Ève-Lyne Biron le souligne : ce n'est ni la maladie, ni l'épuisement, ni une chicane de famille qui la motive à céder la présidence de Biron Groupe Santé à sa soeur Geneviève, le 1er septembre prochain. Après 25 ans passés à travailler dans l'entreprise familiale fondée par son père en 1952, dont presque 20 à la présidence, la femme d'affaires de 49 ans a besoin de se mesurer à d'autres défis.
«Je ne quitte pas dans le but de me trouver un autre emploi de présidente ailleurs, pas du tout. Mais je pense que j'aimerais mettre à contribution cette richesse que m'ont donnée les 25 dernières années. J'aimerais le faire dans d'autres milieux que celui que je connais beaucoup, afin de m'ouvrir d'autres horizons. J'ai déjà accepté certains engagements qui me permettent de redonner de l'expérience que j'ai acquise», dit celle qui siège à quelques CA, soutient des OSBL et enseigne à l'École d'entrepreneurship de Beauce.
Ève-Lyne Biron aime le mentorat et elle adore le contact avec les étudiants et les jeunes entrepreneurs. «Ils sont assoiffés d'écouter, de vérifier si leur perception des choses est la bonne, de voir comment ils peuvent éviter certaines problématiques, trouver des solutions. Entendre des gens qui ont de l'expérience et du vécu les touche directement. Je trouve ça hyper-gratifiant de pouvoir redonner alors que j'ai encore beaucoup d'énergie», dit-elle, sans pour autant avoir déterminé la nature exacte de son avenir professionnel.
À court terme, elle prendra une pause, davantage de temps de réflexion, et surtout, du temps avec ses trois enfants de 12, 17 et 21 ans.
«C'est quand même exigeant, 25 ans dans une entreprise comme Biron, affirme celle qui a fait grimper le chiffre d'affaires de 5 à 50 M$ et le nombre d'employés de 120 à 675. Je n'ai pas eu de congé de maternité ou à peine, je n'ai jamais fait d'arrêt, alors je pense que c'est le moment de le faire et de regarder ensuite d'autres projets.»
Elle insiste : il s'agit d'un choix très personnel. Et elle est convaincue que ce choix est sain pour l'entreprise, dont elle est coactionnaire avec ses soeurs Geneviève, 44 ans, présidente de la division Imagix, et Caroline, 48 ans, vice-présidente de Prival, une entreprise de technologies de l'information dirigée par son conjoint.
«À un moment donné, c'est correct qu'il y ait du sang neuf, de nouvelles idées et de nouvelles façons de faire à la tête de l'entreprise. C'est d'autant plus intéressant que ça reste dans la famille. Geneviève connaît aussi bien que moi les rouages de l'organisation, car elle est dans l'entreprise depuis aussi longtemps que moi.»
Pour Ève-Lyne Biron, ce changement à la présidence de l'entreprise est comparable à celui qu'ont fait les Lemaire chez Cascades, quand en 2003, Laurent a cédé sa place à son frère Alain.
Une longue réflexion
Au début, l'idée de partir lui semblait farfelue, car elle était animée par un fort sentiment de responsabilité à l'égard de l'entreprise héritée de son père. Il lui a fallu presque deux ans pour apprivoiser cette possibilité et trois autres pour passer à l'action.
«Les plus grandes décisions prennent beaucoup de temps. C'est ce que je dis aux jeunes entrepreneurs. Les gens veulent des résultats rapides, mais il y a des décisions qui prennent du temps. C'est normal et c'est correct. La réflexion avance et des choses arrivent dans la vie qui confirment ou qui infirment qu'on prend la bonne décision. Il ne faut jamais perdre de vue l'objectif. Le processus peut être long, dévier un peu, mais si on ne perd pas l'objectif de vue, on va toujours y arriver.»
Outre la responsabilité du bien familial, Ève-Lyne Biron a dû faire face à un autre enjeu de taille.
«Le plus difficile dans ma situation, c'était de reconnaître que j'avais autre chose à donner. J'avais passé tant d'années à faire la même chose que j'avais du mal à m'imaginer faire autre chose. L'idée de laisser la fonction et le prestige qui vient avec n'était pas un enjeu pour moi, mais entrevoir ce que je pouvais faire m'a pris du temps. Mes amis m'ont dit à quel point c'était extraordinaire, ce que j'avais réalisé, et puis j'ai fini par me dire que si j'avais réussi ça, je devrais pouvoir réussir quelque chose d'autre. Ça peut paraître surprenant, mais c'est une question de confiance en soi...»
Croissance de deuxième génération
Ève-Lyne Biron part avec «un très fort sentiment du devoir accompli» et avec la fierté d'avoir assuré la longévité de l'entreprise.
«Ma plus grande réalisation, à mon avis, est d'avoir réussi la transition à la deuxième génération. Ce n'était pas gagné d'avance. Je suis fière aussi d'avoir réussi à créer autant d'emplois et d'avoir maintenu la culture familiale dans une entreprise qui grossissait», dit celle qui s'est allié une équipe très loyale, dont neuf membres de la direction qui ont passé une dizaine d'années à ses côtés. «C'est difficile de les quitter», admet-elle.
Si elle pouvait refaire son parcours, Ève-Lyne Biron prendrait le temps d'aller travailler ailleurs avant de prendre la relève de son père, histoire de gagner de l'expérience et de s'ouvrir à d'autres manières de faire. Sinon, pas de regrets.
Autour d'elle, les gens soulignent le courage dont elle fait preuve pour changer de cap. Et elle sent que ça lui en a pris pour sauter dans le vide. Mais elle est sereine et sourit à l'idée de voyager plus et de reprendre le temps de jouer au golf, sa première passion, qui l'a menée à l'équipe canadienne de 1989 à 1992.
«Je vis bien avec l'inconnu, les défis, un peu d'incertitude. C'est intéressant, quand on fait un choix de carrière comme celui-là, de ne pas être rendue à l'épuisement pour choisir. On prend ainsi de meilleures décisions. Je suis contente de choisir en toute lucidité, avec une énergie abondante à investir dans plein d'autres projets.»