Frédéric Chatel et Jean-Louis Lapointe, la quarantaine, ont mis près d'un an et demi à trouver une entreprise à acheter avant de mettre la main sur Manutention Québec, une entreprise de Pointe-Claire spécialisée dans la vente et la location de chariots élévateurs.
En 2005, au moment de prendre leur décision, Frédéric Chatel, avocat spécialisé dans le capital de risque et les fusions-acquisitions, avait quitté son emploi au sein du cabinet Borden Ladner Gervais et terminait un MBA à HEC Montréal. Jean-Louis Lapointe, comptable agréé, avait notamment travaillé chez Ernst & Young. Leur famille proche compte bien des entrepreneurs. Mais à part ça, «on ne connaissait pas les entreprises à vendre, on n'avait pas d'expérience dans un secteur en particulier», se souviennent les deux amis, qui se connaissent depuis l'école primaire.
Conclusion : «Si nous étions restés dans le réseau officiel (courtiers d'achat-vente, cabinets comptables), on ne se serait pas fait présenter les meilleurs dossiers, car on n'avait pas de crédibilité, assure Frédéric Chatel. De plus, on savait que certains propriétaires sont réticents à afficher que leur entreprise est à vendre». Il fallait donc les débusquer.
Ils ont alors commencé par préciser leurs attentes. «On voulait une entreprise déjà en activité, pas trop complexe, dans laquelle on pourrait s'intégrer facilement, ayant un potentiel de croissance, tout en étant déjà performante», énumère Jean-Louis Lapointe. Les deux repreneurs avaient l'intention de financer leur achat par emprunts. Pour ce faire, ils savaient qu'il fallait prouver la profitabilité de l'entreprise à racheter. «On ne voulait pas aller dans certains secteurs qui exigent une expertise de pointe (l'aéronautique par exemple). D'autres ne nous intéressaient pas, comme la restauration et le commerce de détail.»
Tout leur réseau sollicité
Ils se sont vite rendu compte que, malgré leur supposé manque de crédibilité, ils avaient tout de même un point fort (outre leurs professions respectives) : leur réseau de relations. Les deux professionnels ont alors envoyé un document résumant leurs critères d'investissement à tout leur réseau, relations professionnelles et personnelles comprises.
Au total, de 300 à 500 personnes l'ont reçu... Parmi elles, «l'ancien propriétaire de ma maison, qui a transmis mon courriel à ses collègues, dont un avocat qui savait que les propriétaires de Manutention Québec réfléchissaient à vendre leur entreprise», raconte Jean-Louis Lapointe. L'entreprise en question, créée en 1997, répondait à leurs critères : «La gamme de produits était intéressante et il y avait un potentiel de croissance de la marque Linde, dont les parts de marché en Europe s'élevaient à 20-25 % comparativement à 2-4 % ici», résument les repreneurs. Les deux parties ont été mises en contact, et un peu plus d'un an plus tard, elles concluaient la transaction.
Aujourd'hui, les deux dirigeants sont propriétaires à hauteur de 50 % chacun de Manutention Québec, qui emploie une quarantaine de personnes (par rapport à une vingtaine lors de l'achat en 2007).
Ils ont doublé le chiffre d'affaires, ouvert un point de vente à Jonquière et sont représentants depuis un an d'une deuxième marque de chariots élévateurs, Hyundai. Ils ont fait l'acquisition, l'année dernière, d'un de leur concurrent - Hansler manutention -, ce qui leur a permis de devenir distributeur exclusif de la marque Linde au Québec (sauf la Côte-Nord).
L'avenir est prometteur : «Nous sommes toujours à l'affût d'acquisitions qui nous permettraient d'étendre notre présence au Québec», expliquent les dirigeants, qui envisagent d'ouvrir un nouveau point de service sur la couronne nord à moyen terme et tablent sur 5 à 10 % de croissance de leur chiffre d'affaires pour 2015. Le nombre d'employés pourrait aussi augmenter de 10 % cette année.
Privilégier une approche structurée
Si l'aventure de Frédéric Chatel et Jean-Louis Lapointe est une réussite, c'est notamment parce qu'ils avaient pris le temps de définir ce qu'ils recherchaient. La clé pour un repreneur : bien se connaître et savoir ce qu'on veut. «La première chose à faire, c'est d'établir son profil d'acquéreur (personnalité, parcours professionnel, profil financier, compétences distinctives, affinités avec certains produits et clientèles). Ensuite, il est nécessaire de préciser la cible : quel secteur d'activité, quel type d'entreprise, quelle taille, etc.», précise Robert Deshaies, président et conseiller principal, spécialisé dans les fusions-acquisitions, de G4 Solutions et stratégies d'entreprise, à Laval.
Le but : «Bien appareiller l'acquéreur et l'entreprise rachetée selon les forces et les faiblesses de chacun», résume Robert Deshaies. La capacité financière du repreneur détermine également beaucoup de paramètres, car «les banques fonctionnent avec des ratios et elles exigent des mises de fonds qui tournent souvent autour d'au moins 20 % du prix de vente», poursuit l'expert.
Comme l'ont expérimenté les repreneurs de Manutention Québec, les meilleures offres d'entreprises à vendre ne sont pas forcément publicisées, reconnaît Robert Deshaies, «car les entrepreneurs craignent les effets d'une telle annonce sur leurs employés et leurs clients». Pour des repreneurs sans réseau dans le domaine, c'est difficile d'avoir accès seuls aux offres intéressantes. C'est pourquoi le marché des intermédiaires est florissant : les grands cabinets de comptabilité ainsi que les banques ont investi ce créneau, à l'instar de nombreux petits bureaux spécialisés dans l'achat et la vente d'entreprises. Ces spécialistes accompagnent alors le repreneur dans la recherche de l'entreprise idoine, mais aussi dans toutes les démarches à effectuer pour réaliser la transaction (évaluation, revue diligente, etc.).
Relève entrepreneuriale
Série 3 de 3. Ces articles présentent les défis de jeunes entrepreneurs qui se lancent en affaires en prenant la relève d'une entreprise déjà en activité.