Le Québec est en mal d'entrepreneurs. Et le manque d'argent est souvent le nerf de la guerre. C'est ce qui ressort des tables rondes organisées par Les Affaires, en partenariat avec RSM Richter Chamberland et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI).
Les dirigeants sur place ont rappelé combien il était difficile pour une petite entreprise de faire face à ses obligations financières. Selon la fédération, plus d'un entrepreneur sur trois juge que la gestion des finances de l'entreprise fait parti des principaux défis actuels.
Les entrepreneurs ont des idées, comme ils l'ont démontré au cours de la table ronde organisée au printemps dernier, mais trouvent que le processus de financement est ardu, et cela, peu importe leurs besoins. Que ce soit pour le démarrage, la R-D, la commercialisation ou encore l'expansion de leur entreprise, les entrepreneurs passent beaucoup de temps à chercher de l'argent pour leurs projets. À un point tel, selon eux, que cela devient complètement improductif...
Les projets moyens n'ont pas la cote
Les participants ont longuement discuté de leurs mésaventures avec leurs institutions financières. Ils acceptent de faire leurs devoirs, mais trouvent que le processus est compliqué. " Nous avons eu plusieurs clients qui ont failli à cause d'un manque de financement ", dit Manon Brosseau, de Léger Robic Richard.
La FCEI rappelle que depuis 2007, le Québec a compté pour plus de 30 % des insolvabilités commerciales enregistrées au Canada.Ce sont les projets d'envergure moyenne qui sont les plus difficiles à financer. Ils sont trop gros pour les grands prêteurs et trop petits pour les sociétés de capital de risque.
" J'avais besoin de 200 000 $ pour une acquisition et la banque a refusé, même si j'avais de bons revenus et un bon historique. Le banquier m'a dit d'utiliser la marge de crédit. Le problème est que la marge ne sert pas à cela. Elle est là au cas où un client ne paie pas ", dit Robert Jodoin, président d'Axium.
Dans tous les secteurs, on fait face à des difficultés de financement, mais les plus touchés sont les entrepreneurs de la nouvelle économie et des services. C'est qu'aucun actif tangible ne peut servir de garantie...Robert Hodge, associé chez RSM Richter Chamberland, lance une question qui reste sans réponse : " Les banques devraient-elles changer leur façon de faire pour mieux tenir compte des actifs intangibles ? "
Un système bancaire très centré sur lui-même
Bien gérer l'argent est une autre préoccupation des entrepreneurs. Ceux-ci aimeraient recevoir plus de soutien de leurs institutions financières. Certains les trouvent trop frileuses, surtout lorsqu'il est question de conquérir des marchés étrangers.
" Notre système bancaire est désuet et centré sur lui-même. Nous faisons affaire avec au moins cinq banques ! Deux au Mexique, deux en France et une ou deux ici. Tout ça parce que les banques canadiennes ne reconnaissent pas mes avoirs en France ", lance Nicolas Bonnafous, président d'Odesia Solutions.Les PME sont par ailleurs déroutées devant les taux de change. Les dirigeants font beaucoup d'efforts pour percer de nouveaux marchés, mais ils oublient de regarder cet aspect. " On peut gruger ses marges très vite avec les taux de change ", rappelle André Leroux, président de Noveko. La situation est d'autant plus préoccupante que les entreprises d'ici sont habituées à travailler avec des taux stables.
Trop de paperasse
Les entrepreneurs présents aux tables rondes ont grandement fait état de leur souci d'améliorer leur productivité. Ils reconnaissent que la concurrence est féroce et mondiale.
Selon eux, toutefois, les instances gouvernementales ne se sont pas adaptées et entravent leurs efforts. Le sondage que la FCEI a réalisé auprès de ses membres est assez révélateur à cet égard. Les règlements et les formalités administratives arrivent au premier rang des défis de gestion des entrepreneurs.
La gestion des programmes gouvernementaux pèse sur plusieurs entrepreneurs. Qu'on mentionne CSST, équité salariale ou programmes, les participants en ont beaucoup à dire. Ils ne rejettent pas l'esprit de ces programmes, mais leur forme. " Le gouvernement rend cela très compliqué pour les entreprises ", indique Jean-Marc Léveillé, président de Dotemtex.
" Chaque fois que le gouvernement arrive avec un nouveau programme, comme la loi sur l'équité salariale, on doit s'y conformer. J'aimerais mieux m'occuper de mes clients et de mes employés ! " lance André Couillard, président de Procom Québec.
La gestion des programmes peut devenir tellement importante que certaines entreprises font appel à des firmes externes pour les aider. Mais cela ne règle pas tout; il faut ensuite gérer la relation avec cette firme externe...
Les participants déplorent le fait qu'ils n'ont pas beaucoup de pouvoir face à cette lourdeur administrative. Ils préfèrent se concentrer sur ce qu'ils peuvent maîtriser : leurs activités.
Quitter ses pantoufles
Les participants connaissent leur entreprise et sont bien au fait des points d'achoppement. Certes, la retraite imminente de nombreux travailleurs sème l'inquiétude, mais ces travailleurs d'expérience nuisent aussi à son efficacité. Surtout quand celle-ci doit innover et appliquer de nouvelles façons de faire.
" Beaucoup de nos employés ont de 20 à 25 ans d'ancienneté et ne veulent pas changer; ils sont bien dans leurs pantoufles ", signale un participant.
Pour y remédier, certains misent sur l'innovation des processus. " On a constitué des cellules de travail pour engager ceux qui viennent d'autres entreprises et pour motiver ceux qui sont là depuis 20-25 ans. Un des défis est d'inciter tous les employés à trouver des solutions et à innover ", explique Jacques-Étienne Côté, président de Digico Réseau Global.
Au-delà des frontières
Selon les participants, un autre grand défi attend les PME québécoises : la croissance. " Aujourd'hui, l'entrepreneur doit regarder au-delà des frontières pour réussir. Être 100 % québécois, ce n'est pas rentable à long terme ", dit Yves Paquette, président de Novipro.
Plusieurs des entrepreneurs présents aux tables rondes exportent leurs produits, mais cela n'est pas le cas de la majorité, loin s'en faut. Selon la FCEI, à peine 17,9 % des entrepreneurs québécois exportent, par rapport à 29,8 % des entrepreneurs du reste du Canada.
Nos entrepreneurs se limitent trop au marché local et passent à côté d'occasions d'affaires. " Comme le marché se globalise, on doit agir davantage en commerçants. On doit apprendre aux jeunes à vendre, à faire des affaires... Il ne faut pas juste savoir produire, il faut savoir vendre. Il faut développer des notions de commerce appliqué ", déclare Sébastien Fauré, président de Bleublancrouge.
Les dirigeants sont toutefois déjà à l'affût des occasions qui leur permettront de réduire leurs coûts. Pour eux, la planète est un immense terrain de jeu où on retrouve des clients potentiels, des concurrents, mais aussi des partenaires et des fournisseurs.
Reste que, selon eux, trop d'entrepreneurs québécois ont encore peur de s'ouvrir sur le monde, de prendre des risques. " Même s'ils parlent un très bon anglais, certains ont même peur d'aller à Toronto ", estime Mark J. Busgang, de Warnex.
Malgré tout, ceux qui ont pris le risque voient l'avenir d'un bon oeil. Ils estiment que l'avenir sera profitable. Claude Décary, président de Bouthillette Parizeau, résume ainsi l'état d'esprit des participants : " Je pense qu'il n'y aurait personne en affaires ici aujourd'hui si on ne pensait pas réussir demain. Nous voulons tous avoir du succès. "