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Difficile de ranger Nawar Alsaadi dans une catégorie. L'homme établi à Vancouver, qui a plus que décuplé un actif de 800 000 $ entre 2008 et 2014, pourrait être qualifié d'investisseur individuel. Nawar Alsaadi, 36 ans, qui vient de publier son autobiographie, se présente comme un investisseur activiste. Faire comme les autres n'a jamais été une option pour cet homme de confession mandéenne, une religion ancienne comptant à peine quelques fidèles.
Les Affaires - Vous avez fait des paris très risqués en tant qu'investisseur, en recourant abondamment aux achats sur marge et aux produits dérivés. Qu'est-ce qui vous a conduit à recommencer après avoir frôlé la ruine deux fois plutôt qu'une ?
Nawar Alsaadi - J'ai pris de grands risques, car j'étais conscient que pour construire une grande fortune, je devais faire des paris très risqués. On dit que pour faire fortune, il faut concentrer ses investissements, et que pour la conserver, il faut les diversifier. L'autre raison est que la prise de risque fait partie de mon identité. Ma mère par exemple ne reculait devant rien pour parvenir à ses fins. À deux reprises, lorsque mon père a été emprisonné et qu'il risquait d'être exécuté, elle a réussi à obtenir une audience avec Saddam Hussein et l'a fait libérer. Depuis mon plus jeune âge, on m'a inculqué la notion selon laquelle il ne faut jamais abandonner, qu'en continuant à essayer, on finit ultimement par obtenir ce qu'on veut.
L.A. - Dans votre livre, vous mentionnez que vous avez lu des biographies de John D. Rockefeller et de Warren Buffett. Bien des gens ont lu ces livres et n'ont pas obtenu le genre de réussite que vous avez connue en Bourse. Quelles leçons avez-vous tirées de votre propre expérience ?
Nawar Alsaadi - Mes 17 ans d'expérience en tant qu'investisseur m'ont appris que 50 % de la réussite d'un investisseur est liée à son état émotionnel. Tout le monde peut comprendre les chiffres. Tout le monde peut conclure qu'un bon produit se vendra bien. Mais là où les choses se corsent pour les investisseurs, c'est quand leurs émotions dictent leur comportement. Lorsque les gens ont peur, ils paniquent et vendent leurs actions. En période d'euphorie, ils se joignent à la fête et achètent des titres qu'ils n'auraient pas dû acheter. L'une des mes forces, c'est d'être à contre-courant par nature. Quand tout le monde se bousculait à la sortie en 2008, il était clair pour moi qu'il s'agissait d'une situation temporaire. C'est ce que j'appelle faire de l'arbitrage émotionnel, c'est-à-dire d'acheter la peur et de vendre l'appât du gain.
Pour réussi en tant qu'investisseur, il faut contrôler ses émotions, mais aussi être patient. Dans la foulée de la crise, j'ai été très patient avec mes investissements. Souvent, quand un investisseur achète un titre et que celui-ci s'apprécie de 100 %, il le vend de manière à s'assurer de conserver son gain. Pour ma part, j'ai attendu, car je considérais que les titres que j'avais achetés étaient encore sous-évalués, même s'ils s'étaient fortement appréciés. J'ai détenu certaines actions jusqu'à ce qu'elles aient grimpé de 500 %, 700 %, voire 1 000 %. Je n'aurais pas pu faire preuve d'une telle assurance si je n'avais pas passé des années à investir activement et à faire des erreurs.
L.A. - De toute évidence, la stratégie d'investissement que vous avez mise en place en 2008 fonctionne. Pourquoi avez-vous décidé de devenir un investisseur activiste ?
Nawar Alsaadi - Oscar Wilde a dit qu'il y avait deux tragédies dans la vie. L'une est de ne pas obtenir ce qu'on veut et l'autre, de l'obtenir. Lorsque j'ai atteint mon objectif financier en 2011, je me sentais vide. Gagner au même jeu encore et encore me semblait vide de sens. Pourquoi investir ? Pour qu'à ma mort, on inscrive sur ma pierre tombale «20 % de rendement par année» ? J'étais à la recherche d'une occupation qui soit riche de sens et qui soit aussi intéressante sur le plan professionnel.
J'ai toujours eu une certaine fascination pour des activistes comme T. Boone Pickens, Bill Ackman et Carl Icahn. Aussi, à la fin de 2011, je me suis rendu compte qu'une entreprise dans laquelle j'avais investi, Equal Energy, était mal gérée. C'est alors que je me suis rendu compte que ce serait une occasion de prendre position plutôt que de vendre mes titres et de passer au prochain appel. Enfin, j'avais assez de capital pour prendre une participation importante dans l'entreprise et pour m'engager.
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L.A. - En lisant votre livre, on comprend que devenir riche a toujours été pour vous un but à atteindre. Pourquoi ?
Nawar Alsaadi - J'ai un problème d'insécurité. Ça vient probablement du fait que, quand j'étais enfant, tous les biens de ma famille ont été saisis par le régime de Saddam Hussein. Mon père a été en prison et notre famille dépendait de dons pour survivre. Durant cette période, il est devenu clair pour moi qu'il fallait que je devienne riche.
L.A. - Pensez-vous qu'il devrait y avoir plus d'investisseurs activistes au Canada ?
Nawar Alsaadi - Absolument. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles j'ai écrit le livre. Il y a deux participants principaux dans les marchés financiers : les gestionnaires de fonds, qui gèrent l'argent des autres, et les cadres, qui gèrent les entreprises des autres. Les actionnaires, qui sont les propriétaires, n'ont aucune place dans cette équation. Ce que j'aimerais accomplir, c'est de placer l'actionnaire canadien au coeur de l'équation. Depuis 2008, plusieurs investisseurs ont commencé à gérer leur portefeuille eux-mêmes, parce qu'ils ne font plus confiance aux gestionnaires. Ça ne suffit pas à régler le problème, car en achetant eux-mêmes des actions, ces investisseurs devraient aussi se conduire comme des propriétaires. J'aimerais que tous les actionnaires puissent aller dans le bureau des PDG qui gèrent leurs entreprises et qu'ils puissent leur dire ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas. Plus les actionnaires se comporteront de cette façon, plus la Bourse canadienne sera saine, car personne ne se soucie plus de la réussite d'une entreprise que ses propriétaires.
L.A. - Vous avez été capable de devenir le plus grand actionnaire d'Equal Energy. Pensez-vous que tout investisseur individuel puisse avoir un impact réel ?
Nawar Alsaadi - Même si vous avez seulement quelques actions et que vous êtes insatisfait de la manière dont l'entreprise est gérée, vous avez plusieurs recours. Bien entendu, vous pouvez communiquer avec l'équipe de gestion. Aujourd'hui, les petits investisseurs peuvent faire pression sur l'équipe de direction grâce à des outils qui n'existaient pas il y a quelques années, comme le site Web Seeking Alpha. Les investisseurs peuvent aussi se tourner vers des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, vers des forums spécialisés, etc. Ultimement, je pense qu'un seul actionnaire, quelle que soit la taille de sa participation, peut parvenir à influencer assez d'actionnaires pour susciter des changements au sein d'une entreprise.
L.A. - Vous vous intéressez d'abord à un secteur, puis vous choisissez des titres. Quels secteurs vous semblent porteurs en ce moment ?
Nawar Alsaadi - Le marché est largement surévalué. Un des secteurs plus abordables dans ce contexte est celui de l'or, mais c'est un pari risqué, puisqu'il est difficile d'établir le prix du métal précieux. Pour être honnête, tous les secteurs sont soit surévalués, soit bien évalués. On peut toutefois trouver des situations particulières intéressantes. Par exemple, j'ai investi un important montant dans le fournisseur de produits chimiques albertain Canexus (Tor., CUS, 4,72 $). L'entreprise est en train de construire un terminal de train pour transporter du sable bitumineux. Elle a connu plusieurs problèmes relativement à ce projet, dont des dépassements de coûts. Les investisseurs craignent que l'entreprise ne soit menacée, mais ces difficultés sont à mon avis temporaires. Le titre peut s'apprécier de 30 % à 40 % au cours des 12 prochains mois.
Ruiné deux fois plutôt qu'une
C'est à Paris, où sa famille se réfugie au début de la guerre du Golfe, que Nawar Alsaadi s'initie au marché boursier. Au sommet de la bulle techno, en 2000, Nawar Alsaadi gère un portefeuille de 640 000 $ constitué à partir d'un capital de départ de 26 000 $. En raison de son recours aux achats sur marge, il perd tout lors de l'éclatement de la bulle. En 2003, après avoir économisé 26 000 $, il construit une nouvelle fortune de 500 000 $ en investissant dans les produits dérivés, avant de tout perdre encore une fois après quelques transactions moins heureuses.
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