Dans un monde «normal», les organisations sans but lucratif limitent leurs projets lorsque les subventions diminuent. Mais pas dans l'univers de Nathalie Bondil. Même si les subventions au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) sont gelées depuis 1995, la directrice et conservatrice en chef déborde de projets.
Il faut dire que sa clientèle en redemande. «En janvier 2011, le Musée des beaux-arts de Montréal comptait 36 000 abonnements ; nous sommes rendus à 87 000», affirme Mme Bondil.
Après le pavillon Bourgie, en 2011, le MBAM connaîtra une autre expansion avec l'ouverture en 2017 du pavillon Hornstein (grâce à un don évalué à environ 75 M $). Comme le dit Mme Bondil, deux expansions en six ans dans une économie morose, «c'est énorme !» Et en 2014, le MBAM devrait atteindre pour la première fois son million de visiteurs annuels ; il y en a eu 600 000 en 2010.
Dans un contexte où les finances publiques sont sous haute surveillance, cette croissance rapide pose tout un défi. Sans parler des frais d'exploitation qui ne cessent d'augmenter. Par exemple, si le MBAM a reçu une aide généreuse pour construire les nouveaux pavillons Bourgie et Hornstein, aucune subvention récurrente ne couvrira leur exploitation. À lui seul, faire rouler le pavillon Hornstein coûtera de 800 000 $ à 1 M$ par année. «En 1995, rappelle Mme Bondil, le musée employait 100 personnes de plus.»
Malgré tout, le niveau d'autofinancement du musée a été haussé de 45-50 %, il y a 10 ans, à 50-55 % cette année.
L'obligation d'exporter
Dans cet exploit, les expositions comptent pour beaucoup : les expositions au MBAM et celles dont il est l'organisateur concepteur et qui sont «vendues» à d'autres musées dans le monde.
Pour survivre financièrement, le MBAM doit donc attirer des visiteurs aux expositions. De plus en plus de visiteurs, donc de plus en plus d'expositions qui doivent être de plus en plus intéressantes. Tout ça, rappelons-le, avec des subventions gelées depuis près de 20 ans, à moins de 15 M$.
On peut évidemment «acheter» des expositions, mais comme la demande de ce type d'événements augmente dans le monde, les prix ont bondi. Mme Bondil raconte que le Musée Picasso, de Paris, actuellement fermé pour rénovations, a offert sa collection à plusieurs musées pour financer ses travaux, dont le MBAM. «Ça nous aurait coûté des millions de dollars ; c'était presque indécent !»
Comme solution, la conservatrice a choisi de mettre en place elle-même des expositions, d'en gérer le développement et de les vendre à d'autres musées. L'exposition sur le couturier Jean Paul Gaultier, celle sur le Pérou et plus récemment celle sur Venise en sont des exemples.
«En 2014, nous accueillerons trois expositions à Montréal et certaines de nos expositions visiteront six autres villes, précise-t-elle. En 2017, 10 ans après le début de cette stratégie, des expositions conçues à Montréal auront fait le tour de 25 villes.»
Mme Bondil croit modestement qu'elle s'inscrit tout simplement dans un large mouvement très québécois. «Au Québec, la culture s'exporte beaucoup parce qu'on n'a pas le choix, le marché intérieur est trop petit. C'est formidable !»
Exporter nos expositions permet d'en réduire le coût de moitié, donc de faire des expositions de plus grande envergure et d'attirer plus de visiteurs qui génèrent plus de revenus autonomes. «Mon but est de faire de grands projets et de les financer, pas de faire de l'argent.»
Diversifier les plateformes
Toutefois, Mme Bondil, diplômée en histoire de l'art de l'École du Louvre, estime que ce système a atteint ses limites. «Exporter met beaucoup de pression sur nos équipes ; il faut trouver autre chose si on veut continuer à avancer.»
Cette diversification a déjà commencé avec la Fondation Arte Musica, créée en septembre 2007 par l'homme d'affaires Pierre Bourgie. Arte Musica a comme mission le développement d'une programmation musicale au MBAM.
Le Musée ne touche pas un sou des billets vendus pour les concerts de la salle Bourgie. «L'impact de la salle Bourgie n'est pas financier, mais il nous permet de créer un "cercle vertueux", d'être plus attractifs, explique la gestionnaire. On diversifie nos plateformes.»
Comme la moitié des spectateurs aux concerts ne fréquentent pas le musée, on comprend qu'ils représentent de bons clients éventuels pour celui-ci. «Je veux plus de visiteurs, pas plus d'argent.»
Et des partenariats du genre, vous n'avez pas fini d'en voir. Ainsi, le Festival international du film sur l'art (FIFA) vient d'annoncer qu'il s'installe en permanence au MBAM, avec une programmation qui s'échelonnera sur toute l'année. «Ça fait cinq ans qu'on travaille là-dessus !»
Récemment, le MBAM et le Musée d'art contemporain de Montréal ont annoncé qu'ils organiseront une exposition commune.
Mme Bondil a aussi dans sa manche deux projets de recherche scientifique, l'un sur la santé mentale, avec l'Institut Douglas, l'autre avec l'Institut de cardiologie de Montréal qui analysera l'impact de différentes oeuvres sur le rythme cardiaque des personnes. S'il est reconnu que l'art a une incidence positive sur la santé mentale (art thérapie), peut-être a-t-il le même effet sur la santé du coeur !
Un autre partenariat est également en développement avec le National Music Centre de Calgary. Un autre sur le théâtre. Un autre avec l'Université Concordia afin de créer du contenu pour le futur pavillon Hornstein, consacré à la paix.
«Les historiens de l'art n'ont pas le monopole du discours sur la culture, explique Mme Bondil. L'art peut aussi mener à la géographie, à l'environnement, à l'économie, à la politique et à bien d'autres activités humaines.»
L'éducation, le prochain projet
Toujours dans son objectif de multiplier les plateformes, Mme Bondil mise beaucoup sur l'éducation, «son prochain public». Le don en 2012 de l'éditeur de manuels scolaires Michel de la Chenelière, pour aménager des studios d'art et d'éducation, constitue le fer de lance de ce projet qui souhaite offrir aux écoles un riche programme culturel que la plupart ne peuvent s'offrir.
«Nous visons 200 000 écoliers par année en 2017 et nous avons déjà atteint 70 % de cet objectif. Depuis septembre 2012, nous sommes passés de 15 à 31 éducateurs.»
Finalement, Mme Bondil veut mettre plus d'efforts pour renflouer la Fondation du MBAM. Notamment afin d'aller chercher plus d'argent pour financer le futur pavillon Hornstein.