lesaffaires

Traiter la paralysie en s'inspirant des salamandres

Par Benoîte Labrosse


Édition du 27 Août 2015

Si une salamandre arrive à régénérer ses cellules endommagées, pourquoi les humains n'y parviendraient-ils pas ? C'est la réflexion que s'est faite le Dr Jan-Eric Ahlfors il y a une douzaine d'années en décidant que son entreprise, New World Laboratories (NWL), de Laval, allait se consacrer à la «médecine régénérative».


À lire aussi:
Une solution pour augmenter les rendements de façon naturelle
La moutarde qui fait voler des avions
Boucler la boucle grâce aux microalgues
Des tubes miniatures qui font grande impression


«Nous travaillons sur deux technologies inspirées des salamandres - une matrice de régénération et des cellules souches reprogrammables - qui, une fois combinées, permettent aux tissus endommagés de se régénérer», résume Jan-Eric Ahlfors.


Les travaux de NWL se concentrent sur les lésions de la moelle épinière qui laissent les patients paralysés. «La superficie des blessures à réparer est plus petite que celle d'un pied ou d'une main amputés, mais l'effet sur la vie des gens est important, souligne le scientifique. Et comme c'est un grand défi de recréer tous les types de cellules que contient la moelle épinière, si ça fonctionne dans ce contexte, ce sera beaucoup plus facile de croire que ça va aussi fonctionner ailleurs.»


Une vision partagée par Louis Saint-Jacques, directeur général du Centre québécois d'innovation en biotechnologie, l'incubateur qui gère les laboratoires loués par NWL. «Si leur technologie fonctionne, elle représentera une grande avancée scientifique mondiale, dit-il. Elle donnera de l'espoir à de nombreuses personnes atteintes de maladies incurables.»


Les Russes «à l'aise avec cette science-fiction»


Il y a près de deux ans, NWL a entrepris ses premiers essais cliniques sur des patients paralysés à Moscou, dans un institut de recherche fédéral russe.


«Nous avions de la difficulté à trouver des investisseurs, car notre technologie sonnait comme de la science-fiction aux oreilles de tous, raconte Jan-Eric Ahlfors. Le gouvernement russe, qui a 30 ans d'expérience dans le domaine des cellules souches, était à l'aise avec cette science-fiction et voulait la tester. Il a donc investi du temps en formalités administratives et l'équivalent de 20 millions de dollars pour supporter les coûts des essais cliniques.»


En échange, quand les produits seront commercialisés, le gouvernement russe les obtiendra à moitié prix.


Des essais cliniques se tiendront également au Québec et au Canada dès que NWL aura obtenu les autorisations nécessaires. Ce qui pourrait prendre un certain temps, car, selon Louis Saint-Jacques, «en Amérique du Nord, c'est beaucoup plus réglementé» qu'ailleurs.


«C'est un véritable combat d'obtenir des autorisations pour tester une technologie qui est tellement nouvelle que personne ne sait comment réagir, se désole M. Ahlfors. Il est beaucoup plus facile de recevoir l'autorisation de tester un 27e antidouleur, alors que ça devrait être le contraire.»


À lire aussi:
Une solution pour augmenter les rendements de façon naturelle
La moutarde qui fait voler des avions
Boucler la boucle grâce aux microalgues
Des tubes miniatures qui font grande impression


Ce «chemin de croix administratif» n'empêche toutefois pas l'entreprise fondée aux États-Unis d'apprécier sa patrie d'accueil. «Investissement Québec est venue nous chercher en 2007 en nous disant qu'il y avait beaucoup de recherche universitaire sur les cellules souches au Canada, que nous pourrions faire deux à trois fois plus de R-D par dollar qu'au Massachusetts, mais surtout, qu'il n'y avait aucune compétition dans notre domaine», note le pdg et fondateur de NWL.


Il se souvient que, dans la région de Boston, les autres entreprises «tentaient de débaucher nos employés et de voler des secrets industriels en enregistrant les conversations à l'heure du lunch», une situation inédite au Québec.


Louis Saint-Jacques confirme : «Notre taux de rétention de main-d'oeuvre est nettement plus élevé qu'aux États-Unis, ce qui procure de la stabilité aux entreprises».


Des résultats au-delà des attentes


NWL se réjouit des résultats de ses essais cliniques russes, qui démontrent que les patients réagissent positivement au traitement. Même que les effets obtenus «sont en fait meilleurs que ce à quoi nous nous attendions», selon Jan-Eric Ahlfors.


«En laboratoire, nous avons testé la matrice et les cellules souches reprogrammables sur des blessures profondes - où la peau et les muscles ont été coupés -, et ça a marché. Nous aurions dû nous y attendre, parce que cela fonctionne chez la salamandre, mais nous ne sommes jamais réellement préparés à voir ce que nous imaginons fonctionner pour vrai. C'est un sentiment difficile à décrire !»


L'entreprise prévoit lancer d'autres essais cliniques pour permettre l'utilisation de sa biotechnologie dans le traitement de différents problèmes de santé, que ce soit les accidents vasculaires cérébraux, la sclérose latérale amyotrophique ou les maladies dégénératives du cerveau.


«Il devient de plus en plus évident que tous les organes du corps humain dépendent de cellules souches spécifiques pour fonctionner, fait valoir Jan-Eric Ahlfors. Plusieurs études ont montré que, s'il était possible d'avoir davantage de ces cellules souches spécifiques, cela aiderait les organes à se régénérer et, donc, à rester sains.»


Des applications biotechnologiques prometteuses mises au point au Québec


La biotechnologie apporte des solutions novatrices dans de nombreux secteurs économiques, comme l’agroalimentaire, l’énergie, la santé, l’environnement et les procédés industriels. Découvrez des entreprises québécoises qui ont mis au point des applications biotechnologiques ayant un fort potentiel.


À lire aussi:
Une solution pour augmenter les rendements de façon naturelle
La moutarde qui fait voler des avions
Boucler la boucle grâce aux microalgues
Des tubes miniatures qui font grande impression