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«Le FIFO affecte la santé des employés» - Keith Storey, de l’Université Memorial de Terre-Neuve

Par Suzanne Dansereau


Édition du 27 Septembre 2014

Le mode de travail FIFO est perçu comme un cancer dans les communautés d'accueil, parce qu'il les prive de perspectives de développement durable. Plusieurs efforts ont été faits pour le réduire, mais avec des succès fort limités, rapporte Keith Storey, géographe et professeur émérite de l'Université Memorial de Terre-Neuve, à St.John's, auteur de plusieurs études sur le sujet faites au Canada et en Australie.


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LES AFFAIRES - Comment justifier le FIFO ?


Keith Storey - Cela a commencé dans les années 1950 dans les pétrolières du golfe du Mexique, pour pallier la distance croissante entre la côte et les lieux de forage. Le FIFO a pris de l'ampleur dans les années 1970 en Australie et au Canada, alors que les gisements miniers étaient de plus en plus éloignés des villes. Cette pratique permet plus de flexibilité et impose moins de dépenses aux minières. Oui, il faut loger et nourrir les employés, mais on n'a pas besoin de construire de nouvelles infrastructures municipales. Et si la mine ferme, on remballe le tout, y compris les travailleurs, qui peuvent ensuite aller ailleurs, là où il y a de l'emploi. D'autant plus que les gouvernements n'ont plus les moyens de soutenir les villes mono-industrielles dans des régions éloignées. Ainsi, au Canada, il ne s'est pas construit de nouvelles villes minières depuis 1981.


Dans les années 2000, l'essor du FIFO s'est étendu aux villes minières déjà existantes, parce qu'avec le boom, les minières ont voulu agir vite pour démarrer leur expansion, sans attendre que les infrastructures soient prêtes. C'est une question de rapidité. Toutefois, les bureaucraties gouvernementales sont lentes à réagir. De plus, les terrains sur lesquels on aurait pu construire sont souvent des gisements potentiels ! L'autre facteur, c'est la main-d'oeuvre : en situation de pénurie, il faut aller la cueillir à l'extérieur des régions éloignées, et les familles des employés, de plus en plus, refusent de déménager. Le FIFO permet donc aux minières de mieux suivre les cycles miniers et aux employés d'être plus mobiles.


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L.A. - Le FIFO semble incompatible avec le développement durable, non ?


K.S. - Pour les communautés d'accueil, comme Fermont ou Labrador City, ce que vous dites est probablement vrai. C'est très frustrant. Leurs revenus peuvent croître, mais il y a une différence entre croissance et développement. J'ai étudié des villes minières en Australie qui ont adopté le FIFO, notamment celle de Telfer. Elle a d'abord perdu ses commerces, tandis que les infrastructures de loisir sont restées ouvertes. Mais elle a fini par fermer, se limitant à héberger les employés en FIFO. Une autre ville, Leinster, est moitié FIFO, moitié résidence. À ma grande surprise, elle survit - pour l'instant. Mais ce qui arrive souvent c'est qu'on commence par fermer l'école, et cela fait boule de neige. Par contre, le FIFO profite aux villes «sources», c'est-à-dire celles qui fournissent la main-d'oeuvre. On a fait une étude là-dessus portant sur la région de Burin, à Terre-Neuve, qui a envoyé beaucoup de travailleurs dans les sables bitumineux de l'Alberta. Burin s'est enrichie, on vient d'y installer un Walmart. L'impact social est sujet à débat toutefois. Les travailleurs en FIFO ramènent de l'argent, mais on ne connaît pas assez bien l'impact sur les familles et la vie familiale. L'absence a ses conséquences. Il faut étudier davantage cette question.


L.A. - Est-il prouvé que le FIFO a un impact négatif sur la santé mentale des travailleurs ?


K.S. - On véhicule beaucoup de mythes à ce sujet. Il n'y a là encore pas de réponses simples. Ce n'est pas noir ou blanc. Il n'est pas prouvé que le FIFO augmente l'alcoolisme et la toxicomanie. Ce qui est prouvé par contre, c'est que l'argent augmente ces deux fléaux. Par ailleurs, les sites miniers exercent des contrôles très stricts sur la consommation de ces substances. Sauf qu'on ne sait pas ce que les employés en FIFO font quand ils retournent chez eux... Il n'est pas prouvé non plus que le FIFO a un impact négatif sur le taux de divorce ou sur le bien-être des enfants. Aucune étude, jusqu'à présent, ne l'a démontré. Ce que l'on sait, c'est que l'impact du FIFO varie selon les individus. Mais ce qui est prouvé, c'est que le FIFO a un impact négatif sur la santé physique. Les longues journées de travail sans congé provoquent une grande fatigue, surtout chez les gens âgés. Or, la population vieillit. 


L.A. - Quels sont les moyens dont disposent les gouvernements, les municipalités ou les syndicats pour décourager le FIFO ?


K.S. - Il y en a relativement peu et ils ne fonctionnent pas nécessairement. À Voisey's Bay en 2005, la minière a accepté d'imposer une condition à l'embauche des travailleurs : ces derniers devaient vivre quelque part dans la région de l'Ouest du Labrador. Mais en quelques années, elle a dû laisser tomber ce critère. À la mine de nickel de Ravensthorpe, en Australie, l'État a fait pression sur BHP Billiton pour qu'elle bâtisse une localité résidentielle. La province payait la moitié des coûts des maisons et des infrastructures. Le fédéral, le quart, et la minière, le dernier quart. Mais huit mois plus tard, la mine a été fermée et le gouvernement a dû aider les mineurs à déménager ! La mine a récemment été rouverte, mais elle est entièrement en FIFO. Les gens oublient la nature cyclique de l'industrie et ses fluctuations dramatiques. Les communautés touchées peuvent imposer des taxes spéciales aux minières, comme cela se fait en Colombie-Britannique, ou réclamer davantage de soutien communautaire en faisant appel à leur responsabilité sociale. Mais cela ne règle pas le problème des employés qui ne sont que de passage. La lutte au FIFO est peut-être perdue d'avance. Tout ce qu'on peut faire est d'essayer de maximiser les retombées pour la communauté d'accueil.


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