C'est le branle-bas dans les communautés de la province depuis que le ministre des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire, Pierre Moreau, a parlé d'abolir les Centres locaux de développement pour réaliser, espère-t-il, des économies de 40 millions de dollars par an, sur un budget de 72 M$. La mobilisation contre cette idée, selon laquelle reviendrait aux municipalités régionales de comté (MRC) ou aux municipalités le rôle des centres locaux de développement (CLD), est bien amorcée dans les régions et sur les médias sociaux. Entrepreneurs, élus et autres acteurs du développement économique prennent la parole pour défendre l'utilité des 120 CLD, qui répondent chaque année à 30 000 demandes d'aide technique et financière. D'autres, comme le maire de Québec, Régis Labeaume, prônent leur abolition.
L'Association des CLD soutient que l'aide financière apportée par les organisations locales permet en moyenne la création de plus de 1 000 entreprises par an. Le taux de survie de ces entreprises accompagnées est de 70 % après cinq ans ; c'est deux fois plus que le taux de survie général moyen sur une période équivalente.
Nous vous présentons deux points de vue, l'un pour le maintien des CLD, l'autre pour une redéfinition des structures de développement économique.
Les garder
«Les CLD nous guident vers les bonnes personnes et nous amènent à persévérer parce qu'on est accompagnés.» - Catherine Fafard,v.-p. de Ketto Design
Comme beaucoup d'autres entrepreneurs, Catherine Fafard, vice-présidente de Ketto Design, une entreprise d'accessoires illustrés de Québec, s'explique mal la proposition du gouvernement d'abolir les CLD. Elle se demande bien qui peut remplacer l'expertise qu'ils ont bâtie depuis leur création en 1998. Elle considère aussi que l'économie n'a pas besoin de l'insécurité qui vient de s'installer ni de la période de flottement qui suivrait un changement des structures de développement économique au Québec.
«Quelle expertise ont les municipalités pour remplacer les CLD ? se demande-t-elle. Est-ce une provocation jetée sur la place publique pour voir quelles sont les réactions et décider ensuite de quel côté aller ?»
Avec son associée Julie Saint-Onge, l'entrepreneure a eu recours aux services du CLD de Québec il y a un peu plus de deux ans pour financer la croissance de Ketto Design.
«On a travaillé avec la Banque de développement du Canada, avec le CLD et notre banque pour mener à terme notre projet. Le CLD est l'organisation qui nous a le plus accompagnées, souligne Mme Fafard. Ce n'est pas ma banque qui m'a aidée à réviser le budget prévisionnel et à peaufiner le plan d'affaires. Le CLD nous a aidées à prendre du recul, à nous remettre en question, à voir nos erreurs. Et il fait un suivi régulier. A-t-on atteint nos objectifs ? Où en est-on ? Il vérifie si l'argent est bien investi. Et quand il me prête 50 000 $, je peux en générer de 150 000 $ à 200 000 $, donc à mon sens, c'est profitable pour tous.»
Essentiellement, Ketto Design a eu besoin d'aide financière afin de mettre en marché de nouveaux produits, notamment pour augmenter ses ventes de la rentrée scolaire et de Noël. Pour y arriver, il fallait augmenter les importations et constituer des stocks un an d'avance, maintenant qu'il y a 600 points de vente au Canada (Bureau en Gros, Renaud-Bray, Archambault et un grand réseau de détaillants indépendants).
«Une fois le prêt octroyé, tout s'est passé comme on l'avait prévu, presque au cent près. Je ne sais pas si j'aurais eu autant de rigueur sans l'aide et le suivi du CLD», songe Mme Fafard, dont l'entreprise connaît une croissance de 25 % à 30 % par an depuis le début de la collaboration avec le CLD de Québec, en 2012.
Ketto Design prévoit soumettre un autre plan de croissance en 2015. Aujourd'hui, l'entreprise se demande à quelle porte elle devra aller frapper pour obtenir de l'aide.
«Il y aura des mois de flottement pour les entreprises qui n'auront pas les services nécessaires à leur projet si on change les structures», craint-elle.
transformer
«Notre point de vue est le suivant : regroupons les forces et ayons une organisation qui offre l'ensemble des services aux entreprises.» - Françoise Bertrand,présidente de la FCCQ
Si la présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) a une certitude, c'est qu'il y a trop d'organismes de développement économique dans la province. Ainsi, sans plaider pour l'abolition des CLD, Françoise Bertrand pense qu'on doit en réduire le nombre et recentrer leur action sur leur mission première : l'aide au démarrage et au développement des PME.
«En grande majorité, ils font un excellent travail, mais on les amène à aller dans d'autres secteurs d'activité, comme le développement durable. Est-ce leur rôle ? Des membres nous ont dit qu'ils y vont parce que c'est là où il y a des crédits d'impôt et des subventions à aller chercher, mais est-ce cela qu'on leur demande ?» interroge-t-elle.
Elle aimerait bien savoir pourquoi on aurait besoin de 120 CLD au Québec. Et elle constate qu'une véritable «industrie de l'aide aux entreprises» s'est créée.
«On a voulu des organismes de développement économique régionaux, on a fait les CLD, après on s'est dit qu'il faudrait peut-être s'intéresser aux femmes entrepreneurs, on a créé le programme Essor, ensuite on s'est dit qu'il faudrait peut-être s'intéresser aux entrepreneurs immigrants et on a créé des organismes pour eux. Même scénario en tourisme. A-t-on besoin d'organisations différentes pour soutenir et accompagner ces entrepreneurs ? Pourrait-on avoir une unité qui soit plus forte, bien financée et qui, par ses guichets, puisse aider les uns et les autres ?»
De cette manière, souligne Mme Bertrand, on économiserait sur les frais généraux d'administration, et peut-être qu'on pourrait investir davantage dans l'aide directe aux entreprises. Pour donner de la force à son argumentaire, présenté en commission parlementaire sur la fiscalité, la FCCQ a présenté la cartographie de l'aide aux entreprises dans la ville de Québec : 44 organismes et 650 employés. Elle estime qu'il est temps de simplifier, à la fois pour économiser et pour simplifier la vie aux entrepreneurs, perdus dans le dédale de ces organisations.
Faut-il maintenant confier la mission des CLD aux MRC comme l'a suggéré le ministre Moreau ? Françoise Bertrand n'en juge pas, mais elle propose que le gouvernement précise pour chaque région l'organisme principal chargé du développement et de l'entrepreneuriat, ainsi que celui pour le transfert technologique. Il pourrait ensuite réduire son soutien aux autres organisations.
«Il faut amener plus d'ordre dans les organisations dont les objectifs se recoupent et qui ne permettent pas un guichet unique aux entrepreneurs.»