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C'est à Fermont, avec la mine de fer du Mont-Wright en arrière-plan, que le gouvernement Charest a donné le coup d'envoi du Plan Nord, en mai 2011. Cette ville minière de la Côte-Nord de même que les villes plus au sud comme Sept-Îles et Port-Cartier ont été les premières à goûter au boom minier, qui suivait celui du chantier hydroélectrique de la Romaine. Mais moins de deux ans plus tard, alors que le prix du fer s'est mis à descendre, le boom a fait place à un sérieux ralentissement économique. Comment la région, à qui on a beaucoup promis et demandé, s'en tire-t-elle ? À l'aube d'une relance du Plan Nord par le gouvernement de Philippe Couillard, quelles leçons peut-on tirer de l'expérience ?
Sept-Îles, centre-ville, rue Arnaud. La cure de rajeunissement du bord de l'eau est à moitié terminée. À côté de la Cage aux Sports, Yany Bélanger nous fait visiter son nouveau bébé, le Château Arnaud. Classé 4 étoiles, offrant de très grandes chambres modernes avec vue sur le fleuve Saint-Laurent, l'établissement est une coche au-dessus de ce qui est offert dans le coin, où rien de neuf n'avait été bâti depuis 30 ans. Les patrons de la FTQ et d'Investissement Québec y ont pris leurs habitudes : ce sont eux qui ont soutenu sa construction.
Mais, déjà propriétaire de deux autres hôtels et de trois restaurants à Sept-Îles, Yany Bélanger est loin de pavoiser.«En 2011, le besoin était là. Aujourd'hui, est-ce que je le regrette ? Disons ceci : il ne faudrait pas que le ralentissement se poursuive une autre année.»
La manne, pas pour les entrepreneurs locaux
Huit millions de dollars. C'est le montant que Steve Guillemette a investi dans l'expansion des locaux du Groupe G7, une PME qu'il a fondée en 2004 et dont le chiffre d'affaires a grimpé à 40 M$ pour répondre aux besoins du boom : usinage, soudure, laminage, mécanique et maintenance industrielle, etc. Mais la fermeture de l'usine de bouletage de Cliffs en 2012 et le cycle minier baissier l'ont forcé à réduire son effectif de moitié, de 200 à 100 employés. En pleine expansion.
À l'instar de Steve Guillemette et d'autres entrepreurs locaux, Michel Lessard a pris de grands risques dans l'espoir de profiter du boom minier. C'est son entreprise, Équipements Nordiques qui, en 2008, a bâti une route d'été en hiver à - 40 °C à la future mine du Lac Bloom, près de Fermont, pour faire gagner du temps au promoteur.
Mais plutôt que le Klondike, les PME locale ont récolté un méchant mal de tête. Car, devant les acteurs de plus grande taille venus de l'extérieur de la région avec leurs propres sous-traitants et employés et offrant aux donneurs d'ordres des soumissions au rabais, elles ont dû réduire leurs prix.
«Certaines d'entre elles ont perdu leur chemise», raconte François Turmel, président de Construction BLH et membre de la Table régionale sur la main-d'oeuvre dans les secteurs industriel et de la construction. Ces entreprises ont essayé de concurrencer les firmes extérieures, mais n'avaient pas une structure financière assez solide.
«Vous connaissez la suite, ajoute Manon Langlois, présidente de la Chambre de commerce de Sept-Îles et dirigeante de la Banque Royale. Quand le ralentissement est survenu et que les donneurs d'ordres ont été moins rapides à payer, les comptes à recevoir se sont mis à dépasser les 90 jours. Les marges de crédit ont été retirées, les prêts réduits...»
Ce n'est pas arrivé à Équipements Nordiques, qui est passée de 60 à 200 employés de 2008 à 2011, puis à 125 cette année. «Je n'ai pas voulu jouer à la grenouille qui essaie de se faire grosse comme le boeuf, raconte M. Lessard. Toutefois, mes marges sont aussi minces que si je faisais du volume, dit-il. Or, je n'en fais pas.» Aujourd'hui, poursuit-il, ceux qui l'ont concurrencé durant le boom ne sont plus là pour donner du service après-vente. «Et c'est à moi que les donneurs d'ordres font appel pour réparer les travaux que j'ai perdus en soumission !»
«Ce sont surtout des gens de l'extérieur de la région qui ont profité du boom sur la Côte-Nord», affirme l'entrepreneur Steve Guillemette.
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Un sentiment partagé par plusieurs intervenants économiques que Les Affaires a rencontrés. Et par les ouvriers. En effet, si l'arrivée d'entrepreneurs généraux de l'extérieur se justifiait par le nombre et la taille des projets, les travailleurs de la construction ont plus de mal à comprendre pourquoi ils ont si peu travaillé en période de boom.
«Les travailleurs de la construction sur la Côte-Nord n'ont pas eu leur juste part des emplois, clame Bertrand Méthot, représentant de la FTQ sur la Côte-Nord. Des 11 000 travailleurs actifs durant le boom, seulement 3 800 venaient de la Côte-Nord, et ces derniers ne travaillaient en moyenne que la moitié du temps», relate-t-il.
C'est pourquoi, le 25 juin dernier, plus de 700 personnes ont manifesté dans les rues de Sept-Îles leur solidarité avec les travailleurs locaux qui dénoncent les difficultés à obtenir un emploi. D'autres manifs ont été tenues simultanément à Baie-Comeau, Havre-Saint-Pierre et Forestville.
Dans la région, le célèbre chef syndical Bernard Gauthier - mieux connu sous le nom de Rambo - est vu comme un héros. Même les gens d'affaires, tout en déplorant ses mauvaises manières, considèrent que son combat pour la sauvegarde des emplois locaux est juste.
En entrevue à Les Affaires, le principal intéressé sert cet avertissement : «le même effet pervers va se produire en Gaspésie, si on n'y change rien». (Un important projet de cimenterie est prévu en Gaspésie, sans parler d'un éventuel boom gazier.)
Comment lutter contre cet «effet pervers» ? À moins que les donneurs d'ordres n'acceptent de payer plus cher, la solution n'est pas simple.
De son côté, la Conférence régionale des élus de la Côte-Nord tente de savoir pourquoi le recours aux sous-traitants et aux travailleurs locaux coûte plus cher. Son hypothèse de départ est que l'écart entre les coûts de construction sur la Côte-Nord et ceux dans les grands centres peut aller jusqu'à 30 %.
Pourquoi ? Est-ce seulement en raison de l'éloignement ou y a-t-il d'autres facteurs ? Les employés locaux sont-ils moins productifs ? C'est ce que l'étude, qui devrait être terminée cet automne, cherchera à savoir.
Pour sa part, Bernard Gauthier accuse les grandes firmes de l'extérieur de ne pas respecter les conditions de travail de leurs employés - ce qui leur permet de soumissionner plus bas. Il déplore aussi que les travailleurs ne reçoivent pas suffisamment de formation, ce qui alimente un cercle vicieux de sous-emploi. De leur côté, plusieurs entrepreneurs locaux allèguent que les firmes de l'extérieur utilisent des stratagèmes pour réduire les factures de leurs sous-traitants, lesquels pressent ensuite le citron à leurs employés.
Faut-il toujours choisir le plus bas soumissionnaire pour un contrat, même si cela pénalise l'économie locale ? Tel est le dilemme qui se pose, et qui se posera au prochain boom, s'il y en a un.
Steeve Chapados, directeur général de la Caisse d'économie de Sept-Îles, propose le fractionnement des contrats et la possibilité d'imposer des quotas d'emplois locaux, comme le fait Hydro-Québec. Il n'est pas le seul. Mais il se heurte aux grands constructeurs et à la loi sur la mobilité des travailleurs. Jusqu'à présent, le gouvernement du Québec n'a pas voulu trancher : il additionne les tables de travail sur le sujet.
Les administrations municipales subissent en tout cas le paradoxe économique du boom : «Un boom occasionne des coûts plus élevés pour la ville. Il faut ouvrir de nouvelles rues, bâtir des infrastructures, explique le maire de Sept-Îles, Réjean Porlier. Mais si une bonne partie de ma population est sous-employée et a du mal à payer son loyer - qui a fortement augmenté à cause du boom -, comment voulez-vous que je hausse les impôts pour financer ces nouvelles infrastructures ?» Sept-Îles vient d'ailleurs de commander une étude sur les taux d'endettement acceptables pour son administration.
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Un développement vraiment durable ?
À Fermont, où deux expansions minières ont eu lieu - le Lac Bloom, de Cliffs Natural Resources, et le Mont-Wright, d'ArcelorMittal -, le boom a fait doubler du jour au lendemain la population de 2 800 âmes. Depuis, les choses se sont calmées, mais on n'oubliera pas de sitôt les tensions entre les travailleurs de passage et les résidents. L'arrivée massive de main-d'oeuvre de l'extérieur a aussi occasionné une forte pression sur les services, témoigne Normand Ducharme, directeur du Centre de santé et de services sociaux de l'Hématite à Fermont. «Les impacts sur les services sociaux ont été moindres que ce que j'attendais, mais là où on s'est fait prendre, c'est en matière de services médicaux, où nous avons dû absorber de fortes hausses de coût. Comme si les gens de l'extérieur profitaient de leur séjour à Fermont pour se faire soigner !» Par exemple : les services d'hospitalisation ont grimpé de 60 % entre 2011 et 2012 ; tandis que le nombre de transports par vol nolisé a quadruplé. Et non seulement ces hausses n'ont pas été compensées par la province, mais elles se sont produites alors que Québec réduisait les budgets du CSSS de 5 %. Le fait qu'au Québec les soins de santé ne soient pas financés par habitant mais sur une base historique a rendu le problème encore plus criant. Le CSSS a récemment dû abolir quatre postes sur un total de 60, et le moral n'est pas à son plus haut, raconte M. Ducharme.
Maintenant, ce que Fermont craint plus que tout, c'est de disparaître, à cause du phénomène du fly-in/fly-out (FIFO), ce mode de fonctionnement où les travailleurs de la mine viennent de l'extérieur. Plutôt que de déménager près de la mine, ils sont transportés chez eux par avion après leur semaine de travail. À la mine du Lac Bloom, de Cliffs Natural Resources, 90 % des 350 employés fonctionnent en FIFO. Chez ArcelorMittal Mines Canada (AMMC), ils sont 420 sur un total de 1 000 employés. Éric Normand, directeur des Ressources humaines chez AMMC, admet qu'il a été étonné par la popularité du FIFO. Alors que la mine s'attendait à avoir seulement 25 % d'employés en FIFO, leur pourcentage s'élève à 30 % et croîtrait si ce n'était qu'AMMC ne peut pas en accueillir plus, faute de place.
«Pour chaque poste ouvert en FIFO, indique M. Normand, je reçois 10 fois plus de candidatures que pour un poste d'employé résident de Fermont, que j'ai du mal à pourvoir.»
Le FIFO est nouveau sur la Côte-Nord. Avant, les minières logeaient leur personnel sur place, par exemple à Fermont. Elles leur bâtissaient des maisons familiales permanentes, qu'ils pouvaient acheter à très bon prix et avec d'excellentes conditions hypothécaires. Mais en 2008, lorsque la mine du Lac Bloom a été annoncée, «il n'y avait pas de logements de disponibles pour les nouveaux employés», explique Annie Desrosiers, directrice du développement durable et des relations avec la communauté à la mine. Chez AMMC, c'était la même situation - pas de logements disponibles pour les 500 nouveaux employés - et on a dû emboîter le pas, dit M. Normand.
Le représentant syndical de la mine du Mont-Wright, Yves-Aimé Boulay, ne voit pas les choses du même oeil : «Il aurait fallu que la minière construise des logements avant de commencer son expansion», dit-il.
Le président du local 5778 du Syndicat des Métallos a bien tenté de s'opposer au FIFO, «mais on s'est fait dire que c'était non négociable, alors on a accepté, à la condition que la mine construise 150 logements familiaux», relate-t-il. «Puis on s'est dit, on va les faire tomber en amour avec Fermont.»
Sauf qu'aujourd'hui, la situation dépasse tous les pronostics : non seulement la mine du Mont-Wright a du mal à attirer des travailleurs prêts à déménager à Fermont, mais le mode FIFO est maintenant convoité par les travailleurs résidents eux-mêmes ! M. Normand signale que, des 420 employés en FIFO, 200 sont d'anciens résidents de Fermont, alors qu'à l'inverse, il n'a reçu que 4 ou 5 demandes d'employés en FIFO voulant devenir résidents de Fermont.
Yves-Aimé Boulay déplore qu'en 2014, AMMC n'ait pas complètement honoré son engagement à l'égard des 150 nouveaux logements familiaux. Mais la réalité, c'est qu'il y a une vingtaine de maisons mobiles et autant de maisons individuelles actuellement à vendre à Fermont.
Quand le gouvernement Charest a lancé son Plan Nord, il a promis une approche de développement durable. C'est-à-dire que le développement du Nord se ferait aux bénéfices non seulement des minières, mais de l'environnement et des communautés vivant dans le Nord. Il a même invité les Québécois à «faire le Nord», à habiter le Nord. Force est de constater que l'appel n'a pas été entendu. «On occupe le Nord, mais on ne l'habite pas», avance Bertrand Méthot. «On l'exploite, mais on ne le vit pas», ajoute Normand Ducharme.
1 000 - Nombre de travailleurs de la construction au chômage sur la Côte-Nord en 2013.
Source : Institut de la statistique du Québec
Prix du fer (par tonne métrique sèche)
Juillet 2013: 127,19 $ US
Août 2013: 137,06 $ US
Septembre 2013: 134,19 $ US
Octobre 2013: 132,57 $ US
Novembre 2013: 136,32 $ US
Décembre 2013: 135,79 $ US
Janvier 2014: 128,12 $ US
Février 2014: 121,37 $ US
Mars 2014: 111,83 $ US
Avril 2014: 114,58 $ US
Mai 2014: 100,56 $ US
Juin 2014: 92,74 $ US
Source : Index Mundi
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