PRIMEUR. En 2000, le notaire et député libéral Lawrence S. Bergman a signé deux actes de vente sur un terrain devant le Centre Bell. Les acheteurs: Giorgio Tartaglino et… Tony Magi, dont la Commission Charbonneau a entendu les conversations avec feu Vito Rizzuto, captées en écoute électronique. Trois ans plus tard, le représentant de D’Arcy-McGee devenait ministre du Revenu.
En 2003 et 2004, l’ancien parrain de la mafia canadienne a servi d’arbitre dans une querelle entre Tony Magi, Giorgio Tartaglino et des financiers de ses projets. Tony Magi était alors en affaires avec le fils de Vito Rizzuto, Nick Jr, assassiné en 2009 tout près des bureaux de leur entreprise, dans l’arrondissement Notre-Dame-de-Grâce.
Quelques années plus tôt, les affaires allaient mieux pour Tony Magi, qui achetait avec Giogio Tartaglino un terrain de tout premier choix, boulevard René-Lévesque Ouest, devant le domicile des Canadiens de Montréal.
Lawrence Bergman a signé en 2000 l’acte scellant cette curieuse transaction, où Tony Magi est acheteur, mais aussi un peu vendeur. Mark Dichter, qui se départit du terrain de 55 000 pieds carrés pour 3,3 M$, est alors représenté par Rita Biasini… la femme de Tony Magi! La transaction s'est conclue à un prix moindre que son évaluation, de 4,8 M$ selon l’acte.
Six jours plus tard, le notaire-député signait une autre transaction : la vente du même terrain pour 1 $ à une autre compagnie à numéros, toujours contrôlée par Giorgio Tartaglino et Tony Magi. Curieusement, la valeur du lot indiquée dans l’acte à des fins fiscales bondissait alors de 71 %, et ce, en moins d’une semaine!
Lawrence Bergman a aussi notarié l’hypothèque scellant le financement de la transaction par Giorgio Tartaglino lui-même, par le biais de se filiale Investissements Giotar inc. Cette entité a fait le seul prêt enregistré pour financer l’acquisition du terrain du Roccabella en 2000, d’un montant de 5,5 M$.
Le député sortant, l’un des meilleurs collecteurs de fonds du Parti libéral du Québec, n’a cessé sa pratique notariale que quand Jean Charest l’a nommé ministre du Revenu dans son premier gouvernement, en 2003. C’est neuf ans après avoir été élu pour la première fois dans la circonscription la plus rouge de la province: D’Arcy-McGee, dans l’ouest de l’Île de Montréal.
Joint par Les Affaires, Lawrence Bergman, qui ne se représente pas aux élections en cours, rappelle que ses obligations professionnelles l’astreignent à la plus grande discrétion. «Je n’ai jamais fait de commentaires sur les actes ou les parties aux actes que j’ai notariés, dit-il. Je ne commencerai pas maintenant.»
Il n’a donc pas voulu s’étendre sur les transactions qu’il a officialisées pour Tony Magi et Giorgio Tartaglino devant le Centre Bell. «Chaque notaire va avoir des clients qu’il voit beaucoup, d’autres moins… Mais c’est une obligation de rester neutre», dit-il.
De 1965 à 2003, Lawrence Bergman dit avoir signé 21 000 actes. «J’ai suivi les règles de déontologie du début à la fin», dit-il.
Le député sortant souligne qu’il avait «une pratique très haut de gamme» et une «bonne réputation».
Des experts en sécurité s'interrogent
Des experts en sécurité s'interrogent
Rien n’interdit à un notaire de continuer à signer des actes alors qu’il est député, peu importe l’identité de ses clients.
Mais pour l’ancien cadre du Service canadien de renseignements de sécurité Michel Juneau-Katsuya, la nomination de Lawrence Bergman au Revenu a de quoi faire sourciller. «Ça questionne le jugement des gens qui l’ont nommé», dit le consultant en sécurité, qui commente régulièrement ce genre de questions dans les médias.
Même si les accointances mafieuses de Tony Magi n’étaient pas médiatisées en 2000, il estime que Lawrence Bergman et l’appareil libéral ne pouvait pas ignorer le milieu dans lequel évoluaient ses clients.
«En grimpant dans l’appareil politique, il est devenu au bas mot ce qu’on appelle un agent d’influence, dit Michel Juneau-Katsuya. Il a pu souffler à l’oreille du premier ministre : “Ces gars-là, ce sont des bons bonhommes, tu devrais leur porter attention…” Tu deviens un bon amasseur de fonds avec tes contacts et les gens que tu es capable d’influencer.» Il se demande si le gouvernement a fait des vérifications de sécurité avant de le nommer.
De son côté, l’expert en fraude et en analyse du renseignement Michel Picard voudrait bien savoir pourquoi les transactions autour sur le terrain du Roccabella sont aussi «bizarres». «Ce qui me préoccupe, c’est la complexité des transactions sur un même terrain, dit-il. Qu’est-ce qui se cache là-dessous?» se demande-t-il.
L’ancien premier ministre Jean Charest, qui a nommé Lawrence Bergman au poste de ministre du Revenu, n’a pas rappelé Les Affaires, malgré nos nombreux messages laissés à son bureau du cabinet d’avocats McCarthy Tétrault.
L’attaché de presse du chef actuel du Parti libéral n’a pas de commentaires à formuler sur ces événements. «Je comprends votre questionnement, mais en 2000, nous étions dans l’opposition, et Philippe Couillard était neurochirurgien», dit Harold Fortin.
Projet majeur dans le meilleur quartier
Giorgio Tartaglino, domicilié à Monaco, a racheté en 2003 les parts de Tony Magi dans le terrain du boulevard René-Lévesque après un conflit, selon son bras droit Serge Labelle. Aujourd’hui, il y construit le Roccabella, l’un des mégaprojets de condos les plus imposants à Montréal, et le plus avancé des chantiers en cours devant le Centre Bell. Le promoteur prévoit ériger deux tours de 40 étages et 298 copropriétés de luxe chacune.
Le député sortant de D’Arcy-McGee a notarié au moins une autre transaction impliquant la famille Tartaglino, dont les actifs sont enregistrés dans des paradis fiscaux européens. En septembre 2002, le député-notaire a enregistré un prêt de 19,5 M$ de la Banca del Gottardo, de Lugano en Suisse, à la société qui était alors propriétaire des actifs des Tartaglino à Montréal: Tersar Finance, enregistrée au Luxembourg mais elle aussi domiciliée à Lugano.