En 2014, le Canadien National (CN) a affiché des résultats financiers et un rendement boursier enviables. Pourtant, son chef de la direction, Claude Mongeau, n'a pas touché sa pleine prime pour 2014.
«En dépit d'une année marquée par de solides résultats [...], en 2014, la Compagnie a connu une détérioration de ses indicateurs de sécurité quantitatifs par rapport à l'année dernière en partie en raison des mauvaises conditions hivernales», lit-on dans l'Analyse de la rémunération du CN. Le document annonce qu'en 2015, «les objectifs en matière de sécurité joueront un rôle encore plus déterminant dans le facteur de rendement du pdg».
Qu'on se rassure, M. Mongeau n'est pas menacé d'indigence. Les résultats commerciaux et financiers de son employeur lui ont valu une rémunération tout à fait adéquate l'année dernière. Mais il convient de souligner que le CN, comme un nombre encore limité mais croissant d'entreprises, a l'intelligence et le courage d'incorporer dans son régime de rémunération variable des éléments non financiers ; des éléments qui participent du vaste univers de la «responsabilité sociale».
Le CN n'est pas la seule entreprise à le faire. Des sociétés minières canadiennes comme Agnico Eagle et Goldcorp, tiennent compte de la performance en matière de sécurité du travail dans le calcul de la prime de leurs dirigeants.
À la multinationale Alcoa, 20 % de la rémunération incitative à court terme tient à trois éléments non financiers de la performance : la sécurité, l'environnement et la diversité. Ces facteurs font l'objet de mesures et de cibles quantifiées : jours d'absence ou d'activité restreinte pour la sécurité, tonnes de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l'environnement, progression de la proportion de femmes et de minorités chez les professionnels et les gestionnaires de la société afin de mesurer la performance en matière de diversité.
Maintenant que les entreprises se reconnaissent une responsabilité à l'endroit d'autres parties prenantes que leurs seuls actionnaires, il est normal que leur performance en matière de responsabilité sociale compte dans la rémunération de leurs dirigeants.
Dis-moi ce pour quoi tu paies...
Si bien intentionnés étaient-ils, les premiers régimes de bonification des dirigeants ont montré leur potentiel d'effets pervers.
On a découvert que, grâce à des régimes mal conçus, les dirigeants pouvaient parfois maximiser leur rémunération au détriment de l'intérêt des actionnaires. Des dirigeants ont manipulé le rythme de comptabilisation des bénéfices en fonction de leurs primes, ont induit en erreur des conseils d'administration quant au potentiel réel de leur entreprise afin de fixer des objectifs facilement atteignables, ont pris trop ou trop peu de risques, ont évité des projets prometteurs, mais «difficiles», ou ignoré le coût du capital.
Au fil du temps, les régimes de rémunération variable ont gagné en complexité et en sophistication, afin d'éliminer ces effets pervers et de faire coïncider au mieux l'intérêt des dirigeants avec ceux des actionnaires. Ce cheminement a aussi permis de constater que les régimes de rémunération sont le moyen pour les conseils d'administration de communiquer aux dirigeants quels comportements et quels résultats sont vraiment privilégiés. Si les «valeurs d'entreprise» sont autre chose qu'un exercice de relations publiques, elles doivent se traduire en valeur pour les dirigeants d'entreprise.
Aux États-Unis, nombre d'hôpitaux sont à but lucratif et sont parfois exploités par des sociétés inscrites en Bourse. Comme dans toute entreprise d'importance, une part de la rémunération des dirigeants est variable. Le plus souvent, cette «performance» se mesure encore en fonction de sa seule dimension financière.
Mais une pratique émergente intègre des mesures de qualité de soins et de satisfaction des patients au calcul de la rémunération incitative annuelle. Par exemple, pour les dirigeants de Tenet Healthcare et ceux de ses 77 hôpitaux, 25 % de la rémunération variable en espèces tient à des mesures comme le taux d'infections nosocomiales ou celui de réadmission des patients. Même le chef de la direction financière du groupe voit sa rémunération liée au taux de satisfaction des patients. Depuis 2014, 15 % de la rémunération incitative annuelle des dirigeants de Hospital Corporation of America (165 hôpitaux) est liée aux taux de diverses infections nosocomiales. Pour ces gestionnaires, le message est clair : la qualité n'est pas qu'un discours ; elle trouvera le chemin de votre portefeuille.
Cette pratique n'est pas encore généralisée, mais la pression des groupes de consommateurs rend sa progression incontournable.
On dit souvent que les dirigeants communiquent davantage par leurs gestes que par leurs mots. Dans la même logique, on peut affirmer qu'un conseil d'administration communique ses véritables priorités davantage avec des chèques de paie qu'avec des paroles. Non seulement les entreprises pour qui la responsabilité sociale est une vraie priorité mesureront leur performance à cet égard, mais elles en tiendront compte dans la rémunération de leurs dirigeants.
Comme disent les anglophones : «Put your money where your mouth is !»
Biographie
Robert Dutton est le tout premier entraîneur en résidence de l'École d'entrepreneurship de Beauce (EEB). Pendant 20 ans, il a assuré la direction de Rona à titre de président et chef de la direction. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant canadien de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage. Après un passage aussi marquant que remarquable comme entrepreneur-entraîneur, Robert Dutton a décidé d'accompagner les entrepreneurs-athlètes de façon plus assidue, au sein de l'EEB.