La firme McKinsey et le Forum économique mondial publient des rapports sur le sujet. Les grandes universités du monde s'y intéressent. Les pays européens et ceux d'Asie adoptent des lois qui la mettent en application. Voilà que Montréal aura son institut, centré sur ce thème. Mais qu'est-ce que l'économie circulaire ?
Après avoir cofondé le Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), ainsi que la firme-conseil Quantis, Daniel Normandin pilote la création de l'Institut de l'environnement, du développement durable et de l'économie circulaire (EDDEC), rassemblant l'Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique Montréal. Derrière cette initiative unique, un constat d'impuissance de l'approche traditionnelle du développement durable et une occasion unique pour le Québec, explique Daniel Normandin.
L.A. - Qu'est-ce qui ne va pas avec le développement durable ?
D.N. - On assiste à un essoufflement généralisé, tant de la part des entreprises que du gouvernement. Après tous les efforts consentis, nous constatons que nous sommes face à un échec : nous sommes aux prises avec les mêmes grands problèmes environnementaux et sociaux. Il y a eu des initiatives intéressantes, mais globalement, les résultats ne sont pas à la hauteur des efforts.
L.A. - Qu'est-ce que l'économie circulaire ?
D.N. - C'est une approche qui consiste à accroître la productivité des ressources. Le secteur manufacturier évolue sur une planète dotée de ressources fixes avec un modèle basé sur des ressources infinies. On doit passer du mode production et consommation actuel - c'est-à-dire linéaire (extraire, transformer, consommer, jeter) - à un mode de production et de consommation circulaire. L'idée est de maximiser la productivité des ressources tout en créant des gains économiques pour les entreprises. Ce qui est intéressant, c'est que la sonnette d'alarme a été tirée non pas par les environnementalistes, mais par les producteurs. Le prix des matières premières est si volatil qu'il leur est devenu difficile de calculer leur coût de revient au-delà de trois ans. Et le prix des ressources a tellement augmenté que les baisses enregistrées depuis le début du 20e siècle ont été annulées ces 10 dernières années...
L.A. - Comment l'économie circulaire réussira-t-elle, là où le développement durable a échoué ?
D.N. - Le développement durable jouait sur l'engagement volontaire des entreprises, sur une pensée moraliste. L'économie circulaire tient compte de leur réalité économique. Elle génère des économies et réduit l'impact environnemental. Elle stimule la création de modèles basés sur la connexion des chaînes de valeurs, de la production à la fin du cycle de vie. Heureusement, les consommateurs évoluent et ne valorisent plus autant la quantité d'objets possédés. Ils s'intéressent plus au service qu'à l'objet lui-même. Ils ne rêvent plus d'avoir une auto comme les générations précédentes. L'important n'est pas l'auto, mais le transport. Les Car2go et les Communauto de ce monde sont parfaits pour eux. Ces modèles de partage, qui peuvent s'appliquer à plusieurs produits, sont désormais possibles grâce à la connectivité apportée par Internet. Des sites tels que Craigslist et Kijiji contribuent également à l'économie circulaire.
L.A. - Qu'en est-il de la loi sur la responsabilité élargie des producteurs en matière de recyclage ? N'est-ce pas déjà de l'économie circulaire ?
D.N. - Le problème, c'est que ça ne touche que quelques produits : l'huile, les pneus, les piles, etc. Mais il y en a des milliers. Si les entreprises voient un gain économique, les gouvernements n'auront pas besoin de légiférer. Son rôle sera plutôt d'accompagner les entreprises dans la création de nouveaux modèles, de développer des mesures incitatives, d'adapter la réglementation...
L.A. - Que se passe-t-il concrètement, à l'échelle mondiale, en matière d'économie circulaire ?
D.N. - Depuis deux ou trois ans, ça bouge beaucoup et vite, tant en Europe qu'en Asie. Les Français viennent de lancer leur premier projet de loi touchant l'économie circulaire. Le 2 juillet, la Commission européenne a aussi adopté un projet de politique sur l'économie circulaire, qui cherche à augmenter de 30 % la productivité des ressources d'ici 2030. Même chose en Allemagne, qui vise à doubler la productivité des ressources d'ici 2020. La Hollande a créé un organisme d'accompagnement des entreprises en économie circulaire. La Chine s'est dotée d'une loi sur l'économie circulaire depuis 2009. Le Japon s'y emploie pleinement depuis les années 2000.
L.A. - Et en Amérique du Nord ?
D.N. - Ce concept est encore peu connu ici. Il n'existe aucun institut universitaire sur la question. Le nôtre est le premier. C'est important de développer ici notre propre conception de l'économie circulaire et d'en tirer profit. En tant que pionniers, nous pourrons aider les autres provinces et le reste de l'Amérique, et même, contribuer au mouvement mondial.
L.A. - Quelle sera la mission de l'Institut ?
D.N. - Travailler avec les entreprises et les autres parties prenantes pour développer les connaissances, les compétences et les outils qui nous permettront de passer du mode linéaire au mode circulaire.
L.A. - Les institutions politiques sont-elles réceptives ?
D.N. - Oui, beaucoup. Le ministre du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, David Heurtel, a passé à la fin de l'été plus de deux heures avec un groupe de travail de l'Institut. Et il disposait de 90 minutes... En partant, il a nous a dit qu'il aurait bien passé la journée ici !
Quelques exemples
Daniel Normandin, qui pilote la création de l'Institut de l'environnement, du développement durable et de l'économie circulaire, met en lumière quelques réalisations dans ce domaine.
«Dans certains marchés, Michelin loue ses pneus de camion plutôt que de les vendre. Elle veille à ce que le client ait toujours des pneumatiques optimaux. En fin de vie, Michelin les reprend et les remet en état. Le client s'assure d'un prix fixe pour ses pneus et l'entreprise n'a pas de rupture de stock en matières premières», dit M. Normandin.
La multinationale Philips a lancé un programme de «Pay per Lux». Au lieu de vendre des systèmes d'éclairage, elle vend des unités de lumière calculées en lux. Elle reste propriétaire du matériel et le remplace quand la technologie évolue.
«S'il y a des gains d'efficacité, elle réalise les bénéfices. Le client a la certitude d'avoir un service de qualité en continu. C'est ce qu'on appelle l'économie de fonctionnalité, l'un des concepts clés de l'économie circulaire», explique M. Normandin.
Pour sa part, Interface, un fabricant de dalles de moquette, a lancé un programme permettant de racheter des filets aux pêcheurs, pour en réutiliser le nylon.»
L'Institut de l'environnement, du développement durable et de l'économie circulaire en bref
Plus de 200 unités de recherche, 400 chercheurs et 1 500 étudiants aux cycles supérieurs. Domaines touchés : ingénierie, design, économie, science de la gestion, biologie, sociologie.
Les opérations ont été amorcées en avril dernier. On est actuellement au stade du recrutement des équipes.
Ses interventions sont axées sur approche pragmatique : études sur les retombées de l'économie circulaire au Québec et au Canada, mise en oeuvre de projets de recherche pluridisciplinaires avec les entreprises, organisation d'ateliers et de formations spécialisées.