Greg Wickham a occupé le poste de pdg de Dairylea, l'une des plus importantes coopératives laitières américaines. Le 1er avril, Dairylea a fusionné avec la puissante Dairy Farmers Association of America (DFA). Greg Wickham, un vétéran de l'industrie laitière, fait partie de l'équipe qui a piloté cette fusion. Il participera au Sommet international des coopératives, à Québec, en octobre prochain.
L'entrevue no 199
Diane Bérard - Les États-Unis ont mis cinq ans à voter le Farm Bill. Qu'est-ce bloquait ?
Greg Wickham - Le contentieux tenait à la réduction des dépenses. Le budget du ministère de l'Agriculture se divise en deux : 20 % pour le soutien à l'agriculture et 80 % pour les bons alimentaires [food stamps]. Les élus des villes ont défendu les coupons alimentaires, à cause des citoyens à faible revenu. Les élus des régions, eux, ont mis en avant la contribution de l'agriculture à l'économie. Après des années de culs-de-sac, Washington a réduit les deux postes. En dollars, la réduction s'avère plus importante pour l'aide alimentaire. En proportion, c'est l'aide à l'agriculture qui écope davantage.
D.B. - L'industrie laitière américaine a-t-elle obtenu ce qu'elle voulait ?
G.W. - Nous avions deux demandes : une assurance pour nos marges plutôt que pour nos prix et une forme de réglementation de l'offre. Nous avons obtenu la première. Pas la seconde. Le gouvernement américain n'aime pas les quotas, il préfère laisser le marché décider. Nous ne voulions pas un système aussi rigide que celui du Québec. Simplement une intervention discrétionnaire en cas de surplus de production pour éviter que les prix ne chutent. Je sais qu'il peut sembler étrange que des entrepreneurs réclament qu'on les réglemente. Mais nous estimions qu'il s'agissait à la fois d'une preuve de bonne foi et d'une mesure raisonnable.
D.B. - Quel type d'entreprise est la Dairy Farmers Association of America ?
G.W. - DFA est une coopérative, elle appartient à ses membres. Nous ressemblons beaucoup à la québécoise Agropur... avec trois fois plus de ventes [12 G$ US] et quatre fois plus de membres [13 000]. Nous possédons 33 usines que nos membres peuvent utiliser pour transformer leur lait. Toutefois, la moitié de notre production est transformée dans des usines qui ne nous appartiennent pas.
D.B. - Comment le prix de votre lait est-il fixé ?
G.W. - Contrairement au Canada, il n'est pas réglementé. Plus de 90 % du prix dépend de l'offre et de la demande mondiale. À peine 10 % repose sur notre négociation et les conditions régionales.
D.B. - Le secteur agricole réclame un statut particulier lors des négociations tarifaires internationales. Pourquoi ?
G.W. - C'est une question de sécurité alimentaire. Les gouvernements craignent que des aliments étrangers moins chers tuent leur industrie agricole locale. Il en résulterait une trop grande dépendance aux importations. On ne peut pas dépendre de l'étranger pour des produits essentiels. Le gouvernement subventionne donc l'industrie agricole lorsque c'est nécessaire afin qu'elle reste profitable. On veut éviter que les agriculteurs ferment boutique.
D.B. - Lait d'amande, fromage de soya, la concurrence des produits pseudo-laitiers fait mal...
G.W. - Je n'ai rien contre la concurrence, mais celle-là se révèle déloyale. Nous militons depuis des années pour empêcher qu'on emploie le terme «lait» à tort et à travers. Le lait provient d'un animal. Le soya n'est pas un animal, l'amande non plus. Mais le gouvernement aurait pu intervenir. Il n'a rien fait. Et les consommateurs continuent d'être bernés par un vocabulaire trompeur. Seul le lait a les vertus du lait.
D.B. - ... sans compter la multiplication des boissons en tout genre.
G.W. - En effet, depuis 35 ans, aux États-Unis, la consommation de lait par personne a diminué de 25 %. Les années 2011 et 2012 ont connu le pire déclin depuis une décennie.
D.B. - Comment votre secteur réplique-t-il ?
G.W. - Nous comptons sur les faits et le look. D'un côté, nous tentons de ramener les pendules à l'heure en recourant à la science. Les athlètes boivent du lait après les compétitions, ils ne boivent pas tous des boissons énergisantes. C'est que le lait possède des propriétés particulières. Mais nous sommes conscients qu'il n'y a pas que le contenu, le contenant importe aussi. Tous les producteurs de boissons soignent leurs emballages, nous ne pouvons y échapper.
D.B. - Votre stratégie implique aussi des partenariats. Donnez-nous un exemple.
G.W. - Nous avons cherché les alliés naturels du lait. Quaker en est un. Vous pouvez mettre de l'eau dans votre gruau, mais ce sera bien meilleur avec du lait. C'est le message que Quaker et les producteurs de lait véhiculent conjointement.
D.B. - De tous vos alliés, le plus influent est grec...
G.W. - Sans exagérer, je dirais que le yogourt grec est ce qui est arrivé de mieux à l'industrie laitière depuis dix ans. C'est rare qu'une industrie voit apparaître une nouvelle catégorie. Les consommateurs ont totalement craqué pour ce produit. Spécialement les femmes, qui furent les premières à l'adopter. Et puis, on remplace un produit à plus faible marge, le lait, par une autre aux marges plus élevées, le yogourt grec.
D.B. - Quels sont les principaux défis de l'industrie laitière ?
G.W. - D'abord, le déclin de la consommation de lait au profit d'autres boissons. Ensuite, les enjeux environnementaux. Notre industrie produit une quantité importante de rejets animaux. Cela posera problème tant que nous n'arriverons pas à les transformer en énergie. Enfin, les consommateurs s'intéressent de plus en plus à la façon dont leurs aliments sont produits. Comment les animaux sont-ils traités ? Sont-ils enfermés ou peuvent-ils se promener ? De quel espace disposent-ils ?
D.B. - En quoi les nouvelles demandes des consommateurs compliquent-elles la vie de vos membres ?
G.W. - Il existe une tension entre la responsabilité de l'agriculteur de nourrir le plus de citoyens possible et les exigences des consommateurs. Si chaque fermier offre plus d'espace aux animaux, il doit réduire la taille de son troupeau et sa production. Qu'est-ce qu'on privilégie ? Il est ici question de choix moraux et d'économie.
D.B. - Parmi vos membres, on compte des agriculteurs bios et non bios. Comment ceux-ci cohabitent-ils ?
G.W. - Sur le plan des relations humaines, cela se passe bien. Tout le monde cohabite de façon pacifique. Par contre, cela pose des défis logistiques et financiers. Lorsqu'un camion fait la tournée des fermes pour collecter le lait, on peut tout mettre dans le même conteneur. Supposons qu'il se trouve un ou deux agriculteurs bio sur la route, on ne peut pas mélanger. Il faut un autre système de collecte.
D.B. - Dairy Farmers Association of America est une coopérative. Comment se déroule la prise de décision ?
G.W. - J'ai toujours travaillé dans l'univers associatif. J'y vois plus d'avantages que d'inconvénients. Intégrer les suggestions et opinions des membres a un coût. C'est plus long. Mais si on développe une structure, entre le conseil et la direction, qui fait monter les idées et descendre les décisions, les bénéfices sont assurés.