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«À Québec, on me disait : sois conciliante»- Lise Pelletier, ex-mairesse de Fermont

Par Suzanne Dansereau


Édition du 30 Août 2014

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À la suite de la publication de notre manchette du 23 août sur le Plan Nord, nous vous présentons d'autres textes relativement aux espoirs déçus d'une région qui attendait beaucoup de cet ambitieux chantier.


Le gouvernement du Québec et les municipalités de la Côte-Nord ont eu beaucoup de mal à gérer le boom minier à la suite de l'annonce du Plan Nord par le gouvernement Charest. Les villes ont été complètement dépassées, et Québec, contrairement à ses promesses, n'a pas su bien les accompagner.


Tel est le verdict qu'ont posé la plupart des intervenants rencontrés lors de notre tournée sur la Côte-Nord.


L'administration municipale la plus touchée a été celle de Fermont. Elle a dû composer avec deux expansions minières simultanées. Voici ce que raconte sa mairesse, Lise Pelletier, qui a quitté son poste en juin dernier pour des raisons personnelles : «La pression était énorme. Une pression constante. Il fallait tout faire vite, sans avoir le temps de réfléchir. Parfois la minière agissait avant même que je ne sois informée. Et à Québec, tout ce qu'on me disait, c'est : "Sois conciliante, Lise".»


Bien qu'elle soit reconnaissante envers quelques hauts fonctionnaires du Secrétariat au développement nordique (créé deux ans après le dépôt du Plan Nord), Lise Pelletier en a gros sur le coeur. «Le gouvernement n'était pas prêt au boom minier. Il aurait fallu qu'on m'assigne une personne-ressource à temps plein pour m'accompagner et faire la liaison, pour me montrer comment traiter avec les minières, qui me disaient que si je disais non leur projet n'aurait pas lieu. J'aurais dû avoir plus d'informations. On me les a données au compte-goutte, et trop tard. Par exemple, ce n'est qu'à la dernière minute qu'ArcelorMittal Mines Canada [AMMC] m'a confirmé les 500 nouveaux emplois. Il fallait que je dise oui à tout. Je voulais que ça marche autant qu'eux, alors je disais oui.»


Mme Pelletier reproche aussi à Québec de ne pas l'avoir soutenue dans la création d'un parc industriel. «Il fallait investir 20 millions de dollars. Je n'avais pas cette somme. Les entreprises se sont installées ailleurs, une occasion ratée pour nous. La machine gouvernementale à Québec était trop lente à réagir.»


À Port-Cartier, siège d'ArcelorMittal Mines Canada, le commissaire industriel Bernard Gauthier raconte comment la mairesse de l'époque, Laurence Méthot, a subi le même genre de pression. «Pour aller plus vite, elle a donné un contrat de rue à un seul soumissionnaire [...]. Elle a accepté l'installation d'un campement de travailleurs sur le terrain de l'église, ce qui a outré la population. C'est à cause de cela, d'ailleurs, qu'elle a perdu ses élections», estime-t-il. Mme Méthot est maintenant conseillère politique du ministre des régions, Yves Bolduc. Elle n'a pas pu nous accorder d'entrevue.


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Une rapidité d'exécution qui a fait défaut


Selon Bernard Gauthier, ce qui est le plus typique de la gestion de ces booms, c'est l'écart entre les vitesses de réaction des décideurs publics et des décideurs du secteur privé. «Dans le privé, une décision se prend en deux mois. Dans le public, c'est deux ans. Ce décalage est problématique. On a eu deux nouvelles rues alors que l'expansion était au trois quarts terminée», dit cet homme qui compte plus de 25 ans d'expérience dans le développement économique. Ce qui a également manqué, ajoute-t-il, c'est un réel dialogue entre les minières et les municipalités.


Lise Pelletier abonde dans le même sens. «Je n'ai jamais rencontré le propriétaire d'ArcelorMittal, ni son président canadien, Steve Wood», illustre-t-elle.


Mais ce qui la met le plus en rogne, c'est qu'aujourd'hui, les deux minières, Arcelor Mittal Mines Canada et Cliffs Natural Resources, contestent leur rôle d'évaluation municipal.


«C'est comme une gifle en plein visage, s'exclame-t-elle. On les a tellement aidés ! Et on n'a pas de retour d'ascenseur.»


Chez AMMC, la directrice des relations communautaires, Réjeanne Le Bloch, a un autre point de vue : «La Ville était toujours en mode demande. Mais elle a un rôle à jouer pour se rendre attrayante. Qu'a-t-elle fait jusqu'à présent ? Pas grand-chose. Ce sont nos travailleurs qui organisent des activités rassembleuses.»


À Sept-Îles, le maire Réjean Porlier estime qu'il lui faudrait un meilleur accompagnement pour réaliser l'aménagement de son territoire. Et qu'il ne dispose pas d'une marge de manoeuvre suffisante pour soutenir le développement économique de sa ville. «On veut être capable de planifier notre développement industriel et résidentiel. Je suis obligé de prendre le plus bas soumissionnaire pour mes travaux publics, alors que je veux encourager ma main-d'oeuvre locale.» M. Porlier souhaite aussi un meilleur cadre financier. À cet effet, il vient de commander une étude pour voir quel est le réel niveau d'endettement que l'administration municipale est capable de supporter. Car le boom exige la construction de nouvelles infrastructures que les revenus fonciers de la ville ne peuvent pas soutenir rapidement.


Plusieurs gens d'affaires et décideurs observent que le guichet unique promis par le gouvernement ne s'est pas matérialisé. Pour Steeve Chapados, directeur général de la Caisse d'économie Desjardins à Sept-Îles, le nouveau gouvernement devra s'atteler davantage à la planification du développement social qui, selon lui, a fait défaut durant la première phase du Plan Nord. «Il faut que tout soit arrimé au développement : le logement, la santé, les services sociaux, l'éducation». Il donne l'exemple d'un projet de coopératives d'habitation à Sept-Îles qui s'est heurté à la bureaucratie gouvernementale. «On ne peut pas juste faire du développement économique. Si le développement social est négligé, cela crée des problèmes sociaux. Il faut de l'économie sociale. Sinon, le développement n'est pas durable.»


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