La rémunération des dirigeants d'entreprise est sous les projecteurs depuis un bon moment. La performance des pdg justifie-t-elle le coût ? Les résultats de l'étude «Pratiques et tendances des conseils d'administration au Québec», publiée cette semaine, laissent penser qu'il est désormais pertinent de se poser la même question à propos de la rémunération des administrateurs.
À lire aussi:
Femmes et CA
En 2007, si vous siégiez au conseil d'administration d'une entreprise québécoise inscrite à l'indice TSX de la Bourse de Toronto, vous pouviez vous attendre à une rémunération médiane de 54 174 $. En 2013, celle-ci avait grimpé à 102 148 $, soit une hausse de 88,6 % révèle l'étude intitulée «Pratiques et tendances des conseils d'administration au Québec», publiée cette semaine par l'Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques (IGOPP) et la firme internationale de recrutement Spencer Stuart. Cette étude répertorie les pratiques des CA des 50 plus importantes sociétés québécoises inscrites à la Bourse TSX. Une hausse de 88,6 %, c'est presque trois fois plus que l'augmentation enregistrée dans les entreprises canadiennes de l'indice TSX au cours de la même période. Au Québec, ce sont les entreprises affichant un chiffre d'affaires de 5 milliards de dollars et plus qui ont accordé les augmentations les plus généreuses, avec un bond de 180 %.
Cette hausse de 88,6 % représente-t-elle de l'argent bien investi ? Des administrateurs mieux payés sont-ils nécessairement plus performants ? Créent-ils plus de valeur pour l'entreprise ? Accompagnent-ils mieux la direction ? Offrir une rémunération plus élevée est-il une garantie pour attirer de meilleurs candidats ?
Aucune donnée probante ne permet de trancher. Mais la question est ouverte et nous en avons parlé avec plusieurs experts.
Pour savoir si ces entreprises québécoises ont gagné à accroître la rémunération de leurs administrateurs de façon significative, il faut d'abord savoir pourquoi elles l'ont fait. Or, trois raisons peuvent motiver une augmentation de la rémunération des CA.
Page suivante: Améliorer la grille de rémunération
Améliorer la grille de rémunération
Premier scénario, la correction d'une situation inéquitable. Les données comparatives indiquent que vous sous-payez vos administrateurs ; vous intervenez. Mais autour de la table, ce sont les mêmes administrateurs ; seule leur rémunération a changé. L'entreprise a-t-elle gagné quelque chose ? Des administrateurs mieux payés fourniront-ils une meilleure contribution du jour au lendemain ? Feront-ils preuve de plus de diligence ?
Les avis sont partagés. Michel Nadeau, directeur général de l'IGOPP, s'inquiète de l'effet «cage dorée». «Lorsque la rémunération d'un administrateur occupe trop de poids dans son revenu global, il peut perdre un peu d'indépendance. Il souhaitera davantage conserver son poste et sera moins enclin à remettre en question les décisions de la direction.»
Richard Leblanc, professeur associé en droit, éthique et gouvernance à l'Université York, affirme qu'il n'existe aucune donnée établissant un lien entre la rémunération d'un administrateur et son rendement ou la performance de l'entreprise.
Jérôme Piché, associé directeur du bureau montréalais de Spencer Stuart, apporte une nuance : «Nous sommes des humains. Siéger à un CA devient de plus en plus exigeant. Et le temps n'est pas élastique. On peut passer des heures à fouiller ses dossiers ou consacrer ces heures à autre chose. La rémunération peut influer sur notre choix.»
À lire aussi:
Femmes et CA
Rehausser la qualité des décisions stratégiques
Passons au deuxième scénario. L'entreprise augmente la rémunération de ses administrateurs pour attirer des candidats de plus grande qualité et améliorer ainsi ses décisions stratégiques. Elle estime que la rémunération actuelle représente un frein. «Dans cette situation, vous faites un acte de foi, dit Hugues Lacroix, de Lacroix Groupe Conseil. Vous supposez qu'en majorant la rémunération, vous augmentez votre potentiel d'acquisition de talents.» C'est possible... à condition de resserrer votre processus de sélection, juge le consultant en gouvernance. «Vous passez du mode aspirateur au mode ventilateur», illustre-t-il. Lorsque vous payez peu, le défi consiste à attirer le plus de candidats possible. D'où l'aspirateur. Lorsque vous payez bien, il faut repousser les candidats indésirables pour ne conserver que la crème. D'où le ventilateur.
«Quand vous offrez 100 000 $, vous avez intérêt à choisir comme il faut ! insiste Michel Nadeau. Et vous êtes en droit d'attendre plus de professionnalisme et d'effort de formation de la part de vos recrues.»
Comme pour les pdg, il existe des «administrateurs vedettes». C'est souvent pour les attirer qu'on augmente la rémunération du conseil. Mais les entreprises en ont-elles pour leur argent avec ces stars ? Une question délicate. «Certains administrateurs "louent" leur nom, prévient Richard Leblanc. Payer pour avoir une vedette sur votre conseil, c'est souvent gaspiller votre argent.»
Sans compter que vous faites de la discrimination envers les femmes, poursuit-il. Car moins de femmes ont de gros noms. «Créent-elles moins de valeur pour autant ? Absolument pas !»
Au-delà du nom, il y a l'expertise. «Un bon expert contribue souvent plus concrètement aux dossiers qu'un administrateur vedette», avance Richard Leblanc. Un CA compose désormais avec des enjeux que certains administrateurs vedettes, souvent d'une autre génération, maîtrisent mal. On peut citer, entre autres, la cybersécurité et les risques réputationnels liés aux médias sociaux. Pour ces dossiers, l'expert pourrait apporter plus de valeur. «Mais, s'il est vraiment bon, il s'attendra à être rémunéré en fonction de son talent. Cela peut devenir un enjeu de recrutement au même titre que pour les administrateurs vedettes», tempère Jérôme Piché.
L'administrateur de renom contribue autrement, renchérit Hugues Lacroix. «Il interviendra peut-être peu en réunion. Mais, derrière le rideau, il prodiguera au pdg des conseils stratégiques qui valent leur pesant d'or.»
Pour obtenir le résultat escompté dans le deuxième scénario - un conseil qui crée plus de valeur - il faut pouvoir isoler la cause de l'effet. «Je constate qu'on trouve des candidats de grande qualité dans le CA des grandes sociétés et que celles-ci paient davantage leurs administrateurs», dit Jérôme Piché. Mais comment distinguer l'impact de la taille de l'entreprise de celui de la rémunération ? Qu'est-ce qui attire vraiment les administrateurs de qualité dans les grandes entreprises : le défi, le prestige et la complexité associés à la taille de l'organisation, ou la rémunération plus élevée ?
Si c'est le premier élément, alors les petites sociétés gaspillent leur argent en augmentant beaucoup la rémunération de leurs administrateurs pour attirer des vedettes. Quoi qu'elles fassent, elles n'auront jamais l'aura d'une grande entreprise. Ce qui ne signifie pas que les petites sociétés n'attireront pas d'administrateurs de qualité. Simplement que, parmi ceux qu'elles visent, certains aspirent à autre chose.
À lire aussi:
Femmes et CA
Assurer une croissance internationale
Reste le troisième scénario. L'entreprise augmente la rémunération de ses administrateurs pour attirer davantage d'administrateurs étrangers. C'est un enjeu réel pour les entreprises de cette étude. Elles veulent croître. Et la croissance passe souvent par les marchés étrangers. «Les entreprises québécoises se montrent bien plus accueillantes pour les administrateurs étrangers que les entreprises canadiennes, constate Michel Nadeau. Nous avons une meilleure réputation de diversité géographique que le Canada.» D'ailleurs, au fil des ans, le nombre de Québécois siégeant aux CA de sociétés canadiennes diminue.
En 2013, 39 % des nouveaux administrateurs nommés par les 50 plus grandes entreprises québécoises du TSX n'étaient pas des résidents canadiens. Ce qui porte la proportion des administrateurs non-résidents canadiens dans ces entreprises à 19 %. L'administrateur qui vient de l'Asie ou de la Californie pour assister à une réunion assume des frais que celui qui n'a qu'à traverser la rue ou la ville n'a pas à absorber. C'est pourquoi les entreprises ont des politiques de remboursement des dépenses. Mais cela ne compense pas le manque à gagner ni le temps de travail perdu.
Qu'est-ce qui pousse un administrateur à siéger au CA d'une entreprise étrangère ? Il y a un certain prestige à siéger au CA d'une entreprise étrangère, même si elle paie moins, avance Michel Nadeau. Le temps perdu demeure toutefois une réalité. On en arrive à ouvrir la boîte de Pandore... Tous les administrateurs devraient-ils recevoir la même rémunération ?
Il existe déjà des écarts, mais ils tiennent à des différences mesurables. Le président du conseil ainsi que les présidents des comités reçoivent une rémunération supplémentaire. Payer selon la distance ou le rendement, cela ne se fait pas ici. Mais cela se discute aux États-Unis, indique Richard Leblanc. Toutefois, il faut une évaluation juste de la performance de chacun.
Au Canada, depuis 2005 , toutes les commissions des valeurs mobilières, incluant l'Autorité des marchés financiers, appliquent la politique «se conformer ou expliquer» à propos de l'évaluation des conseils d'administration (politique 58-101). Cette politique prescrit que les sociétés cotées doivent évaluer leurs administrateurs et publier le résultat de cette évaluation dans leur circulaire ou dans leur rapport annuel. Si elles ne le font pas, elles doivent justifier pourquoi. Cela demeure une pratique peu répandue, commente Richard Leblanc. «Dans les équipes de sport, on sait quels joueurs marquent des points et lesquels en marquent moins, souligne-t-il. Les CA devraient s'en inspirer et augmenter leur niveau de transparence.» Cela viendra, croit Jérôme Piché. «On évalue davantage les administrateurs aux États-Unis, parce que l'idée a surgi depuis plusieurs années déjà.» Bref, il faut en parler et l'apprivoiser avant de le faire.
Un acte de foi
Les grandes sociétés québécoises du TSX ont-elles eu raison d'augmenter de 88,6 % la rémunération médiane de leurs administrateurs depuis 2007 ? En ont-elles pour leur argent ? C'est un acte de foi, comme le dit Hugues Lacroix. Une meilleure rémunération augmente le bassin de candidats. Mais si l'objectif est de constituer un CA de rêve, une équipe d'attaque qui pousse la direction à se dépasser plutôt qu'une bonne équipe de défense qui pose des pare-feu, la rémunération devient un facteur parmi d'autres.
En 2013, la rémunération médiane d'un administrateur des plus grandes sociétés québécoises inscrites à la Bourse de Toronto était de 102 148 $. En 2007, la médiane était de 54 174 $
Les entreprises québécoises du secteur des mines et de la construction sont celles qui rémunèrent le mieux leurs administrateurs, leur rémunération médiane s'élevant à 199 475 $.
Près de 7 entreprises sur 10 (68 %) donnent le choix à leur administrateur de recevoir leur rémunération sous forme de titres.
Profils des présidents de conseils - Québec, 2013
› 36 % Le président du conseil est un ancien chef de la direction qui ne provient pas de l'industrie.
› 4 % Le président du conseil est un ancien chef de la direction qui provient de la même industrie.
› 4 % Le président du conseil n'est pas indépendant, mais il n'est pas l'ancien chef de la direction.
› 18 % Le président du conseil est aussi le chef de la direction.
› 24 % Le président du conseil est l'ancien chef de la direction.
› 14 % Autres profils.
Médiane de la rémunération globale des administrateurs
Québec 2007 : 54 714 $
› Argent 77 %
› Actions 13 %
Québec 2013 : 102 148 $
› Argent 56 %
› Actions 44 %
Canada 2013 : 172 000 $
› Argent 64 %
› Actions 36 %
À lire aussi:
Femmes et CA