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La gouvernance au coeur de la modernisation législative

Par Benoîte Labrosse


Édition du 28 Février 2015

Le Code des professions, la loi-cadre du système professionnel québécois, est entré dans une période de grande transformation. Une révision en profondeur de cette législation en vigueur depuis 1973 devrait être présentée à l'Assemblée nationale ce printemps. Son adoption aura des répercussions sur les 371 000 praticiens des 53 professions réglementées.


Les premières modifications au Code, adoptées en décembre, concernent la gouvernance des 45 ordres professionnels. L'un des principaux ajouts est la possibilité d'élire les membres de leur conseil d'administration «au moyen du vote électronique».


Si plusieurs sont encore à examiner l'application de cette mesure, certains sont impatients de l'implanter. «Ce changement au Code est une demande traditionnelle de la Chambre des notaires du Québec», souligne le président de la Chambre des notaires du Québec, Gérard Guay. «Nous sommes très contents de son adoption, même si nos amis du Barreau vont pouvoir en bénéficier avant nous !» D'ici leurs prochaines élections, les notaires mettront en oeuvre les modifications apportées à la Loi sur le notariat, dont une réforme du cursus scolaire.


Le Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ), qui regroupe les 45 ordres et agit à titre d'organisme-conseil auprès du gouvernement, est lui aussi «tout à fait satisfait» de ces changements législatifs. «C'est un premier pas important qui va dans le sens de nos recommandations et qui préfigure bien pour la suite», résume Jean-François Thuot, directeur général du CIQ.


Il affirme que «dans la modernisation du Code, la priorité est de s'assurer que la gouvernance des ordres reflète les bonnes pratiques sur le plan de la compétence, de l'efficacité, de la transparence et de l'intégrité des administrateurs». D'ailleurs, l'augmentation de la proportion d'administrateurs issus du public au sein de leur CA figure parmi les 60 recommandations faites par le CIQ. «Diriger un ordre requiert des expertises diversifiées présentes au sein de la société, explique M. Thuot. Cela permettra aussi une plus grande transparence des ordres.»


Améliorer les mécanismes disciplinaires


Dans le même ordre d'idée, le CIQ souhaite que les syndics des ordres bénéficient d'outils supplémentaires afin de mieux effectuer leur travail d'enquête auprès de professionnels soupçonnés d'avoir dérogé à leur code de déontologie. Il estime que les sanctions imposées aux fautifs devraient être revues à la hausse, «pour les rendre un peu plus conformes aux attentes de la population».


Une vision partagée par l'Ordre des technologues professionnels du Québec (OTPQ), qui espère une amélioration de l'efficacité des mécanismes disciplinaires. «Dans certains cas, une décision peut traîner durant des mois ou des années», fait remarquer le président de l'OTPQ, Alain Bernier. «C'est déraisonnable, et ça nous fait perdre la confiance du public.»


Cette perception rejoint celle du président de l'Office des professions du Québec, Jean Paul Dutrizac. Ce dernier a décliné la demande d'entrevue de Les Affaires, mais a récemment expliqué au Devoir qu'une entité serait bientôt créée pour assurer la surveillance des conseils disciplinaires des ordres. M. Dutrizac se dit «convaincu» que ce nouveau bureau des présidents de conseil de discipline «va permettre un traitement plus efficace des plaintes et une plus grande transparence».


Les suites de la commission Charbonneau


Plusieurs professionnels estiment que la publication prochaine du rapport de la commission Charbonneau devrait instaurer un climat propice à l'amélioration des mesures disciplinaires. «En attirant l'attention sur des manquements éthiques et déontologiques de membres d'ordres professionnels, la commission Charbonneau a mis en lumière des limites dans les outils qui doivent leur permettre de remplir leur mandat de protection du public», note Jean-François Thuot. C'est pourquoi le CIQ a bon espoir de voir le gouvernement donner suite à sa recommandation de permettre aux syndics des ordres de mener des enquêtes multidisciplinaires.


Une autre «conclusion logique» de la commission serait d'obliger tous ceux qui participent au processus de conception, d'inspection et de suivi des projets de construction et de travaux publics à être membres d'un ordre professionnel. «Si l'ingénieur ou le directeur du projet doit travailler avec d'autres professionnels, dont le code de déontologie interdit de collaborer à des actes immoraux ou illégaux, il va falloir qu'il se retienne de déraper», illustre Alain Bernier, en soulignant que c'est déjà le cas dans le secteur de la santé.


Le corollaire de cette suggestion est la révision des concepts de titre et d'activité réservés. Actuellement, les membres de plusieurs ordres - dont les technologues, les conseillers en ressources humaines et les urbanistes - bénéficient d'un titre réservé, mais pas de l'exclusivité de leurs actes professionnels. L'adhésion à ces ordres est volontaire et n'a aucun impact sur leur droit de pratique. «Selon le Code des professions, si un ordre est créé, c'est parce qu'il y a des préjudices potentiels élevés pour les citoyens», fait valoir le président de l'OTPQ. «Sauf que nous ne pouvons pas garantir la protection du public si seuls les gens de bonne volonté se soumettent aux règles d'un ordre et que nous n'avons aucune emprise sur les délinquants, qui peuvent continuer à travailler !»


C'est pourquoi l'OTPQ travaille depuis 2008 à un projet de loi qui moderniserait les lois spécifiques de cinq ordres - ingénieurs, chimistes, agronomes, géologues et architectes - tout en définissant le partage des actes réservés avec les technologues de ces disciplines. «La logique est celle du système de santé, où plusieurs professionnels appliquent le plan de traitement établi par le médecin, explique Alain Bernier. L'idée est de reconnaître la pleine valeur des nombreux assistants de haut niveau qui ont des diplômes collégiaux.» L'OTPQ a bon espoir de voir cette loi adoptée vers la fin de 2015.