Série 1 de 3. Le transfert d'une entreprise familiale pose plusieurs défis. Des dirigeants qui ont négocié le virage témoignent de leur expérience vécue.
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Trois femmes. Une mère et ses deux filles. Toutes les trois sont désormais engagées dans l'entreprise fondée en 1992 par Johanne Dion, Trans-Herbe, qui crée des mélanges de thés et de tisanes en sachets. La fondatrice, âgée de 60 ans, accompagne ses filles dans la relève et partira dès qu'elle les sentira prêtes.
Johanne Dion pourrait déjà relever de nouveaux défis. C'est d'ailleurs ce qui était prévu. Elle était censée se retirer de Trans-Herbe en 2015. L'entrepreneure avait une idée bien précise de ce qu'elle voulait faire de sa nouvelle liberté : «siéger à des conseils d'administration et aider de jeunes entreprises», dit-elle.
Mais, il y a deux ans, la cadette de la famille, Virginie Pomerleau, 36 ans, qui ne souhaitait pas s'investir outre mesure dans l'entreprise familiale au départ, a changé d'avis et décidé d'occuper toute sa place dans la relève. Un bouleversement bien accueilli par Johanne Dion, mais qui a reporté ses projets de «retraite». Elle a choisi de rester pour accompagner les premiers pas de sa cadette dans la PME et faire le lien entre les deux soeurs, qui n'ont pas la même vision du développement de l'entreprise.
Actuellement directrice des ressources humaines, Virginie Pomerleau a rejoint dans l'entreprise sa soeur aînée, Karine Pomerleau, 41 ans, directrice générale. «Une entreprise familiale, c'est une chance, c'est un beau projet. On a la responsabilité de le poursuivre», explique Virginie Pomerleau.
Au départ, ni Karine ni Virginie ne voulaient prendre le relais de leur mère à la tête de Trans-Herbe. L'une était adolescente, l'autre jeune adulte quand Johanne Dion a créé son entreprise. À la voir travailler tant et tant, elles ne voulaient pas de cette vie.
Karine a étudié en droit et a ouvert une étude de notaire. Virginie a fait un bac en philosophie et voulait «profiter de la vie», fonder une famille et avoir le temps de s'occuper de ses enfants. Elle est partie vivre aux États-Unis. Puis, chacune, à des moments différents, a été attirée comme un aimant par l'entreprise familiale. Karine a pris le chemin la première, d'abord par petite touche, parce que se faire une clientèle notariale prend du temps et qu'il fallait boucler les fins de mois. De fil en aiguille, elle y a pris goût, a monté les échelons. «J'ai travaillé dans tous les services sauf à la qualité, se souvient l'aînée de la famille. Depuis 20 ans, j'ai pris progressivement de plus en plus de responsabilités.» Jusqu'à devenir directrice générale, puis - la route était toute tracée - pdg au départ de sa maman. Un processus de relève avait même été formalisé et entamé il y a quatre ans.
La cadette acquiert des compétences
Mais avec l'arrivée de la cadette dans l'entreprise, il a été stoppé. Johanne Dion a conservé son poste de présidente et joue le rôle de «mentor» pour ses filles. Elle continue de rencontrer les fournisseurs et de trouver de nouveaux clients et producteurs partout dans le monde.
Elle s'est résolue à rester plus longtemps au coeur de Trans-Herbe, même si elle a pris du large et laisse la gestion quotidienne à son aînée, lui déléguant progressivement les responsabilités. «Cette année, j'ai fait les budgets seule», se réjouit Karine Pomerleau. La matriarche est absente au moins 20 semaines par année, mais elle est toujours au bout de son téléphone ou de son courriel. Prête à désamorcer les tensions, prodiguer un conseil, appuyer une décision.
«C'est encore nécessaire qu'elle soit là, car on a besoin de sa présence pour la cohésion et encore pour certaines étapes», reconnaît Virginie Pomerleau, qui a entrepris un MBA qu'elle terminera à la fin de l'année.
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Des projections qui créaient de la frustration chez l'aînée
Karine, elle, qui est prête à prendre le flambeau depuis quelque temps déjà, se fait une raison. Car elle ne s'attend plus au départ de sa mère. «Je crois qu'elle sera toujours chez Trans-Herbe. Je ne fais plus de projection. Ça m'a créé de la frustration à un moment donné, mais j'en ai fait mon deuil et c'est même mieux qu'elle soit encore avec nous. On se complète : elle développe de nouveaux clients, a un esprit innovant et moi, j'aime les opérations, la production», confie la quadragénaire.
Johanne Dion, elle, affirme ne rester que tant qu'elle ne sentira pas le duo de ses filles prêt à prendre le relais. «J'étais avancée dans mon processus de départ de l'entreprise. Le stopper m'a bousculée, affirme-t-elle. Mais je veux aider mes filles. Je vais à leur rythme. Elles ont encore de jeunes enfants; la cadette, arrivée plus tard dans l'entreprise, a encore besoin de mon soutien, que je lui dois, puisque je l'ai apporté à sa soeur. Mais quand je ne suis pas là, ça se passe très bien. Je suis juste sur le siège arrière.»
Elle envisage de quitter progressivement Trans-Herbe au cours des trois prochaines années. Le temps d'aider ses filles à apprendre à communiquer entre elles pour la pérennité de leur entreprise.
Effectif: 115 employés
Siège social: Saint-Bruno-de-Montarville
Chiffre d'affaires: 21 millions de dollars
Marchés: 25 % États-Unis / 15 % Reste du Monde / 60 % Canada
Comment agir quand la relève se fait à plusieurs ?
L'avis de Michel Handfield, du Groupe conseil Synergia PME
- Clarifier les fonctions de chacun, notamment sur le plan décisionnel, et surtout s'assurer qu'elles soient respectées au quotidien. Les fonctions doivent coïncider avec le pouvoir qu'elles confèrent.
- Mettre en place une instance de gouvernance, tel un comité de gestion, qui obligera les membres de la famille à parler avec leur casquette officielle (selon leur fonction dans l'entreprise) et non en tant que parent ou enfant.
- Jouer le rôle de mentor sans garder de pouvoir décisionnel. C'est souvent un passage difficile pour les fondateurs.
- Si les relations entre les releveurs sont difficiles, il pourrait être utile de faire appel à une personne extérieure neutre pour aplanir les divergences et leur apprendre à communiquer sur les dossiers liés à l'entreprise.
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