L'Australienne Vanessa Hall est la fondatrice d'Entente, dont la mission consiste à rebâtir la confiance au sein des familles, des communautés et des organisations. Vanessa Hall intervient régulièrement dans les entreprises. Elle sera à Montréal les 21 et 22 mai, pour lancer le «Mouvement international de la confiance», lors du premier Sommet international de la confiance dans les organisations.
Diane Bérard - Vous avez commencé votre carrière au service de conformité, à faire respecter les lois. Pourquoi avez-vous migré vers la confiance ?
Vanessa Hall - J'ai commencé à me demander pourquoi nous avions besoin de lois. Elles existent pour pallier le manque de confiance. Si nous avions plus confiance les uns envers les autres et dans les organisations, il y aurait moins de lois. Et puis, la loi ne règle pas tout. Même si une entreprise ou un dirigeant la respecte, cela ne signifie pas qu'ils sont dignes de confiance.
D.B. - Comment définissez-vous la confiance ?
V.H. - C'est le sentiment qu'on a de la capacité d'une personne, d'une organisation, d'un produit ou d'un service de fournir les résultats auxquels on s'attend.
D.B. - Selon le modèle que vous avez développé, pour être digne de confiance, une entreprise doit gérer trois facteurs : les attentes, les besoins et les promesses. Commençons par les attentes.
V.H. - Nos attentes face à une entreprise reposent sur ce qu'on a lu, ce que la publicité nous en a dit, ce que d'autres nous ont raconté et les expériences que nous avons eues avec des entreprises similaires. Bref, une entreprise doit composer avec les attentes qu'elle a créées volontairement et involontairement.
D.B. - Nous reste-t-il des attentes à l'égard des entreprises ? Ne les a-t-on pas considérablement réduites ?
V.H. - Vous avez raison. Mais une entreprise perd autant si les attentes à son égard sont trop basses que lorsqu'elles sont trop élevées. Prenez celles du personnel. Si un employé s'attend à être mal traité, il ajustera son comportement à la baisse. C'est aussi dommageable qu'un employé trop enthousiaste qui est déçu.
D.B. - Et quels besoins les entreprises ont-elles à gérer ?
V.H. - Ceux de leurs actionnaires, de leurs employés, de leurs clients, etc. Pour les besoins, comme pour les attentes, le piège du «trop» guette les entreprises. Parfois, vous remplissez trop bien un besoin chez un certain groupe. Il faut alors gérer les attentes que vous avez créées, sinon vous perdrez la confiance de ce groupe. Imaginons une organisation très innovante. Elle attire un certain type de clients, friands de nouveautés. Supposons que le rythme de lancement de nouveaux produits diminue. Il faut alors trouver une autre façon d'assouvir le besoin de primeurs de ces clients. Parfois, il faut découvrir le «besoin derrière le besoin», pour gérer les attentes que vous n'arrivez plus à combler.
D.B. - Qu'en est-il des promesses ?
V.H. - Elles prennent deux formes, les promesses explicites et les promesses implicites. Les premières se retrouvent clairement dans tous vos documents. Les secondes se révèlent plus diffuses : il peut s'agir de la décoration de vos locaux, du langage non verbal de vos employés, etc. Il est bien plus facile de gérer l'insatisfaction face aux premières qu'aux secondes. Lorsqu'on estime qu'une promesse explicite est bafouée, on se plaint avec preuves à l'appui. Quand une promesse implicite est brisée, on n'a rien sur quoi s'appuyer. Alors, on ne se plaint pas à l'entreprise... on étale plutôt notre perte de confiance autour de nous. Et l'entreprise n'en sait rien ou l'apprend trop tard, lorsque le mal est fait.
D.B. - La meilleure façon de gérer les attentes des employés consiste à gérer celles-ci avant que ces employés deviennent vos employés... Expliquez-nous.
V.H. - Tout se joue en entrevue d'embauche. Demandez au candidat d'énoncer clairement ce qu'il attend de son gestionnaire et de son employeur. Essayez de découvrir ce qui compte le plus à ses yeux. Faites-lui écrire des mots clés sur un carton pour qu'il se commette vraiment. Fouillez bien pour trouver les vrais besoins qui se cachent derrière les affirmations du candidat.
D.B. - Quel est le principal obstacle à la confiance dans les organisations ?
V.H. - C'est la peur. Plusieurs gestionnaires sont mus par la peur. Pour l'apaiser, ils ont besoin de contrôler. La confiance ne peut cohabiter avec le contrôle. Un gestionnaire contrôlant ne fait pas confiance à ses employés. Et, bien sûr, ceux-ci ne lui font pas confiance non plus.
D.B. - Nous achetons tous les jours des articles fabriqués par des sociétés dans lesquelles nous n'avons pas confiance ou qui sont dirigées par des pdg qui ne nous inspirent pas. Alors, pourquoi les entreprises devraient-elles s'inquiéter ?
V.H. - Vous confondez aimer et faire confiance. On peut faire confiance à un fabricant ou à un employeur sans pour autant l'aimer. Vous pouvez acheter un produit sans enthousiasme, parce qu'il répond à un besoin. Vous pouvez travailler pour un employeur parce qu'il vous offre un bon salaire, vous fournit une auto ou vous donne un mois de vacances. Au travail, en affaires, il est bien plus important d'attirer la confiance que de se faire aimer. En fait, 90 % des gens préfèrent traiter avec quelqu'un qu'ils n'aiment pas mais en qui ils ont confiance que l'inverse.
D.B. - En affaires, dites-vous, être digne de confiance importe plus que d'être aimé. Expliquez-nous.
V.H. - Les affaires sont les affaires. Dès que vous mettez les pieds au bureau, vous avez un rôle à jouer. Vous devez bâtir la confiance autour de vous pour que les dossiers progressent, que les objectifs soient atteints et que les attentes soient comblées. Trop de gestionnaires ne se rendent pas compte de ce à quoi ils s'engagent en acceptant un poste de gestion.
D.B. - Cette maxime devrait aussi guider les employeurs au moment de l'embauche...
V.H. - En effet, la plupart des employeurs recrutent des gens qu'ils aiment plutôt que des candidats en qui ils ont confiance. «Il a l'air gentil.» Retenez plutôt les candidats fiables. Énoncez-leur clairement vos attentes liées au poste. Vérifiez s'ils ont déjà satisfait de telles attentes par le passé. Puis, après avoir vérifié si vous pouvez leur faire confiance, assurez-vous que vous pourrez mériter leur confiance. Sondez les attentes des candidats face à leur gestionnaire et leur employeur.
D.B. - Quelle est la pire stratégie pour rebâtir la confiance ?
V.H. - Les gestionnaires ont tendance à lancer des promesses pour apaiser la grogne, pour gagner du temps. Ils ne se projettent pas dans l'avenir. Ils ne prennent pas conscience de ce qui les attend s'ils ne répondent pas aux attentes. Les divers publics des entreprises sont impitoyables.
D.B. - Comme consultante, quels mandats vous posent le plus grand défi ?
V.H. - Les mandats dans les institutions financières. Lorsqu'elles me demandent de rebâtir la confiance, elles ne veulent pas un exercice en profondeur. Elles réclament une solution rapide qui doit passer par les processus. Or, lorsque la confiance est rompue, les gens sont en colère. Ils sont déçus et très émotifs. On ne règle pas ça en implantant des processus.