guillaume Leroutier, directeur et formateur, du CQPNL. Et d'ajouter : «De nos jours, un bon leader est un leader qui fait preuve de maturité, c'est-à-dire qui sait taire ses idées pour laisser la place à celles des autres, ce qui est la prémisse de toute vraie innovation».
Comment se transformer en cocréateur du futur
La formation Management 3.0 de Pyxis, un cabinet-conseil en management spécialisé dans la méthode Agile, repose sur un postulat aujourd'hui déstabilisant, mais qui devrait demain devenir la norme : au sein d'une entreprise, la plus petite unité n'est plus l'individu, mais l'équipe. Donc, le leadership n'est plus l'apanage du leader, mais il est partagé entre tous.
«Les leaders doivent aujourd'hui porter des charges trop lourdes pour leurs épaules, et courent droit au burn-out. Il leur faut donc les partager avec les autres, pour se montrer plus efficaces tous ensemble. Cela amène à lâcher prise sur plein de choses, ce qui n'est pas naturel chez un leader, mais qui heureusement peut s'apprendre», dit la formatrice Hélène Letarte. Le truc pour y parvenir ? «Le leader de demain sera celui qui arrêtera d'accroître ses compétences pour plutôt développer son être», dit-elle.
Demain est déjà là
Nous évoluons dans un monde en pleine mutation. Tous les 15 jours, cette nouvelle rubrique d'Olivier Schmouker décryptera les bouleversements à venir, tous secteurs confondus, et indiquer comment en tirer parti.