C'est un euphémisme de dire que les Madelinots voient d'un mauvais oeil une éventuelle exploitation pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent. Un déversement sur le gisement Old Harry pourrait rapidement tourner au cauchemar pour cet archipel de 12 500 habitants, qui vit presque exclusivement des pêches et du tourisme.
«On est entre 3 000 et 4 000 à dépendre directement ou indirectement des pêches, rappelle le maire de la municipalité des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre. Ça représente entre 75 et 80 millions de dollars injectés dans notre économie chaque année.»
Outre les pêcheurs, il faut ajouter les emplois dans la transformation, dans le transport et sur les quais, ainsi que dans la vente d'équipements de pêche. «On ne peut pas imaginer les îles sans l'apport économique de l'industrie de la pêche», ajoute le maire.
C'est pourquoi, le 21 juillet dernier, les représentants des pêches du golfe Saint-Laurent envoyaient une missive au gouvernement fédéral lui enjoignant de suspendre toute activité d'exploration pétrolière - y compris les levés sismiques - sur la structure géologique d'Old Harry, à cheval entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador.
«Nous nous opposons au développement de l'industrie pétrolière dans le golfe tant qu'il n'y aura pas eu de réelle évaluation de ses impacts sur nos activités», écrivaient-ils, avant d'exiger que le projet soit soumis à une commission d'examen. Sans surprise, tous les représentants de l'industrie des Îles-de-la-Madeleine étaient dans le coup.
Vitale pour l'économie
Pour l'Association des pêcheurs propriétaires des Îles-de-la-Madeleine (APPIM), la pêche n'est ni plus ni moins que «vitale» à l'économie locale. Cette année, 7 560 000 livres de homards ont été pêchées de mai à juin. Avec un prix fixé à 5,73 $, les ventes se sont chiffrées à plus de 43,3 M$, des «revenus record» qui s'expliquent par la hausse des débarquements, à en croire le président de l'Association, Mario Déraspe.
«On a déjà eu 6 $ la livre, mais on avait moins de débarquements», précise-t-il. Heureux hasard : les pêcheurs de homards célébraient leur 140e saison, ainsi que le 40e anniversaire de l'APPIM. On compte 325 pêcheurs de homards aux îles, chacun employant une ou deux personnes.
M. Déraspe, 56 ans, a lui-même commencé à pêcher à 16 ans, et a acheté son premier bateau dès l'âge de 18 ans. Il pêche principalement le homard, mais aussi le flétan et la morue. «Avant, je pêchais aussi du poisson pélagique, mais ça doit faire 10 ans que je ne vais plus au maquereau ni au hareng, dit-il. On est confiné à la pêche au homard ; ça représente 99 % de nos revenus !»
L'idée de voir une société d'exploration forer à 80 kilomètres des plages madeliniennes ne l'enchante guère dans l'état actuel des connaissances. «Si les environnementalistes, les chercheurs et les scientifiques nous disent qu'il n'y a pas de danger, le projet ne nous posera aucun problème, dit-il. Mais avant d'aller de l'avant, nous voulons avoir des certitudes. À ce jour, aucune étude ne nous satisfait.»
Soulignons que le homard des îles est certifié «durable» par le Marine Stewardship Council depuis deux ans.
Tout à perdre
Même son de cloche du côté du Regroupement des pêcheurs professionnels des Îles-de-la-Madeleine, dont les 21 membres font plutôt dans le crabe ou les poissons de fond (morue, sébaste, plie, flétan). Nettement moins importantes que les ventes de homards, les ventes de crabes se chiffrent néanmoins en millions de dollars. Et chaque crabier embauche habituellement trois à quatre personnes, selon le président du Regroupement, Marcel Cormier.
Or, la zone 12-F où vont pêcher les crabiers des îles est justement la plus proche de la formation Old Harry. «On est à 16 miles nautiques [moins de 30 km] d'Old Harry, dit M. Cormier. On n'a pas d'assurance que le projet ne sera pas nuisible à la pêche.»
Selon lui, les pêcheurs ont tout à perdre, rien à gagner d'un développement pétrolier bâclé dans le golfe. «On exige du gouvernement fédéral une enquête digne de foi, faite par des groupes indépendants des pétrolières, dit-il. On ne confie pas au loup la garde de la bergerie. Les pêches du golfe ne sont pas à vendre, il y a trop d'argent en jeu. Les pétrolières, qu'est-ce qu'elles vont nous apporter ? Elles ne feront pas de raffineries aux îles !»
Les exigences de l'industrie des pêches viennent donc s'ajouter à celles, déjà formulées, de la municipalité elle-même. «Ce qu'on demande, c'est que, avant de parler d'exploitation d'hydrocarbures, on parle de la protection du golfe et de sa remise en état», précise le maire Lapierre.
Il salue par ailleurs la mise sur pied, annoncée par Québec au début de juin, d'un centre d'expertise pour «la prévention, la préparation et les interventions d'urgence environnementale» aux Îles-de-la-Madeleine. «Ce n'est pas juste pour Old Harry, c'est aussi pour les risques qui existent déjà», souligne-t-il.
«Les pétroliers passent quotidiennement à côté des îles. N'attendons pas qu'une catastrophe survienne pour après coup mettre en oeuvre des mesures plus sévères.»
Au bureau de la ministre fédérale de l'Environnement, Leona Aglukkaq, on indique que «l'Agence canadienne d'évaluation environnementale est à examiner [la lettre] afin d'acheminer une réponse aux signataires».