Dans la première chronique de cette série, parue le 7 février, je faisais part de mon optimisme face au «déficit entrepreneurial» qui caractérise le Québec par rapport au reste du Canada. J'écrivais que je préférais y voir le verre à moitié plein de nos réalisations entrepreneuriales plutôt que le verre à moitié vide de nos lacunes.
Je le pense toujours. Mais ça ne m'empêche pas de m'interroger sur les façons de hausser le coefficient de remplissage du verre à moitié plein !
Je lisais récemment l'édition 2014 de l'Indice entrepreneurial québécois (IEQ) établi par la Fondation de l'entrepreneurship et le rapport du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) sur la situation de l'entrepreneuriat au Québec. Comme moi, les deux adoptent l'approche du verre à moitié plein. Le déficit est réel, mais il n'est ni abyssal ni insurmontable.
Cela étant, les deux documents sont complémentaires, et leur lecture conjuguée est particulièrement intéressante.
Il semble que les Québécois, jeunes et moins jeunes, ont une opinion très favorable de l'entrepreneur ; plus favorable même que les autres Canadiens. À cet égard, les deux études concordent, et celle du GEM indique même que la perception de l'entrepreneur est au Québec plus favorable que dans tous les pays du G8 !
Le Québécois type aime donc les entrepreneurs ; il les admire. Même si cette année, il est moins convaincu de leur honnêteté - un effet de la commission Charbonneau, sans doute.
Entreprendre : sport-spectacle ou sport de participation ?
Le Québécois aime davantage les entrepreneurs que les autres Canadiens. Paradoxalement, l'IEQ le confirme année après année, moins de Québécois que de Canadiens affirment vouloir se lancer en affaires. Et moins de Québécois que de Canadiens sont propriétaires d'entreprise.
L'IEQ met en lumière une subtilité troublante : parmi les jeunes qui ont l'intention de démarrer une entreprise, une forte majorité de Québécois (67 %) envisagent de le faire dans quatre ans ou plus ; alors qu'une majorité (54 %) des Canadiens hors Québec envisagent de le faire dans trois ans ou moins. Soit les Québécois sont plus réalistes que les autres Canadiens, soit leurs intentions tiennent encore du rêve non engageant, alors que les futurs entrepreneurs du reste du Canada en sont au projet.
Peut-être les Québécois sont-ils des «amateurs d'entrepreneurship», comme ils sont amateurs de hockey : on voue une admiration aux professionnels, mais le «lancer d'entreprise» demeure un sport-spectacle davantage qu'un sport de participation.
De fait, le GEM révèle que par rapport à d'autres citoyens du monde, les Québécois s'estiment peu compétents pour devenir des entrepreneurs : moins que les Allemands, les Suédois ou les Néerlandais ; moins que les Grecs, les Espagnols ou les Portugais ; et beaucoup moins que les autres Canadiens ou que les Américains... Il s'agit là de compétences perçues, et non mesurées, j'insiste là-dessus. Car dans la réalité, les Québécois sont plus entrepreneurs que nombre de ces nationalités qui s'affirment plus compétentes.
Doit-on y voir une manifestation de notre prétendu complexe d'infériorité collectif ? Je ne me hasarderai pas à répondre. Mais les documents de l'IEQ et du GEM offrent une piste originale d'explication. Un pourcentage relativement faible de Québécois (24 %) connaissent personnellement un entrepreneur. Ce pourcentage avoisine ou dépasse les 30 % dans le reste du Canada et dans des pays comme l'Espagne, l'Irlande ou la Norvège, et dépasse 40 % en Israël et en Finlande. Pour une écrasante majorité de Québécois, l'entrepreneur est donc davantage une abstraction qu'une réalité. Ce qui expliquerait qu'il puisse à la fois admirer, voire idéaliser l'entrepreneur, et s'estimer sous-qualifié pour en devenir un.
L'importance de l'école et du milieu immédiat
Or, selon l'IEQ, le fait de connaître un entrepreneur a un impact important sur l'intention entrepreneuriale des jeunes. Tout comme sont déterminantes les perceptions positives, négatives ou neutres véhiculées par le milieu immédiat : famille, amis, collègues ou intervenants scolaires. Il est donc permis de croire que les attitudes vis-à-vis de l'entrepreneuriat se forment tôt dans la vie. Les perceptions et les attitudes des trentenaires d'aujourd'hui ont sans doute été formées il y a 15-20ans, dans les salles de classe et autour de la table familiale.
Les entrepreneurs des années 2030 à 2050 sont aujourd'hui sur les bancs d'école. C'est là que se prépare la création de valeur et d'emplois de demain. Je suis persuadé qu'à terme, les programmes scolaires sont au moins aussi déterminants dans la création et la croissance d'entreprises que les programmes d'aide aux entrepreneurs. Le ministre de l'Éducation, des Loisirs et des Sports, de même que les directions d'écoles, depuis le primaire jusqu'au cégep, devraient en prendre acte.
Biographie
Robert Dutton est le tout premier entraîneur en résidence de l'École d'entrepreneurship de Beauce (EEB). Pendant 20 ans, il a assuré la direction de Rona à titre de président et chef de la direction. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant canadien de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage. Après un passage aussi marquant que remarquable comme entrepreneur-entraîneur, Robert Dutton a décidé d'accompagner les entrepreneurs-athlètes de façon plus assidue, au sein de l'EEB.