Jay Coen Gilbert est cofondateur du B Lab, un organisme à but non lucratif de la Pennsylvanie qui accorde la certification B Corp. Les entreprises certifiées B Corp visent un impact social ou environnemental, en plus du rendement financier. Il en existe 1 051, dans 34 pays. Au Canada, elles sont une centaine, dont la BDC.
Diane Bérard - Qu'est-ce qu'une B Corp ?
Jay Coen Gilbert - C'est une société certifiée par l'organisme à but non lucratif [OBNL] B Lab. B Lab se trouve en Pennsylvanie. Une entreprise peut afficher la certification B Corp si elle répond à de hauts standards de responsabilité sociale et environnementale ainsi qu'à des critères de transparence, de divulgation et d'imputabilité. À ce jour, 1 000 entreprises portent la certification B Corp. Elles se répartissent entre 33 pays et 60 secteurs d'activité. Les B Corps redéfinissent la notion de succès en affaires.
D.B. - Quelle est la différence entre une B Corp et une Benefit Corporation ?
J.C.G. - Une B Corp est une certification alors qu'une Benefit Corporation est une structure légale. Les deux partagent des objectifs communs, soit un impact social ou environnemental. Mais une Benefit Corporation n'a pas de certification, c'est une structure légale choisie par les dirigeants. Cette structure protège ces derniers ainsi que leurs conseils et leur permet de prendre leurs décisions en fonction d'une multitude de critères autres que financiers. Pour l'instant, les Benefit Corporations sont reconnues dans 25 États américains et à l'étude dans 14 autres.
D.B. - Qu'est-ce que le B Lab ?
J.C.G. - C'est l'organisme à but non lucratif derrière le concept B Corp. Notre budget est de 6 millions de dollars américains. Le tiers provient des revenus de certification. Le reste, de la philanthropie. Nous comptons 35 employés. Et nous entretenons des partenariats dans plusieurs pays. Au Canada, nous sommes associés à MaRS Discovery District [Toronto].
D.B. - Les B Corps s'inscrivent dans le mouvement plus vaste de l'entrepreneuriat social. Où va ce mouvement ?
J.C.G. - La première génération d'entrepreneurs sociaux a adopté le modèle ONG ou OBNL. Aujourd'hui, un nombre croissant d'entre eux estiment qu'on peut utiliser le pouvoir du marché pour résoudre certains problèmes sociaux et environnementaux. On le voit pour la question de l'eau, de la nourriture, de l'extrême pauvreté. Le secteur privé est l'actif le plus sous-utilisé de l'entrepreneuriat social. Nous sommes comme un train ou un avion qui n'utilise qu'un seul moteur alors qu'il en a deux.
D.B. - Pourquoi est-il plus efficace de former une B Corp qu'un OBNL pour résoudre un problème social ou environnemental ?
J.C.G. - Parce que vous pouvez vous consacrer à votre mission. Vous n'avez plus à courir après l'argent tout le temps. Et si vous avez plus d'argent, cela facilite le recrutement. Sans compter que vous pouvez massifier vos activités plus rapidement, donc augmenter votre impact. Or l'impact, c'est la raison d'être de toute entreprise sociale.
D.B. - Les B Corps sont-elles surtout des PME ?
J.C.G. - Non, certaines ont des revenus de 1 milliard de dollars.
D.B. - Les B Corps ont-elles toutes une mission sociale ou environnementale ?
J.C.G. - Pas nécessairement. Certaines sont des entreprises sociales. Elles ont été créées spécifiquement pour contribuer à résoudre un problème social ou environnemental. D'autres B Corps sont des entreprises «ordinaires» qui fabriquent des produits ou proposent des services sans avoir comme mission première de sauver la planète.
D.B. - Donnez-nous un exemple d'une entreprise que nous n'aurions pas classée comme une B Corp.
J.C.G. - Nous en comptons plusieurs. Les B Corps sont aussi diversifiées que l'économie. Par exemple, ce fabricant de machinerie lourde et de produits en plastique de Grand Rapids au Michigan. Cascade Engineering n'est pas ce que vous imaginez lorsque vous pensez à une entreprise verte. Et pourtant... elle s'appuie sur des techniques de production durable. Et parmi les 1 200 employés de ses 14 usines, plusieurs étaient auparavant bénéficiaires de l'aide sociale. Cela fait partie de la politique de recrutement de l'entreprise d'offrir des carrières à cette clientèle laissée-pour-compte. Cascade Engineering est donc une entreprise qui agit concrètement pour favoriser l'inclusion sociale et réduire son empreinte environnementale. Elle est devenue verte, même si elle appartient à un secteur historiquement «brun».
D.B. - Pourquoi ce manufacturier de machinerie lourde du Michigan a-t-il voulu devenir une B Corp ?
J.C.G. - Cascade Engineering était une B Corp avant l'heure. Pour le fondateur, Fred Keller, être une B Corp signifie contribuer au développement de sa communauté. Certaines B Corps ont une vision globale, d'autres, une vision locale.
D.B. - Qu'est-ce qu'une B Corp apporte concrètement à une ville ou à une région ?
J.C.G. - Les B Corps créent des emplois de plus grande qualité. Ce faisant, elles améliorent la qualité de vie de toute la communauté.
D.B. - Comment devient-on une B Corp ?
J.C.G. - C'est un processus en deux étapes. D'abord, il faut quantifier l'impact social ou environnemental de l'entreprise sur ses parties prenantes. Nos attentes varient selon la taille de l'organisation, son secteur et son emplacement. Un questionnaire guide la direction dans ce processus qui devrait prendre d'une à trois heures. Notre équipe peut parcourir le questionnaire avec l'entrepreneur avant qu'il ne commence à y répondre. Si le score obtenu se situe sous 80/200, nous lui demanderons de fournir des pièces justificatrices de son impact. L'entrepreneur doit aussi remplir un formulaire de divulgation, énonçant toute pratique de sa part, ou de celle d'un de ses partenaires, que nous devrions connaître. Puis, notre comité est prêt à déterminer s'il lui accorde la certification B Corp. Chaque année, nous visitons au hasard 10 % des sociétés certifiées pour vérifier sur les lieux si tout est conforme aux réponses du questionnaire. Cette visite dure de six à dix heures, selon la taille et la nature des activités.
D.B. - Combien de temps demeure-t-on certifié ?
J.C.G. - Nous accordons une certification pour deux ans. Ensuite, il faut postuler de nouveau. Les conditions préalables auront généralement changé. Nous raffinons constamment notre vérification diligente. Nous apprenons à poser de meilleures questions pour obtenir des réponses plus précises qui vérifient ce qui compte vraiment. Je pense aux mesures d'impact social et environnemental, par exemple. Nous intégrons les nouvelles versions dès qu'elles sont prêtes.
D.B. - Quel est le coût ?
J.C.G. - Il varie selon la taille de l'entreprise, de 500 $ à 25 000 $ par année.
D.B. - Les B Corps doivent signer une déclaration d'interdépendance. De quoi s'agit-il ?
J.C.G. - Les B Corps s'engagent à respecter certains principes, dont : mener leurs affaires en tenant compte des gens et des lieux ; s'assurer par leurs produits, leurs pratiques et leurs profits de ne nuire à personne ; être profitable pour tous ; reconnaître l'interdépendance de tous et leur responsabilité envers leurs contemporains ainsi que les générations futures.