Grâce aux dons de toutes sortes, Harvard jouit d'un trésor de guerre de 33 milliards de dollars américains. Et la célèbre université américaine est en pleine campagne de collecte de fonds, avec un objectif de 6,5 G$ US.
Christian Bolduc, pdg de BNP Stratégies, une firme montréalaise de conseil en gestion philanthropique, se disait que ces gens-là devaient savoir comment aller chercher de l'argent. Grâce à un client en relation avec une personne du bureau de développement et de l'Association des diplômés d'Harvard, il s'est fait inviter pendant deux jours, en octobre, avec sa vice-présidente au développement, Hélène Chalifour-Scherrer, ancienne ministre du Patrimoine canadien.
Ce qu'ils ont vu et entendu les a surpris et ravis : «Ils [les Américains] sont vraiment en avance sur le Québec. Il faut absolument adopter leur approche», estime M. Bolduc, avocat de formation.
Adopter, mais aussi adapter, parce que le contexte est différent : une armée de 650 personnes travaille à recueillir des fonds pour Harvard, ce qui est impensable au Québec. En outre, 98 % des étudiants d'Harvard vivent sur le campus, avec un professeur et sa famille dans chacune des résidences, ce qui crée un extraordinaire sentiment d'appartenance. Et on peut parier que les diplômés d'Harvard ont des revenus supérieurs à ceux des universités québécoises.
Quoi qu'il en soit, il y a sans doute des leçons à tirer de cette expérience au coeur de la Mecque de la philanthropie américaine.
Pas de sollicitation d'entreprises
Au Québec, on dit souvent que ce sont les entreprises qui ont de l'argent. Et elles sont effectivement très sollicitées. «Beaucoup de chèques de dons viennent des entreprises au Québec», dit M. Bolduc. L'Université Harvard, elle, ne sollicite jamais les entreprises. Étonnant !
«Harvard tient absolument à développer des relations avec les individus, et non avec les organisations, explique Mme Chalifour-Scherrer. Après tout, Jean Coutu, personnellement, a peut-être plus d'argent à donner que le Groupe Jean Coutu.»
Pour Harvard, les individus ciblés sont essentiellement ses diplômés et ses professeurs. Des diplômés qui ne sont pas tous millionnaires, mais qui ont des revenus bien supérieurs à la moyenne. «Au Québec, il faudrait que même les écoles secondaires restent en contact avec leurs anciens élèves, dit Mme Chalifour-Scherrer. Mais on n'a pas ce réflexe.»
«Chez nous, tous les organismes sollicitent les mêmes entreprises ; il y a des limites. Pourquoi ne pas solliciter personnellement le pdg et les vice-présidents de ces entreprises ? demande M. Bolduc. Quand un pdg annonce un don de son entreprise, lui, personnellement, a-t-il mis la main dans sa poche ?»
Pas d'événements-bénéfice
Au Québec, les évènements-bénéfice abondent : grands bals, soupers spaghetti, tournois de golf, etc. L'Université Harvard n'organise jamais de tels événements, dont les individus se méfient parce qu'ils savent qu'ils vont se faire «quêter». Les événements de l'Université Harvard servent à remercier ses bienfaiteurs, à les tenir informer de l'évolution des projets qu'ils financent, à garder le contact, à réseauter, etc. Aucun risque de se faite solliciter !
Si vous avez déjà fait un don à une université québécoise, vous avez probablement reçu une belle lettre de remerciement, «tout écrite d'avance», du recteur. À Harvard, vous auriez reçu une lettre d'un étudiant ou d'un chercheur vous expliquant ce que votre don va lui permettre de faire. «C'est tellement plus personnel !», constate M. Bolduc.
Une tendance
Les gros donateurs, c'est bien connu, aiment beaucoup donner un coup de pouce à la réalisation d'un projet précis. Le problème est que le donataire a les deux mains liées et ne peut utiliser l'argent comme il le souhaiterait.
Harvard en est un bon exemple : lors de son dernier exercice financier, la célèbre institution, fondée en 1636, a réalisé un déficit de 34 M $ US. À ce sujet, un haut dirigeant de HEC Montréal nous expliquait il y a quelque temps que les donateurs ne veulent pas payer pour les activités courantes des institutions, comme l'entretien des bâtiments. «Ils veulent apporter un plus.»
Pour tenter de changer les choses, Harvard veut convaincre ses donateurs de lui faire confiance et d'orienter leurs dons vers la réalisation d'une vision globale plutôt que vers celle d'un projet en particulier, dit Mme Chalifour-Scherrer.
Presser le citron
Autre tendance : depuis toujours, Harvard capitalisait 100 % des dons reçus, c'est-à-dire qu'elle ne dépensait que les revenus de placement des dons. Depuis peu, elle capitalise 80 % des dons et en dépense 20 %, histoire d'avoir plus rapidement des résultats concrets à montrer à ses donateurs.
Enfin, Harvard a mis fin à une croyance très répandue selon laquelle il y aurait des limites à «achaler» les gens pour leur demander l'argent. Ce qui porte souvent les organismes à «laisser tranquilles» leurs donateurs après avoir atteint l'objectif de leur campagne de financement.
Mais pour l'Université Harvard, il n'y a pas de limites. Au début des années 1990, elle recevait environ 75 M$ par an en dons. Au milieu des années 1990, elle a lancé une campagne «spéciale» qui a substantiellement haussé le niveau de dons. Et depuis la fin de cette campagne, les rentrées annuelles de dons n'ont jamais descendu sous la barre des 150 M$.