Pierre Gattaz dirige le Medef, la plus puissante organisation patronale française. Il dirige aussi Radiall, une société prospère de composants électroniques de 3 000 employés. Avec 800 membres, le Medef est de toutes les négociations. Moins politique que sa prédécesseure, Laurence Parisot, Pierre Gattaz se soucie de faire plutôt que de dire.
DIANE BÉRARD - Que veulent les patrons français ?
PIERRE GATTAZ - Nous voulons que l'État fasse confiance à ses entreprises. Celles-ci ont 80 % des solutions aux problèmes de la France. Nous pouvons devenir un territoire de compétitivité et d'attractivité. Inspirons-nous des pays qui réussissent. Ils ont fait trois choix. Celui de l'entreprise et de l'entrepreneur plutôt que des fonctionnaires. Le choix de l'économie de marché. Nous perpétuons une approche administrative de l'économie. Et finalement, ces pays ont fait le choix de la mondialisation. La France est une Formule 1 que l'on pilote les deux pieds sur le frein.
D.B. - Êtes-vous écouté ?
P.G. - Il y a des avancées. Dans le dossier de la simplification [de la réglementation], par exemple. On a retenu 50 mesures qui réduiraient la bureaucratie. Il reste à insérer ces mesures dans la loi. Ce n'est pas évident. L'administration résiste. Simplifier serait trop compliqué. J'espère que certaines mesures seront ajoutées à la loi avant l'été.
D.B. - La croissance exige la confiance. Vous dites que les entrepreneurs français n'ont pas confiance. Expliquez-nous.
P.G. - Il faut que l'environnement réglementaire et législatif soit simplifié et stabilisé. Alors, les entrepreneurs français et étrangers auront confiance et ils investiront. Après des mois de bataille, nous avons obtenu le pacte de responsabilité [entre l'État, les entreprises et les acteurs sociaux]. Annoncé par le président Hollande le 31 décembre 2013, ce pacte fait, enfin, le choix de l'entreprise. Il opte pour une politique de [stimulation de] l'offre et non de la demande. On donne de l'air aux entreprises plutôt que de baisser la fiscalité des particuliers. Placer plus d'argent dans les mains des ménages, c'est dangereux. Ils ne consommeront pas nécessairement français. Tandis que laisser plus d'argent aux entreprises leur redonnera des marges. Cet argent leur permettra d'investir, d'embaucher, de former et de recruter, et d'exporter.
D.B. - Comment être sûr que les entreprises, vos 800 membres par exemple, embaucheront du personnel si on allège leur fiscalité ?
P.G. - Plusieurs patrons m'ont confié qu'ils embaucheraient bien deux ou trois personnes supplémentaires si les charges n'étaient pas si élevées. Je m'engage personnellement à ce qu'ils le fassent.
D.B. - Des négociations patronales-syndicales sans précédent débutent ce mois-ci en France et se poursuivront jusqu'en décembre. De quoi s'agit-il ?
P.G. - C'est le second volet du pacte de responsabilité. Cinq syndicats de salariés et trois syndicats patronaux vont négocier sur des thèmes du pacte : la modernisation et la simplification du dialogue social ainsi que la modernisation du marché du travail.
D.B. - Pourquoi un tel exercice maintenant ?
P.G. - Parce que l'économie française va très mal. Nous sommes à 0 % de croissance et 11 % de chômage.
D.B. - Pourquoi vos prédécesseurs au Medef n'ont-ils pas mené un dialogue social de cette envergure ?
P.G. - C'est un dossier sensible. Avec 11 % de chômage, la France n'a plus le choix. Elle doit regarder avec honnêteté sa place dans le monde. Mis à part les sociétés du CAC 40, nos entreprises exportent peu. La mondialisation de la France est très récente. Au Québec, parce que vous êtes plus petits, vous vous êtes intégrés plus rapidement au reste du monde.
D.B. - Les patrons français veulent-ils le dialogue social ?
P.G. - Bien sûr, mais un dialogue moins formel, plus direct, plus proche des salariés. Le dialogue social à la française est trop encadré et judiciarisé. On est arrivé à la fin de ce modèle.
D.B. - Vous voulez toutefois changer le contenu de ce dialogue...
P.G. - Oui, je veux intégrer le mot « économique ». Faire du dialogue social et économique. La France a trop longtemps mené un dialogue social indépendant du marché et des clients. Un dialogue soucieux de la protection des salariés, indépendamment de la santé des entreprises. Aujourd'hui, il faut parler d'adaptation permanente de l'outil de travail, de formation des employés et d'employabilité. Moi, comme entrepreneure, je ne sais pas faire de dialogue social lorsque je n'ai pas de clients et que je suis en perte. Il faut tout faire pour que les entreprises françaises aillent mieux et qu'elles aillent vite. Le défi consiste à faire comprendre aux partenaires sociaux que la France est en concurrence avec 150 pays.
D.B. - Vous désirez, entres autres, revoir les « seuils sociaux ». De quoi s'agit-il ?
P.G. - Ce sont les obligations sociales liées à l'augmentation du nombre d'employés. Par exemple, passer de 49 à 50 employés ajoute 35 obligations sociales. Il faut, entre autres, créer divers comités. Une entreprise de 50 employés aura 16 employés membres de comités qui doivent participer à des réunions. On peut simplifier, créer une seule instance, mener une seule réunion. Les seuils sociaux freinent l'embauche, les patrons en restent à 49 employés. Ce n'est pas un hasard si la France compte 2,5 fois plus d'entreprises de 49 personnes que de 50.
D.B. - Vous proposez un salaire minimum (SMIC) transitoire à un taux plus faible que le SMIC actuel. Pourquoi ?
P.G. - Le SMIC français coûte cher aux entreprises françaises. Le SMIC net, dans la poche des salariés, est de 1 100 euros par mois. Mais il coûte 1 850 euros aux entreprises, à cause des charges. Or, la France compte 3,3 millions de chômeurs, dont 1 million qui n'ont pas travaillé depuis deux ans. C'est dramatique. Il faut un SMIC transitoire - pendant six mois par exemple - plus faible ; l'écart serait comblé par l'État. Ainsi, le salarié conserve un pouvoir d'achat de 1 100 euros. Ma proposition a reçu une réponse politique : c'est inacceptable. Et on ne me propose rien en échange. J'ai l'intention de revenir à la charge.
D.B. - Quel rôle les entreprises jouent-elles dans la reprise ?
P.G. - En France, un rôle essentiel. Nos entreprises exportent peu, notre économie est peu intégrée à l'économie mondiale. Si elles retrouvent de l'air, elles pourront produire et exporter.
D.B. - De quoi l'économie française a-t-elle le plus besoin ?
P.G. - Les entreprises et leurs partenaires sociaux doivent retrouver le goût de la conquête. Devenir une France conquérante dans le monde.