Le projet de loi fédéral C-31 a notamment comme objectif de permettre au Canada de combler son retard sur la plupart des pays dans le domaine du droit des marques de commerce. Pourtant, Dario Pietrantonio, expert en la matière, n'est pas convaincu que tous les changements apportés par cette loi bénéficieront aux entreprises.
«L'abandon du concept d'usage que propose ce projet de loi lors d'une demande d'enregistrement pose un réel problème», affirme l'avocat associé de Robic.
Le projet de loi a été sanctionné le 19 juin dernier, mais il faudra un an ou deux avant que les règlements relatifs aux marques de commerce ne soient finalisés et qu'ils entrent en vigueur. Néanmoins, les entrepreneurs ont intérêt à commencer à se familiariser avec cette loi.
Pourquoi une nouvelle loi ?
«Parce que le Canada est en retard sur le reste du monde et qu'il existe une volonté d'harmoniser notre régime de propriété intellectuelle avec les normes internationales, explique M. Pietrantonio. La majorité des changements apportés par le projet de loi C-31 sont nécessaires pour permettre au Canada d'adhérer au Protocole de Madrid et à l'Arrangement de Nice dans le but de faciliter l'accès aux marchés internationaux des entreprises canadiennes.»
L'Arrangement de Nice classifie l'activité humaine en 43 catégories de produits et de services : bijoux, vêtements, matériaux de construction, etc. Comme le Canada n'a pas encore adopté cette classification internationale, il est plus complexe, plus coûteux et donc moins attrayant pour les entreprises étrangères d'enregistrer leurs marques de commerce au Canada.
Le Protocole de Madrid permet pour sa part de déposer une demande d'enregistrement dans n'importe quels États membres en ne faisant qu'une requête. Mais là encore, le Canada n'a toujours pas adhéré à ce traité. Le projet de loi C-31 permettrait l'adhésion à ces deux traités. Bonne nouvelle, alors ? Pas si vite !
Le pour
En adhérant au Protocole de Madrid, les sociétés canadiennes pourront aussi bénéficier de ses avantages et n'auront plus à déposer des demandes d'enregistrement de leurs marques dans la majorité des pays du monde. Ce qui faciliterait leur tâche, réduirait leurs coûts et par le fait même encouragerait la protection de leurs marques à l'étranger.
De la même manière, les sociétés étrangères obtiendraient aussi plus facilement leur enregistrement au Canada grâce au Protocole de Madrid. Actuellement, elles doivent déposer une demande spécifique pour le Canada.
Le contre
Une marque de commerce ne peut être enregistrée au Canada, par une société canadienne ou étrangère, que si cette société a déjà utilisé sa marque au Canada ou à l'étranger, ce qui crée un certain équilibre entre les inscriptions au registre et l'état du marché.
Avec C-31, l'obligation d'utiliser la marque pour obtenir un enregistrement tomberait ; n'importe qui pourrait enregistrer des marques au Canada sans devoir les utiliser. «Ça pourrait devenir un business en soi et encombrer le registre des marques, explique l'associé de Robic. Ça n'encourage aucunement le commerce ; ça va plutôt nuire aux projets d'entrepreneurs de bonne foi qui devront faire de multiples recherches pour trouver des marques pour leurs produits et services !» Ce qui s'est d'ailleurs produit dans certains pays qui ne requièrent pas l'usage des marques pour l'obtention de leur enregistrement, dont la Chine, où c'est devenu un véritable fouillis.
«En permettant l'enregistrement d'une marque sans le besoin de l'utiliser, le projet de loi facilite la tâche aux personnes voulant s'approprier des marques dans le but de les revendre ou de nuire à des tiers», affirme M. Pietrantonio.
Pourquoi abandonner le préalable d'usage ? Il faut comprendre que les inconditionnels du libre marché veulent simplifier au maximum les lois. Certains prétendent même que le gouvernement veut simplifier le travail du Bureau des marques de commerce et réduire son budget d'exploitation.
Pourtant, selon Me Pietrantonio, l'élimination de l'obligation d'utiliser une marque pour obtenir son enregistrement n'est aucunement nécessaire à l'adhésion du Canada à l'Arrangement de Nice et au Protocole de Madrid.
Un conseil avisé
Avec la nouvelle loi, la durée de l'enregistrement d'une marque de commerce sera réduite de 15 à 10 ans. Il faudra alors renouveler les enregistrements de marques plus souvent et supporter les coûts afférents.
Avec l'arrivée des classes internationales, il est fort probable qu'il y aura, comme dans la majorité des pays qui ont adopté un tel système, une taxe par classe à payer au moment du dépôt de la demande d'enregistrement. Cela risque de faire augmenter le coût des dépôts couvrant plusieurs classes de produits et services.
«Pour ces raisons, je conseille aux entreprises de renouveler l'enregistrement de leurs marques de commerce avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi afin de pouvoir bénéficier de la durée de 15 ans», dit M. Pietrantonio, qui estime que protéger ses marques de commerce contre les tiers de mauvaise foi deviendra encore plus important avec la nouvelle loi.
L'Association du Barreau canadien réagit
Dans une lettre envoyée le 5 mai 2014 à Irving Gerstein, président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, et à David Sweet, président du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie, l'Association du Barreau canadien soutient que les modifications proposées par le projet de loi C-31 «auront une incidence négative sur les entreprises canadiennes». «Le registre des marques de commerce [...] deviendra encombré par des enregistrements qui ne reflètent plus les réalités du marché. Il en découlera une augmentation des coûts pour les entreprises canadiennes, ainsi que de la complexité et de l'incertitude dans le choix et l'emploi de marques de commerce...», peut-on lire dans cette lettre.
De plus, «le manque d'information utile dans le registre [NDLR : la date du début de l'usage de la marque ne figurera plus dans le registre] exigera de coûteuses enquêtes au sujet de l'emploi d'une marque de commerce...»